[Tribune] L’image ambivalente des entreprises, à la croisée de nombreux défis, questionne le bon niveau d’intervention de la communication dans les processus de gouvernance des choix stratégiques.
Si l’on regarde la dynamique des grandes entreprises sur ces 20 dernières années, deux trajectoires, étroitement intriquées, peuvent être observées. La première s’appréhende à travers les concepts de transformation ou de changement – qui ont fait florès dans la logorrhée du conseil – et quelques « idéaux » associés, parfois pris en contradiction : le culte de la performance (nouvelles organisations, nouveaux managements…) ; le culte du bien-être, dans une société de plus en plus sensible à l’accomplissement personnel ; le culte de l’innovation, comme avatar du progrès.
La seconde dynamique – l’impératif étant de donner du sens à ce qui ne serait qu’une fuite en avant – s’explique par la montée en puissance des enjeux de société dans la vie des entreprises. Celles-ci sont à la fois plus perméables aux revendications individuelles, qui croissent en leur sein, et plus engagées (mais aussi interpelées) sur des enjeux d’intérêt général, au premier rang desquelles les questions climatiques et environnementales, qui sont désormais l’un des principaux moteurs de la transformation.
Ces tendances lourdes ont eu un double effet : d’un côté, elles ont contribué à valoriser les entreprises ; de l’autre, elles les ont surexposées à des attentes protéiformes très fortes et à des critiques sur l’authenticité ou la pertinence de leur activisme. Ainsi ont-elles acquis une image ambivalente, comme l’attestent les études, en apparence contradictoires, régulièrement publiées sur le sujet, qui sont en fait à la mesure de l’incertitude, tantôt bienveillante, tantôt dubitative, des Français à leur égard.
Pour dépasser cette contradiction, tout en assumant la transition globale dont elles sont parties prenantes, les entreprises doivent admettre que leur communication ne pourra pas se limiter à un exercice d’autosatisfaction, ni à l’emploi d’une novlangue qui agirait tel un sésame, grâce à quelques adjectifs bien placés : durable, inclusive… Bien sûr, l’entreprise doit afficher et revendiquer ses engagements, ses actions, ses savoir-faire, ses innovations…
Gagner en réalisme
Bien sûr, certains espaces de communication, comme la publicité, sont consacrés – et ils doivent le rester – à la production d’un imaginaire inspirant et singulier, déconnecté d’un « factualisme » qui serait asphyxiant. Mais là où l’entreprise œuvre désormais dans le cadre d’un pacte sociétal collectif – où chacun a sa part à assumer (citoyens, pouvoirs publics, filières…) –, elle doit admettre, comme une force, que communiquer, c’est aussi engager des démarches partagées, clarifier des défis, ouvrir des chantiers, sans que le but soit de se dire exemplaire et irréprochable. Il ne s'agit pas de faire aveu de faiblesse mais de s’inscrire dans une trajectoire où le but, s’il est sincère et jalonné d’étapes réalistes, compte plus que l’image qu’on cherche à « sauver » à l’instant T.
Cette approche, dans une société très anxiogène, permet de nourrir une communication aspirationnelle, une influence positive, sans tomber dans l’angélisme, ni dans les poncifs d’un « futur durable et désirable ». À ce niveau de la réflexion, un constat s’impose cependant. Considérées comme fonctions au sein des entreprises, la communication et la RSE ont pour point commun d’être affaiblies et déconsidérées si elles arrivent trop en aval dans le processus de gouvernance des choix stratégiques. Or c’est encore souvent le cas.
Placée au bon niveau de gouvernance, la communication ne consiste pas seulement à produire de l’information et du « contenu », elle permet de comprendre des évolutions, elle aspire à soutenir des systèmes de valeur, des prises de position et des décisions. Elle engage une responsabilité et une vision : deux choses essentielles dans une gouvernance démocratique et éclairée d’une société humaine en mouvement.