Interview
Le groupe SNCF lance une grande campagne en TV, affichage et digital conçue par Publicis Conseil afin d’affirmer son positionnement. Explications avec Stéphanie Rismont, directrice de la communication et de la marque du groupe SNCF et Agathe Bousquet, présidente du groupe Publicis en France.

La création de Ouigo et InOui devait reléguer la marque corporate SNCF au second plan. Pourquoi prendre malgré tout la parole en grands médias ?

Stéphanie Rismont : Notre ambition consiste à redonner du corps, de la valeur et du contenu à la marque SNCF afin de renforcer nos liens avec les Français. Il n’y a pas d’opposition entre la SNCF et les marques commerciales mais une complémentarité. L’une sert les autres, et vice-versa. Et compte-tenu de l’ouverture à la concurrence qui démarre, selon les médias, en fin d’année, c’est très important de reprendre la parole en tant que marque SNCF.

Quel a été le brief de cette campagne conçue par Publicis Conseil ?

SR : Nous voulions une campagne humaine qui soit à hauteur de femmes et d’hommes. Nous voulions lancer un cri d’amour aux Français et aux cheminots pour recréer du lien. L’objectif est de faire aimer cette marque, celle d’hier, celle d’aujourd’hui et celle de demain. On dit souvent que la SNCF est un petit morceau de la France. C’est ce que nous voulons exprimer. Il ne fallait pas que cela soit trop institutionnel, nous cherchions des codes nouveaux. J’ajoute que nous avons façonné la plateforme de marque en amont autour de trois piliers : une mobilité verte, inclusive, une croissance partagée sur tous les territoires.

Ce qui saute aux yeux dans cette campagne, c’est la voix de Gaël Faye. Pourquoi l’avoir choisi et qu’apporte-t-il au propos ?

Agathe Bousquet : Le brief avait une dimension profondément humaine. Donc nous cherchions un artiste qui le soit aussi, et qui incarne également un parler vrai. Quelqu’un qui soit sincère, réaliste, poignant, qui sache mêler humour et poésie. Gaël Faye correspond en termes de tonalité, d’émotion et son histoire – il est né au Burundi et a grandi en France – en fait un témoin d’une mobilité contemporaine. Il est symbolique de ce que nous voulions raconter de la France.

« Grand râleur », « parfois en retard » … C’est peut-être la première fois que la SNCF aborde ces points de friction de façon aussi frontale.

SR : Cela illustre bien ce que doit être la communication aujourd’hui et j’y crois profondément. Nous ne devons pas faire l’autruche, il faut accepter de ne pas être parfait, et expliquer comment nous faisons pour nous améliorer. Mais surtout la communication doit dire la vérité, « no bullshit com ». Il y a aussi une pointe d’humour, de l’humilité et beaucoup de sincérité. C’est vrai que le ton est nouveau, et c’est bien la façon dont j’entends piloter la communication à la SNCF.

AB : Si nous ne prenions pas en compte les défauts, la déclaration d’amour ne serait pas sincère. Pour qu’on regarde de manière positive cette marque, il fallait aussi prendre en compte les irritants. Ainsi nous disons que nous sommes « parfois en retard, mais pas retardataire ».

Ce film sonne comme une ode à la diversité mais dans quelle mesure est-ce un aspect attendu des usagers du train ? Vous ne parlez pas du prix.

SR : La diversité est très importante parce qu’elle correspond à la France d’aujourd’hui. Nous avons des fractures partout dans ce pays : territoriales, sociales, statutaires… Nous avons voulu exprimer cette diversité au sens large parce que je pense qu’à la SNCF, nous avons, je dirais, un rôle de conciliation et de réconciliation à jouer. Peu d’entreprises peuvent avoir cette posture de vouloir réconcilier l’économie et l’écologie, les territoires entre eux. La SNCF, ce n’est pas que la longue distance. Tout le monde a accès au train, dans son quotidien. Notre signature traduit bien cet état d’esprit « SNCF, pour nous tous ».

