Culture
Olivier Lazzarini, directeur marketing du théâtre Mogador, revient sur la gestion de la crise au sein de ses équipes. Communication interne, organisation, management... Il livre aussi sa vision de la perception de la culture par les autorités, de l'utilisation du numérique et de la place du théâtre face aux contenus en ligne.

Comment encaissez-vous les annonces du gouvernement du 10 décembre et la non-réouverture des théâtres ?

En réalité, cela n’a pas été une surprise. Il y avait des rumeurs depuis quelques jours. Nous avons caressé l’espoir pendant plusieurs jours de croire que les contraintes seraient renforcées avec la possibilité d’ouvrir, mais non. C’est dur car nous avions tout préparé pour recommencer le travail sur les répétitions de nos prochains spectacles, et prévu d’accueillir «Mon premier Lac des Cygnes», produit par la société Play Two. Nous avions remis la machine en route, nettoyé les salles, les lumières... Et là nous sommes obligés de tout rééteindre, et de renvoyer les gens chez eux en attendant début janvier...

 

Comment réagissent vos équipes après des mois et des mois de fermetures ?

Les gens sont fatalistes. Ils se font une raison. De notre côté on entretient la relation avec eux. Nous privilégions la proximité, et continuons à être au plus près. Nous leur apportons d’autres activités. Nous avons tourné des vidéos, dernièrement en faisant intervenir des techniciens, des ingés lumière... Le but c’est de bien rappeler aux gens qu'ils ont une utilité et que oui, «ça redémarrera », qu’ils ne sont pas laissés dans un coin ou mis de côté. Notre direction a réuni tous les managers, et a insisté sur le lien de proximité à avoir avec les équipes. Qu’elles peuvent compter sur nous, comme nous dans le futur, nous compterons sur elles.

 

Comment avez-vous géré les équipes depuis le début du confinement ?

Nous avons réagi très vite, et avons mis en place une organisation immédiatement, dès que nous avons compris que nous serions frappés par des mesures de restriction et d’empêchement de se regrouper. Et donc, très vite, que ce soit au niveau du groupe, Stage Entertainment, basé au Pays-Bas, ou au niveau local, au sein des théâtres, nous avons communiqué avec les salariés. Localement, c’était plus simple au tout début, car on pouvait se réunir dans une salle et délivrer un message à toute l’équipe. Le but c’était surtout de donner le sentiment que le siège n’était pas “loin de nous”, et qu’il avait conscience de ce qu’il se passait dans les théâtres. Ainsi, pour tout le groupe, une lettre d’information était rédigée tous les vendredis, puis tous les 15 jours à partir de mai. Nous avons 30 personnes en permanents en France, mais en pratique c’est beaucoup plus. Lorsqu’on compte toutes les équipes sur un spectacle, cela représente 160 personnes... Et nous sommes présents dans de nombreux pays en Europe ou aux Etats-unis.

 

Que contenait cette lettre exactement ? Vous parliez de la pandémie ?

Vous savez, pas plus que les hommes politiques ou les scientifiques notre CEO n’a la réponse exacte aux questions qu’on peut se poser. Il existe de nombreux points sur lesquels personne ne peut apaiser les craintes. En revanche, il était important de rassurer sur ce que l’on pouvait affirmer. En ce cas, que le groupe était soutenu par ses actionnaires, que ces derniers étaient présents à cos côtés. Si on a fait des demandes de chômages partielles, il fallait indiquer que nous avions les reins solides malgré tout, les mesures prises (Prêt Garanti par l’Etat...) en toute transparence. Enfin, pour rassurer vraiment les équipes, il faut donner une vision globale. Le fait que le groupe soit international permettait de partager ce qu’il se passait dans les autres pays, sortir du brouhaha médiatique. Nous avons mis en avant des initiatives, réuni des artistes pour des témoignages ou des clins d'oeils artistiques, nous avons organisé des interventions de «sachants». Tous les vendredis, c’était un rendez-vous. Une sorte d’Académie interne avec des conseil pour bien vivre le confinement, prendre soin de soi, se former aux métiers des autres. Nous avons réalisé des portraits de collaborateurs de différents pays. Le but était vraiment de démontrer que la société était vivante et active, et que non, on refusait de se précipiter dans le mur. Encore aujourd’hui nous continuons. Avec la perspective de vaccin, le ton devient plus jovial mais sachez que jamais nous n’avons succombé au pathos ou au drame.

 

Quel était votre rôle à vous ?

Je suis l’intermédiaire local en France du groupe. Je m’assurais que tout était bien reçu, je traduisais car c’était en anglais, je m’occupais des portraits français, de présenter les initiatives. Et surtout je faisais aussi remonter au CEO les remarques positives ou moins positives que l’on avait en France. Le responsable de la com c’est aussi le responsable de l’écoute.

 

En octobre, puis en novembre, l’exécutif n’a eu aucun mot dans ses discours sur le monde de la culture. Les mots «musée» ou «théâtre» n’ont même pas été évoqués. Comment avez-vous géré cette invisibilisation ?

