La plateforme de prise de rendez-vous médicaux Doctolib lance le 5 janvier sa toute première campagne de publicité, en forme d’hommage aux soignants. Bien que faisant quasiment aujourd’hui office de service public, l'entreprise juge que sa véritable activité n’est pas suffisamment connue.
Doctolib a-t-elle vraiment besoin de faire de la publicité ? La crise du covid a tellement renforcé sa notoriété qu’il est permis d’en douter. Sauf que. La licorne française cofondée et dirigée par Stanislas Niox-Chateau, comptant aujourd’hui quelque 2000 salariés dans l’Hexagone, en a décidé autrement. Ce 5 janvier, elle saute le pas et lance sa toute première campagne. À ses côtés : Ogilvy Paris, choisie début 2022 après une consultation d’agences. Celle-ci sera donc la première sur le marché à accompagner l’acteur du médical qui fêtera ses dix ans cette année.
Quoi qu'il en soit, si Doctolib inaugure cette nouvelle approche, c’est avec une ambition bien précise, pas loin du passage obligé désormais : révéler sa « raison d’être ». « Ce qui nous anime est le développement de services pour les soignants : logiciels de gestion de cabinets, messageries entre professionnels de santé, logiciels spécifiques pour l’hôpital, confie Marie de Vibraye, responsable marketing B to C France de l’entreprise. Les soignants sont la raison d’être de Doctolib. Le grand public sait peu que l’on améliore leur quotidien. Nous voulions le dire ». Et d’ajouter : « notre mission globale est d’œuvrer pour un monde en meilleure santé car en améliorant la vie des professionnels de santé, on permet un meilleur accès aux soins ». Traduction : Doctolib n’est pas seulement une plateforme de prise de rendez-vous médicaux ou de réservation de créneaux de vaccination. Pas question non plus de parler « d’uberisation » de la santé, tandis que l'outil supplée les secrétaires médicaux et propose des consultations à distance. C’est une plateforme de services B to B plus globale, dont le modèle économique repose sur un abonnement aux soignants.
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La difficulté, dès lors, est de parler au grand public, qui n’est pas sa cible directe. C’est ce qu’elle s’est attachée à faire dans son film, conçu en deux formats (2 minutes et 45 secondes), déployé sur son site, les réseaux sociaux et les plateformes de replay et décliné en affichage dans les villes moyennes. Orchestré par l'agence média Re-Mind PHD, le dispositif courra entre janvier et février.
Le spot, articulé autour d’une bande-son musicale – pas de texte – et jouant sur l’émotion, montre que les soignants, au-delà de leur fonction première, sont aussi des « baby-sitters », des « coachs », des « DJ », pour leurs patients. Il souligne leur passion, leur dévouement, ces qualités également applaudies le soir à 20 heures pendant la crise du covid. Pour cela, l’annonceur et l’agence ont fait appel à des comédiens mais aussi à des amateurs jouant leur rôle, ayant connu, dans leurs parcours, des maladies et des traitements plus ou moins lourds, pour cultiver une certaine « authenticité ». Des soignants ont été consultés tout au long du processus et étaient présents lors du tournage pour montrer les gestes adéquats, comme la façon de tenir un stéthoscope.
« Il fallait que ce ne soit pas tire-larmes tout en montrant que c’est beau, ce que font ces professionnels au quotidien, synthétise Matthieu Elkaim, président et directeur de la création d’Ogilvy. Et que pour cela, il faut qu’ils aient du temps. Mettre de l’émotion permet de passer outre la dimension de service numérique et montre que des hommes et des femmes sont derrière tout cela. »
Jusqu’à présent, Doctolib, comptabilisant déjà plus de 40 millions d’utilisateurs avant le Covid-19, avait donc fait sans publicité. Sans ce levier, elle a réussi à faire en sorte de devenir quasiment incontournable dans le quotidien des patients et des médecins, bénéficiant aussi du manque de visibilité de ses concurrents, comme KelDoc sur la prise de rendez-vous ou Qare sur la téléconsultation. « Aujourd’hui, 340 000 professionnels de santé, principalement en France mais aussi en Allemagne et en Italie où nous sommes présents depuis un an environ, ont été informés sur nos services », note Marie de Vibraye. L'Insee répertoriait, au 1er janvier 2022, 228 000 médecins, 764 000 infirmiers ou 73 000 pharmaciens, entre autres.
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Ses commerciaux se rendent dans les cabinets. L’entreprise s’appuie aussi sur « une stratégie RP pointue », remarque Frédéric Maillard, dirigeant de l’agence de communication santé FMad. Son patron emblématique, Stanislas Niox-Chateau, symbole de la réussite à la française, est connu au-delà du secteur médical, donne des interviews dans les médias, participe parfois à des événements, comme le dernier VivaTech. Par ailleurs, la plateforme peut remercier les pouvoirs publics de l’avoir mise en avant pendant la crise du covid. D’autres services tels que Maiia [pour lequel FMad a travaillé] l’ont été aussi mais sont restés beaucoup moins audibles. Plusieurs avaient répondu à un appel d’offres lancé par le gouvernement autour des campagnes de vaccination. Pas de quoi, pourtant, consacrer le champion de la catégorie : « se mettre au service de la vaccination a mis de côté certains de nos projets même si cela nous a apporté une visibilité indéniable », indique Marie de Vibraye, tempérant « l’idée reçue » que la plateforme aurait été largement bénéficiaire de la crise.
Plus récemment, l’été dernier, Doctolib a fait la une à cause d’une affaire de naturopathes aux méthodes contestables et de « faux » psychiatres référencés sur la plateforme. De quoi ternir son image. En interne, la communication de crise a été activée. Les réflexions ont conduit, fin octobre, à la décision de se recentrer sur les professions référencées par les autorités de santé, à la suite d’une consultation avec une quarantaine d’acteurs concernés, dont les ordres de santé, des syndicats de professionnels et des associations de patients. Moins un écueil durable qu’une « nuance de parcours », pour Frédéric Maillard : « Ils ont intelligemment répondu. Ils ont vu leur image abîmée, ils ont rectifié, par le déréférencement des professionnels posant problème. Aujourd’hui, on ne parle plus de l’affaire », estime-t-il.
Reste à voir comment la campagne continuera de faire évoluer son image, globalement « positive » quoique « écornée par les médias pour son côté monopolistique », considère encore le dirigeant, et si elle permettra d’imprimer dans les esprits la vocation que Doctolib se donne depuis sa création. « Ils ont contribué à bouleverser le système de santé en France et la manière de prendre des rendez-vous en permettant de consulter un médecin à distance, hors de sa zone géographique », rappelle FMad.
Chiffres clés
2800 Nombre de salariés de Doctolib, dont 2000 en France.
30 Nombre de villes où Doctolib est présent en France, en Allemagne et en Italie.