UFC Que Choisir et plusieurs acteurs du bio ont attaqué fin janvier devant le Conseil d’Etat la certification Haute valeur environnementale (HVE), jugée trompeuse pour le consommateur. Une opération de communication avant tout ?
La nouvelle avait « fuité » la veille dans Le Parisien. Et dès le lendemain, lundi 23 janvier, l’information se taillait une place de choix dans l’actualité nationale. Sept acteurs, parmi lesquels UFC Que Choisir, la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique), le Synabio (Syndicat national des entreprises de l’agroalimentaire bio) et Bio consom’acteurs, attaquent la certification Haute valeur environnementale (HVE) devant le Conseil d’Etat. Avec un message répété à l’envi : la tromperie du consommateur doit cesser. « On voit bien que la HVE, avec un référentiel aussi peu ambitieux, n’a pas comme réalité de reposer sur une performance environnementale réellement élevée. (…) Le problème c’est qu’en l'état actuel et alors qu’il est de plus en plus apposé sur les produits, il induit en erreur les consommateurs et les citoyens en général qui y voient, par méconnaissance, un modèle agricole ayant un impact positif pour l’environnement. La valorisation est usurpée. L’enjeu de notre recours collectif est donc de démystifier un label qui demeure inacceptable par son caractère mensonger », résume dans un communiqué Alain Bazot, président de l’UFC Que Choisir.
Même si aucune des parties montées au créneau ne le dit ouvertement, apparaît en filigrane un autre enjeu : la concurrence croissante et jugée déloyale des produits HVE au détriment du bio dans un contexte inflationniste. Un secteur du bio qui, après des années de croissance ininterrompue, a d’ailleurs vécu un exercice 2022 noir, avec un recul des ventes de l’ordre de 8% en volume. Difficile de ne pas faire le raccourci et de voir dans cette offensive une déclaration de guerre envers HVE, dont le succès en rayons se confirme de mois en mois, dans le sillage d’un prix souvent plus attractif qui permettrait au consommateur de se donner bonne conscience à moindres frais. L’enquête réalisée par Interfel en 2022 par exemple confirme d’ailleurs la bonne image dont dispose majoritairement HVE auprès du grand public avec 55% des personnes interrogées croyant que la certification est soumise à un cahier des charges strict et 44% estimant qu’on peut faire confiance à 100% aux fruits et légumes étiquetés de la sorte.
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Mais que reproche concrètement le collectif vis-à-vis d’une certification dont la nouvelle mouture – entrée en vigueur sous la forme d’un décret ministériel en novembre dernier – est précisément censée avoir répondu à certaines critiques, d’autant que celle-ci a reçu un avis favorable de la commission nationale certification environnementale ? Le compte n’y est tout simplement pas, selon Charles Pernin, délégué général du Synabio (230 adhérents en France pour plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulé). « Une révision du référentiel entreprise par le gouvernement en 2022 et définitivement adoptée en novembre visant à le rendre soi-disant plus exigeant n’a pas réellement amélioré la situation », assure-t-il, en écho à un travail inachevé et à un passif notamment incarné par le rapport au vitriol de la Cour des comptes en juin dernier. « Lorsqu’on examine dans le détail la version revue du cahier des charges, seules quelques-unes des mesures proposées ont été concrètement traduites », illustre-t-il. De quoi placer l’exécutif en première ligne ?
Contacté par Reporterre, le ministère de l’Agriculture assure avoir revu « à la hausse les exigences sur les indicateurs de protection de la biodiversité, de limitation de l’usage des produits phytosanitaires et de gestion raisonnée de la fertilisation », maintenant que la certification HVE « représente aujourd’hui un outil utile pour accompagner le changement de pratiques de nos agriculteurs ». Un argumentaire qui convainc peu eu égard à la dénomination même de la certification. « On parle d’une promesse d’excellence avec un cahier des charges spécifiques permettant d’obtenir des aides financières. Or, il y a une ambiguïté quant à la notion de HVE. S’agit-il de labelliser l’élite ou de permettre au plus grand nombre de se positionner ? », interroge Raphaël Bartlomé, directeur adjoint à l’action politique, en charge du service juridique de l’UFC Que Choisir. Des propos qui ne manqueront pas d'irriter les agriculteurs disposant de la certification, à commencer par les viticulteurs, bénéficiaires historiques du label et dont certains dénonçaient déjà le durcissement du cahier des charges opéré fin 2022. « Au-delà de l’aspect conjoncturel, se posent des questions très concrètes telles que le transfert des aides publiques de la bio vers HVE ou le fait que la loi Egalim ait positionné HVE et bio au même niveau pour les appels d’offres publics, notamment dans la restauration collective », éclaire en sus Pierrick De Ronne, PDG de Biocoop, y voyant une inévitable « confrontation de modèles ».
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Reste une question, centrale : quelles chances de succès pour un tel recours ? « Il est loisible de déduire que le collectif a attaqué dans le délai contentieux de deux mois, le Conseil d’Etat étant compétent en premier et dernier ressort pour de tels actes réglementaires des ministres, et qu’il ne s’agit donc pas d’un référé mais d’un contentieux en excès de pouvoir au fond, ce qui implique un délai de jugement en moyenne d’environ un an sauf irrecevabilité manifeste. Même si aucune certitude n’est possible, tabler sur une décision fin 2023 ou au premier semestre 2024 semble raisonnable », estime en off un avocat spécialisé qui se montre réservé sur la capacité d’un tel recours à convaincre les sages.
Un avis que ne partage pas Raphaël Bartlomé, pour qui cette action s’inscrit dans une « logique de haut niveau de protection des consommateurs en Europe » et dispose de « moyens solides », à commencer par « l’erreur manifeste d’appréciation ». Même optimisme affiché du côté de Charles Pernin. « On s’attaque au décret et à sa traduction réglementaire et non au principe de HVE. Rien dans le cahier des charges ne justifie la revendication d’une haute valeur environnementale », argue-t-il, finissant par reconnaître que la communication jouera un rôle clé. « Il s’agit d’un combat juridique fondé et sérieux qui s’accompagne d’un volet médiatique auquel nous sommes préparés », lâche-t-il. La bataille de l'opinion ne fait que débuter.