Quels ont été les grands axes de la recommandation de Publicis Conseil ?

AB : Cette entreprise, au fond, est moderne, d’utilité publique, écologique, inclusive, et elle incarne une vision humaniste de la mobilité à la française. Ce que nous avons voulu exprimer, c’est donc un engagement, d’où la nouvelle signature qui a été choisie : « Pour nous tous. ». En création, il fallait pouvoir le dire avec magie, avec poésie. Marco Venturelli [président de Publicis Conseil en charge de la création] a souhaité que cette déclaration d’amour parle à tous, touche le cœur de tous les Français, du Nord au Sud, d’Est en Ouest. Nous avons travaillé avec Gaël Faye pendant la compétition et avions déjà quelque chose de très proche du film final. La campagne a été tournée dans des lieux de la SNCF avec des cheminots volontaires. C’est donc un territoire de marque juste car il est très connecté à ce qui est identitaire de la SNCF.

Pouvez-vous nous décrire ce qu’apporte ce territoire de marque ?

SR : Au-delà des aspects déjà évoqués, j’ajouterais que nous voulons mettre en avant l’engagement des cheminots. En arrivant à la SNCF – et j’ai pourtant été dircom de Danone -, j’ai été frappée par leur incroyable engagement. Une autre chose étonnante, c’est la porosité entre l’interne et l’externe ; j’ai toujours pensé que dans une direction de la communication, il ne fallait jamais séparer les deux. Avec 140 000 cheminots répartis sur le territoire, la communication est à la fois dedans et dehors.

Les cheminots n'ont pas été mis en avant par le président Macron comme les soignants alors qu'ils ont eux aussi assuré leur service pendant la pandémie. Est-ce que ce rôle a été perçu par les voyageurs ? Quid de la perception en interne ?

SR : C’est vrai que les cheminots ont été en première ligne. L’entreprise a tenu, ce qui était une prouesse technique. Il a fallu arrêter les trains, presque du jour au lendemain, puis les redémarrer pour accompagner la reprise. La SNCF, qu’on dit parfois lourde, a quand même fait preuve d’une agilité assez extraordinaire – ce qu’elle a aussi montré avec les TGV sanitaires. Tout cela a été possible grâce à l’engagement des cheminots.

En quoi le Covid a changé l’image de la SNCF ?

SR : Dans les baromètres, on sent qu’il se passe quelque chose. Est-ce lié à notre mobilisation dans la crise Covid ? Est-ce lié au travail fait depuis plusieurs années sur le service au client ? Est-ce la politique tarifaire ? Je constate que depuis six mois, le baromètre d’image est plutôt positif et s’améliore.

Le ferroviaire tire son épingle du jeu face à l’aérien et est 50 fois moins émetteur de CO2 que la voiture (pour l’instant), ce que vous ne manquez pas de souligner. Or, deux tiers des voyageurs se moqueraient de l’écologie…

SR : Quand Jean-Pierre Farandou est arrivé à la tête de la SNCF, il a défini un projet d’entreprise - « Tous SNCF » -, qui s’appuie sur quatre lignes de force : l’humain, l’innovation et le digital, les territoires et l’environnement. C’est, je pense, la première fois que nous communiquons de façon aussi forte sur l’atout écologique du train par rapport à la voiture ou à l’avion, et nous allons continuer. Même si les autres modes de transport vont trouver des alternatives plus écologiques, l’avantage du train est qu’il est déjà là. Le prix n’exclut pas l’écologie. Mais je pense quand même qu’il y a un mouvement. La planète brûle. L’atout écologique est un contributeur du choix du transport, notamment chez les jeunes mais pas seulement. Je vois que les anciennes générations sont poussées par les jeunes qui deviennent prescripteurs, c’est une première.

Vous avez commencé 2021 en choisissant Publicis Conseil pour votre communication corporate. Pourquoi tourner le dos à TBWA après 20 ans ?

