Le gouvernement hausse le ton en demandant aux enseignes de distribution alimentaire de cesser d'infliger à leurs fournisseurs agro-industriels des pénalités logistiques souvent devenues la norme.
Une « spécificité française » : le gouvernement hausse le ton en demandant aux enseignes de la distribution alimentaire de cesser d'infliger à leurs fournisseurs agro-industriels des pénalités logistiques. Censées sanctionner des problèmes de livraison, celles-ci servent parfois en réalité à générer un profit additionnel.
Pénalités contractuelles
Elles sont prévues dans les contrats que les supermarchés signent avec leurs fournisseurs du secteur de l'agro-industrie. Dans le cadre de négociations commerciales, les deux parties s'entendent sur le prix d'achat d'un produit, mais aussi sur ses modalités de livraison. Si le contrat n'est pas respecté, ces pénalités peuvent s'appliquer. Le problème est qu'elles sont devenues « de plus en plus une source de profits à elles seules, et de moins en moins la simple sanction d'un manquement contractuel », estimait la commission des Affaires économiques du Sénat dans un rapport en juillet. Il ne s'agit que d'une « indemnité d'un préjudice quand le produit n'est pas livré » à temps ou dans de bonnes conditions, défend Jacques Creyssel, délégué général de la FCD et représentant de la grande distribution. « Un produit qui n'est pas livré, ça veut dire rupture en rayon, ça veut dire perte de chiffre d'affaires pour le magasin », assure-t-il.
Bras de fer
Le gouvernement estime que certains distributeurs détournent ces pénalités « pour se refaire une santé financière » sur le dos des fournisseurs. Début septembre, l'émission Complément d'enquête sur France 2 citait d'anciens salariés d'enseignes de la grande distribution expliquant que des pénalités étaient infligées quand quelqu'un livrait « un quart d'heure en retard parce qu'il y avait des bouchons en région parisienne » ou délivrait un « colis non conforme ». Selon l'Ania, organisation professionnelle de l'agro-alimentaire, ces pénalités ont pesé en 2021 en moyenne 0,35% du chiffre d'affaires d'une entreprise du secteur. Le gouvernement estime que ces pénalités sont d'autant plus préjudiciables pour les entreprises agro-alimentaires qu'elles font face à de fortes hausses de leurs coûts de production dans l'énergie, les transports, l'emballage... Les industriels ne parviennent pas à répercuter intégralement ces hausses de coûts sur les tarifs auxquels ils vendent leur production aux supermarchés.
Moratoire sur la pratique
Le gouvernement a demandé aux enseignes un « moratoire » sur la pratique. Il a même salué vendredi 30 septembre la position des discounters d'origine allemande Lidl et Aldi, qui « n'appliquent pas de pénalités logistiques » à leurs fournisseurs, ainsi que de Système U, qui a mis en place un « moratoire des pénalités sur les PME ». Mais « ça ne suffit pas aujourd'hui », estime le gouvernement, qui appelle à leur suspension. Cet appel n'a rien de contraignant, mais « il a été clairement signifié » aux enseignes que « faute de prise de conscience, d'autres voies et moyens seraient mis en œuvre », a dit le ministère de l'Agriculture, évoquant une « spécificité française dont on se passerait bien ». Le ministère pense à un « renforcement de la réglementation » voire une « interdiction de la pratique » en précisant que cette dernière piste n'était toutefois « pas envisagée en tant que telle pour l'instant ».
Distributeurs remontés
« Lorsqu'une promotion est annoncée et que les clients ne trouvent pas le produit concerné, le responsable à leurs yeux, c'est le magasin », explique à l'AFP un porte-parole de Système U. Or, « on connaît aujourd'hui de petits problèmes d'approvisionnement » avec un taux de ruptures en rayon anormalement élevé et « une interdiction des pénalités pourrait encore renforcer cette absence de produits », selon lui. « Quand on est face à de vraies justifications, par exemple du côté des PME, avec des difficultés à trouver des chauffeurs par exemple, c'est normal » de ne pas infliger de pénalités, abonde Jacques Creyssel, de la FCD. « Mais c'est-ce que prévoient les textes, il y a un dispositif d'encadrement très précis et c'est pourquoi on ne voit pas la raison d'un moratoire généralisé ». Les distributeurs accusent en outre les industriels de profiter de l'inflation pour augmenter leurs marges. Interrogé sur cette affirmation, le gouvernement a indiqué qu'une « mission d'évaluation » a été commandée à l'Inspection générale des finances (IGF) « pour savoir comment les marges des différents acteurs ont été touchées par l'inflation ». Le rapport est attendu courant novembre.
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