À l’instar du foisonnement des labels sur les produits, de nombreux statuts et dispositifs fleurissent pour démontrer les engagements des entreprises en matière de transition écologique. Faut-il s’y fier ? Par Pierrick De Ronne (PDG de Biocoop).
BCorp, PME+, entreprise à mission, Engagé RSE, BioED, Great Place to Work, norme ISO 26 000... Depuis quelques années, les sigles, statuts et dispositifs fleurissent pour démontrer les engagements des entreprises en matière de transition écologique et plus largement de RSE. Une vague de fond qu’incarne également la Loi Pacte, promulguée en mai 2019 afin de permettre aux entreprises de mieux prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux dans leur stratégie. Le statut d’entreprise à mission est né et fait florès depuis. Lui préexistaient les statuts coopératifs de l’économie sociale et solidaire (SCOP, SCIC, Coop de consommateurs, mutuelles...), sans oublier de nombreuses labellisations privées qui émergent en parallèle (BCorp, PME+...). Que raconte ce foisonnement et, surtout, en quoi ces signes extérieurs de RSE permettent vraiment la transition des entreprises qui les arborent ?
Premier élément de réponse : ces statuts s’avèrent utiles sous conditions. Ils témoignent d’une volonté d’engagement, posent un cadre ainsi qu’un processus et font naître des objectifs pour tendre vers la transition écologique. De quoi séduire en interne et en externe, les efforts affichés créant parallèlement des attentes auprès du grand public. Et c’est bien là que le bât blesse. Du décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait naît une forme de frustration qui affecte le plus souvent l’activité économique. Éviter cette frustration peut être un moteur pour les entreprises. Mais comme pour toute réponse à des attentes sociétales, la sincérité et la profondeur de la démarche restent variables, allant du greenwashing bas de gamme jusqu’à des critères et objectifs en bonne et due forme. Au-delà du cas par cas, méfiance néanmoins à ne pas simplifier à l’excès le sujet. Exemple parmi d’autres : la possibilité obtenir certains de ces labels sans maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur du produit, de la production à la vente.
Le bon grain et l'ivraie
Ces méandres et cette nécessité de séparer le bon grain de l’ivraie, Florian Delmas, président d’Andros, et Eva Sadoun, fondatrice de la plateforme d’investissements durables lita.co et coprésidente du Mouvement Impact France, planchent dessus quotidiennement. De quoi se forger un avis éclairé. « L’enjeu, ce ne sont pas les idées mais l’impact. Il faut intégrer du bon sens et la preuve de ce qui est avancé. Ce qui est important aussi, c’est la prise en compte du temps long et de la transmission. Pas à horizon trois ans mais à horizon dix à quinze ans. Un tiers des investissements d’Andros sont d’ailleurs à plus de dix ans. Les actionnaires ne possèdent pas qu’un capital, ils ont aussi un patrimoine entre les mains », estime Florian Delmas. « Ces statuts font partie du progressisme nécessaire mais ne seront pas suffisants. Le niveau d’efficacité d’un statut dépend de la capacité du dirigeant à déployer sa stratégie de mission. Ces statuts n’engagent pas à un rythme de transition soutenu et, bien que permettant de questionner l’avenir, ils ne permettent pas de réparer le stock de business ancien », complète Eva Sadoun.
Florian Delmas ne croit d’ailleurs pas à ces statuts-labels comme outils de transition pour les entreprises de l’Ancien monde. « L’entreprise familiale parle mieux aux consommateurs ou aux salariés que toute autre démarche », analyse-t-il. Ces signes extérieurs accompagneraient donc les entreprises qui naissent mais ne seraient que de peu d’utilité pour les entreprises industrielles à l’histoire plus ancienne, Florian Delmas pointant de surcroît une forme d’inégalité. « Les entreprises qui sont engagées dans des démarches durables depuis toujours ne sont pas reconnues. Nombreuses en effet sont les TPE, PME et ETI qui sont dans l’action, malgré des moyens limités, pour réduire leurs impacts mais, de fait, la démarche de progrès dans laquelle elles investissent fortement passe sous les radars », se désole-t-il. Et ce, quand dans le même temps, des acteurs nettement moins vertueux travaillent consciencieusement leur image. Ce qui pose en creux la capacité – ou plutôt l’incapacité – des entreprises cotées en bourse ou disposant d’un business model aux antipodes de la transition écologique à se transformer et à atteindre des objectifs élevés.
Un marketing destructeur de confiance
Les capitaines de nos plus grandes entreprises seraient à questionner. Fait rare, Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, a posé avec sincérité un regard sur le sujet lors des rencontres d’Aix-en-Provence de juillet 2022 : « Je rêverais de me lever tous les matins en me disant que je vais sauver la planète. Mais ce n’est pas mon rôle. Ma vocation, c’est de créer de la valeur. » Et d’ajouter : « On prend des engagements pour notre intérêt. Les leviers de transformation sont nos clients et nos employés. Les labels ne font pas prendre des engagements. » Le Mouvement Impact France plaide ainsi pour qu’au-delà des missions et critères, des objectifs communs et une notation transverse pour toutes les entreprises comme l’impact score notamment soient mis en œuvre afin de rester dans la trajectoire d’un réchauffement climatique en deçà de 1,5°C. Mais il en faudra beaucoup plus. Eva Sadoun pose la question : « Que fait-on des business de l’Ancien monde ? On répare ou on fait du business as usual sur ces activités ? Quand on a artificialisé des sols, on désartificialise ou on arrête juste d’artificialiser ? Comment corrige-t-on les dommages ? ». Bref, compter sur les entreprises seules pour fixer le cap et mettre en œuvre des pratiques communes serait illusoire. Raison pour laquelle la réglementation doit amener de la norme pour interdire et réparer tandis que la fiscalité doit encourager économiquement les efforts de transition des entreprises.
Pas de quoi rassurer complètement Florian Delmas, qui se dit inquiet de la tournure actuelle des événements. « Le marketing non responsable a tué beaucoup de choses, notamment la confiance des citoyens envers l’entreprise en faisant des promesses sans preuves. La science doit revenir dans l’entreprise. Ce qui compte, ce sont les faits, l’action et les impacts mesurables », martèle-t-il, se désolant par ailleurs que les écoles de commerce ne forment pas aux concepts de limites planétaires. « Les enjeux écologiques et durables devraient constituer le tronc commun de l’enseignement. L’apprentissage du modèle économique ne devrait se faire que dans ce cadre contraint qu’est la nature », préconise-t-il. On l’aura compris. Si ces atours permettent un récit collectif plus ou moins sincère basé sur la coopération au sein des entreprises et de nature à créer de l’engagement en interne et en externe, encore faut-il qu’ils ne servent pas à travestir un capitalisme écologiquement destructeur.