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Le handicap reste un segment marketing encore peu exploité par les marques en France. Et quand elles le font, elles doivent être conscientes des limites de l’exercice, pour ne pas être qualifiées d'opportunistes.

Des minorités ethniques plus visibles, des personnalités de la communauté LGBTQ plus intégrées… Ce n’est plus une surprise, les discours progressistes des annonceurs mettent l’accent sur un besoin nécessaire d’inclusivité. Mais la course à l’inclusion passe aussi par le handicap. «Dans les briefs, il y a une attente plus présente des clients depuis 3 ou 4 ans sur le marché français contrairement aux marchés américain et anglais où cette réflexion d’agence remonterait, je dirais, à un peu plus de 5 ans, observe Sebastian Cuturi Cameto, vice-président de Leo Burnett Paris. Le marché publicitaire français a souvent un temps de retard dû à une frilosité des annonceurs et des publicitaires. Pour autant, cela ne signifie pas qu’avant, les agences, n’intégraient pas des personnes en situation de handicap dans leurs publicités, mais elles le font de plus en plus», embraye-t-il.

En quelques années, les initiatives «individuelles des agences» ont cédé leur place à un «mouvement de fond». Mais attention, exploiter le handicap comme une idée créative demande beaucoup de prudence. À commencer par l’emploi de la bonne terminologie. Céline Mazza, planneuse stratégique chez Buzzman et Louis Chahan, planneur stratégique chez BETC, s’accordent à dire que la terminologie «personne en situation de handicap» est la plus appropriée.

Handicap : quand la pub brise un tabou

Pour Louis Chahan, la limite de l’exercice est «de traiter le handicap ni comme un atout ni comme un défaut, et de ne pas dévaloriser ou survaloriser la personne en situation de handicap. Il faut éviter de tomber dans le syndrome du super-héros», plus largement de "l’inspiration porn"», indique-t-il, préjugé selon lequel les personnes en situation de handicap sont une source d’inspiration en raison de leur handicap. En d’autres termes, «faire du handicap son point de focale reviendrait à biaiser leur histoire», résume Sebastian Cuturi Cameto.

Face à cet enjeu d’objectivité du handicap, Céline Mazza alerte les marques de beauté, de mode et de luxe sur le fait de ne pas considérer le handicap comme un élément de différenciation. «En signant sa campagne "Unconventional Beauty", Gucci distingue le côté conventionnel du côté non conventionnel. Or, c’est la notion-même de norme qui doit être gommée aujourd’hui. En mettant en avant ce côté binaire, Gucci n’est pas clair dans sa démarche», considère-t-elle. En 2020, Gucci Beauty avait fait appel à trois nouvelles égéries, dont Ellie Goldstein, mannequin atteinte de trisomie 21. Une première dans l’histoire de la marque.

Toujours dans le secteur de la mode et du luxe, de nombreux annonceurs semblent avoir tracé le même sillon. «Aaron Philip, mannequin transgenre en chaise roulante [pour Moschino], Jillian Mercado, égérie en chaise aussi, Melanie Gaydos, mannequin atteinte du syndrome de Christ-Siemens-Touraine», liste Louis Chahan. Pour Céline Mazza, l’égérie, le figurant ou le mannequin, ne doit pas être mis en avant pour son handicap, mais bien pour «ses valeurs, sa personnalité ou son métier», qui prend en exemple la dernière campagne d’affichage et télé d’Engie «J’agis avec Engie» signée Publicis Conseil. On y voit une jeune fille peindre assise sur son fauteuil roulant qui «passait presque inaperçu dans l’histoire», a-t-elle observé. En 2008, Buzzman réussit le pari dans sa campagne «Le Théâtre 42» pour l’opérateur mobile low cost néerlandais Simyo France, en jouant sur l'autodérision de l’acteur belge Pascal Duquenne, atteint de la trisomie 21 (prix d’interprétation masculine à Cannes en 1996 pour Le Huitième Jour). Ici ce n’est pas le handicap qui est mis en avant, mais bien le talent du comédien. «Vous avez vu ? Je suis un peu différent! Mais en fait, je suis comme vous», raille Pascal Duquenne sur la scène d’un théâtre. 

Autre constat, de nombreux annonceurs proposent une traduction archétypale du handicap en illustrant leurs campagnes par des personnes «en fauteuil roulant, portant des lunettes opaques, accompagnées d’un chien guide ou amputé», déplore Louis Chahan. Or selon plusieurs études, 80% des handicaps sont invisibles.

La difficile communication autour du handicap

Dans le paysage publicitaire mondial, leur présence est encore relativement gommée. «Seuls 15% des spécialistes du marketing dans le monde ont déclaré se souvenir que les personnes handicapées avaient été présentées de manière positive dans leurs récentes campagnes*», soulève Louis Chahan. Et selon Zebedee Talent (pour Terra Femina), agence de mannequins londonienne qui a fait appel à Ellie Goldstein pour Gucci Beauty, «seulement 0,06% des modèles de publicité seraient en situation de handicap.» À noter que la structure a fait le choix de ne travailler qu’avec des personnes en situation de handicap.

En attendant, Louis Chahan et Céline Maza notent la présence de campagnes liées aux usages. C’est le cas notamment d’Ikea avec «ThisAbles» qui portait sur des accessoires s’adaptant aux meubles et facilitant ainsi leur utilisation par des personnes handicapées.

Ce qui est certain, c’est que le changement de discours des annonceurs ne peut être dissocié de la politique interne de l’annonceur ou de l’entreprise. Au risque d’être accusé d’opportuniste. «Cet enjeu de cohérence entre l’interne et l’externe, nous l’avons aussi en tête en tant qu’agence et c’est valable pour les autres catégories minoritaires», lance Louis Chahan. Pour rappel, le ministère du Travail demande à tout employeur d'au moins 20 salariés, d’employer des personnes en situation de handicap dans une proportion de 6% de l'effectif total. 

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