SR : À mon arrivée, je n’ai pas dit qu’il fallait changer d’agence. Il se trouvait que le contrat avec TBWA arrivait à son terme et que dans le cadre de l’appel d’offres, c’est la proposition de Publicis Conseil que nous avons préférée. Nous avons eu un coup de cœur car ils ont compris notre ADN alors qu’ils n’avaient pas travaillé avec nous avant. J’ai aimé la tonalité et le côté humain mais j’ai aussi eu un coup de cœur pour l’équipe qui est venue au pitch. Mais c’était un choix difficile et je vais être honnête, TBWA a aussi été très bon.

Comparé aux autres clients de Publicis, que pèse la SNCF dans votre portefeuille ?

AB : La SNCF était déjà un client important pour nous avec les médias, remportés par Zenith il y a huit ans. Nous avons aussi beaucoup accompagné ce client en digital et travaillé avec pour des événements. Ce gain sur la partie publicitaire renforce nos liens et la SNCF fait désormais partie de nos grands clients.

Pouvez-vous nous décrire le plan média conçu par Zenith ?

AB : Nous travaillons main dans la main avec Zenith, le rôle stratégique des médias est clé. Le film sort dimanche 29 août avec une campagne intensive en TV, puis il sera relayé en digital et soutenu par une campagne de preuves en affichage dans les gares et sur les réseaux sociaux. Nous assumons le côté « grand format » de 90 secondes avec beaucoup de visibilité. Après, nous aurons trois petits spots de 30 secondes avec chacun un zoom sur l’écologie, la croissance partagée et l’inclusion.

Quelle sera la direction des investissements médias jusqu’à fin 2021 ?

SR : Nous sommes une entreprise publique et donc un euro dépensé, c’est un euro d’argent public. Par ailleurs, la crise a un énorme impact sur nos résultats donc nous sommes très regardants sur les dépenses.

Comment s’articule la communication entre Corporate et Voyageurs ?

SR : Nous avons travaillé sur la plateforme de marque groupe et les autres SA (Voyageurs, Fret…) travaillent également sur une déclinaison de leur plateforme de marque, avec une cohérence d’ensemble. Lorsque je suis arrivée, j’ai mis en place un directoire de la communication. C’est une instance de gouvernance des dircoms des sociétés du groupe qui se réunit tous les 15 jours et qui nous permet d’articuler nos prises de parole, de leur donner plus de cohérence et donc plus d’impact. Par exemple, l’atout écologique est évidemment mis en avant sur les campagnes de Voyageurs [TGV InOui, Ouigo…]. L’un nourrit l’autre, et vice-versa. Mais c’est sûr que nous n’allons pas faire de campagne corporate sur InOui, qui est axé sur la pub commerciale.

Vous fêtez les 40 ans du TGV en septembre. La grande vitesse rayonne-t-elle autant qu’avant ?

SR : La grande vitesse a transformé le pays en rapprochant les territoires et les Français, et en donnant accès à des destinations éloignées à des tarifs compétitifs. C’est dans cette période qu’est né le Concorde, qui a connu un sort tragique. Il y a aussi eu l’émergence de la voiture individuelle dont le modèle évolue mais pose quand même question. En 2024, nous lancerons le TGV M qui sera encore plus écologique, plus connecté, plus adapté aux aspirations des voyageurs mais qui ne cherchera plus à battre des records de vitesse. Nous ne sommes plus dans cet état d’esprit-là.

Qu’allez-vous prioriser d’ici la fin du mandat de Jean-Pierre Farandou fin 2023 ?

SR : Une bonne communication laisse une trace dans le temps, et s’appuie sur des preuves, donc nous n’allons pas en changer d’ici-là. Nous allons continuer avec mes équipes à valoriser les axes du plan de transformation et veiller à l’alignement permanent entre l’interne et l’externe. Cet aspect, ainsi que la proximité et l’humain, sont très importants pour Jean-Pierre Farandou. C’est pour cela que la SNCF porte ce message de réconciliation. Je le répète mais nous sommes une des seules entreprises à pouvoir le faire et donc à pouvoir le dire.

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