Nous en avons parlé. Il faut en parler. Mais surtout pour expliquer que «tout le monde se regarde le nombril» et c'est bien normal. Le discours aurait pu, oui, englober plus de gens, et par intention ou par maladresse, cela n’a pas été fait. Cela dit, en coulisse, on sait ce qu’entreprend la ministre de la culture, il y a un travail intense de discussion avec Roselyne Bachelot. Et c’est ce que l‘on a expliqué aux collaborateurs. Derrière ce silence apparent, paradoxalement médiatique, il y a de continuelles discussions pour préserver le secteur. Ce dialogue n’est pas médiatisé mais il y a un dialogue quand même. Quand une ordonnance est publiée pour permettre aux producteurs de proposer des avoirs plutôt que de rembourser les spectacles et préserver ce trésor de guerre, c’est important pour le secteur. Mais il faut encore dialoguer. Sur la question de la jauge dégradée, par exemple. Quand vous limitez à X personnes dans une salle, des lieux, des productions, des artistes et des techniciens ne le vivront pas bien, voire ne s’en remettront pas. C’est là que le discours interne est une chance, car il permet d’appréhender le long terme et d’être plus régulier. Tous les soirs, avec chaque patron de pays, nous participons à une réunion avec le Board aux Pays-Bas. Nous faisons un point sur la situation, nous évoquons tous les problèmes, et le Board répond à nos questionnements. C'est une grande source d’inspiration de voir ce qui se fait en Allemagne, en Espagne, en Italie... Cela permet d’enclencher un front d’action commun au niveau européen.

 

Le numérique vous a-t-il permis de continuer à avancer sur certains spectacles ?

Nous avons deux grands spectacles de prévus: le Roi Lion, déjà décalé deux fois à mars 2021, puis à septembre 2021, et un spectacle en coproduction avec le Théâtre de Paris, inédit en France, avec Alexis Michalik. Tout le processus d’écriture, d’adaptation, de travail préalable à la mise en scène, les décors, les costumes, les échanges sur les partitions peuvent être réalisés à distance et nous avons avancé ainsi. Nous avons mis en place des cours de claquettes pour les comédiens ou danseurs, également en groupe réduit ou en distanciel. La technologie permet ce genre de choses, elle augmente les disponibilités, c’est plutôt positif, mais nous ne devons pas oublier que nous travaillons dans le spectacle vivant, qui consiste à confronter des sensibilités, pour cela il faut du contact humain. Tout ne se traduit pas en vidéos ou en images. Les artistes ont besoin de se retrouver ensemble, d’échanger, de se côtoyer, d'être confrontés aux réactions de leur public. C’est ce qui fait aussi l’essence d’un spectacle.

 

Pendant cette période, les contenus en ligne ont considérablement explosé. Ne craignez-vous pas que le public, notamment les jeunes, prennent cette habitude et viennent encore plus rarement au spectacle ensuite ?

C’est une crainte, et cela concerne tout le public, pas que les plus jeunes ou les enfants. C’est sûr que la prolifération d’offres en ligne, quand on est posé dans son canapé avec une pizza sans déplacement et à moindre frais, est une concurrence terrible pour le monde du spectacle. Je fais partie de ceux qui disent oui au contenu en ligne. Nous y avons participé d’ailleurs, mais selon moi, ça ne peut être une alternative. Cela vient en complément. Il y a dans un spectacle une attention que vous ne trouvez pas ailleurs. Que ce soit les petits ou les grands, vous devez être attentifs pour ne pas perdre le fil. Il se passe beaucoup de choses sur une scène. C’est le fond de notre discours, que nous essayons de rendre le plus pertinent possible et de dire le plus fort que l’on peut: le théâtre n’est pas qu’un divertissement. C’est une école de la vie, un apprentissage de la vertu et de l’exemplarité. Nous réfléchissons beaucoup et encore davantage aujourd’hui pour accueillir les jeunes publics. Les inciter à voir un spectacle plutôt que de regarder trop de séries ou des émissions de téléréalité sur un petit écran. Loin de nous l’idée d’exclure le reste, mais juste faire comprendre que lorsqu’on vient voir des artistes sur une scène, avec un orchestre, des lumières, des costumes, du maquillage, il y a un effet magique qu’aucun jeu vidéo ou qu’aucune série, même la meilleure, ne restituera. Faire comprendre cela est un magnifique défi, et nous sommes prêts à le relever. En espérant se refaire une santé dans les mois qui viennent, nous transmettrons l’idée que lorsque nous vivons une expérience à 1590 personnes dans une même salle, nous partageons de fait, davantage que tout seul derrière son écran.

 

 

 

 

 

 

NB: Olivier Lazzarini est d'abord intervenu dans le cadre du Grand Forum de la Communication de l’Iscom. L'entretien a été réalisé suite à sa présentation. 

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