Dossier Nouvelles écritures
Il y a eu les magazines, les vidéos à la Brut, les podcasts, et aujourd’hui TikTok. Au-delà des formats, le brand content est l’art de raconter des histoires qui ont du sens. Le point sur les nouvelles formes d’écritures de marque les plus pertinentes.

On a coutume de dire que les marques sont devenues, ces dernières années, de véritables médias. « Depuis dix ans, le contenu de marque a connu une transformation fulgurante du fait des réseaux sociaux. Ils lui ont donné sa forme et ses canaux de diffusion », souligne Lionel Curt, fondateur de l’agence MNSTR et vice-président de BCMA France, la Brand Content Marketing Association. Pour autant, la présence des marques sur les plateformes digitales ne garantit pas qu’elles sachent articuler leur discours, trouver le bon ton, le bon angle, la bonne longueur. C'est là qu'interviennent les spécialistes du brand content, devenus des stratèges capables de définir un arc narratif déployé sur différents supports. Podcast, interview vidéo, slow content et même long-métrage, quels sont les nouveaux contenus de marque qui fonctionnent le mieux ? Les professionnels du secteur livrent leurs conseils à Stratégies.

 

Tout le monde veut son podcast

« En 2020, les marques sont beaucoup plus au fait de l’audio. Les responsables écoutent des podcasts et sont prêts à se lancer. Notre métier est de les aider à trouver leur voix », témoigne Katia Sanerot, directrice associée de Louie Media. Si le podcast a progressé à bas bruit depuis deux ans, cette année a vraiment vu son décollage. En 2019, le studio fondé par les journalistes Charlotte Pudlowski et Mélissa Bounoua a effectué une levée de fonds, ce qui lui a permis de recruter sa nouvelle directrice venue de Madame Figaro. Ses programmes phares, comme Émotions (300 000 écoutes par mois), servent de produits d’appel pour des productions sur mesure, parfois en marque blanche. « La voix est le média de l’intime, avec une consommation très personnelle, à 90% dans des écouteurs. Cela permet aux marques de s’exprimer sur des sujets plus complexes, plus longuement qu’en vidéo », assure Katia Sanerot. Propice à la confession au creux de l’oreille, le podcast est adapté au traitement de sujets tabous, comme la constipation abordée par Hépar et Binge Audio dans la série Chroniques de l’intérieur, qui mêle autofiction et conseils d’experts. Nouvelles Écoutes a produit le programme Mon corps, ce héros by Clarins, consacré au corps des femmes pendant la maternité. Dans le luxe, Dior Untold, conçu par MNSTR et le studio Engels, plonge dans les secrets de la maison et de son créateur. Le podcast est aussi un bon format pour s’adresser aux 18-35 ans, avec un engagement exceptionnel, mesuré par le taux de complétion (écoute jusqu’à la fin) et le partage sur les réseaux sociaux.

 

L’interview vidéo pour humaniser son discours

Comme le podcast, l’interview marque la volonté d'une communication plus intime et authentique. Si les vidéos « à la Brut », ou façon Fast & Curious de Konbini, sont un peu galvaudées, les annonceurs plébiscitent le témoignage personnel pour leur site de marque ou leurs réseaux sociaux. En 2019, Natixis a par exemple lancé une série de reportages sur sa marque employeur, « Much more than a job », à base de portraits de salariés de moins de 30 ans. « La banque a su lâcher prise avec ce qu’il faut dire ou ne pas dire et a simplement cherché à montrer le quotidien de jeunes avec vérité et transparence », explique Ava Eschwège, directrice de AdC-L’Agence de Contenu, qui a conçu ce programme avec la société Particules Productions.

Marque réputée un peu froide, René Furterer a repensé sa communication sur les réseaux sociaux à la façon d’un magazine découpé en rubriques : « Hair doctor » (le courrier du coeur des problèmes capillaires), « First time » (mini-fictions)… « Le sujet du cheveu est saturé sur les réseaux sociaux, il fallait le raconter avec un angle et un ton singuliers. Au-delà des tutoriels, on voulait raconter de vraies tranches de vie, inviter à la confidence », justifie Camille Banon, directrice de la stratégie de l’agence La Nouvelle. Pour Cellier des Dauphins, 1969 a réalisé des portraits de vignerons dans leur exploitation, diffusés sur Instagram. « Avec la distanciation sociale, les marques ont encore plus besoin de créer du lien en ligne, de se raconter, d’expliquer leurs valeurs, assure Benoît Bergeaud, cofondateur de l’agence digitale. Les tournages sont aussi allégés, ce qui donne un côté authentique. Pendant le confinement, on a vu beaucoup de live, sans fioritures, qui donnaient la priorité aux histoires. »

 

L’écrit pour ralentir

Prendre le temps de raconter une histoire, cela passe aussi par l’écrit. La vitesse des réseaux sociaux a créé par contraste le besoin de ralentir, d'où le succès du « slow content ». Les éditeurs de presse proposent leur propre offre de contenus à destination des marques. CMI a par exemple développé avec le magazine Elle des reportages originaux mêlant textes longs et vidéos de 4 minutes autour de marques d’art de vivre, comme la fabrication du sac Dauphine de Louis Vuitton ou une visite de l’hôtel Crillon Le Brave en Provence. Chez Condé Nast, le studio de contenu CNX a conçu pour le champagne Perrier-Jouët un livre de 200 pages interrogeant des artistes sur leur rapport à la nature. Pour Sofitel, il a aussi réalisé un magazine autour de personnalités françaises. « Grâce à l’expérience de nos journalistes et de nos stylistes, on garantit une compréhension des codes du moment et des attentes des consommateurs », confie Sarah Herz, directrice de CNX France. Ava Eschwège, chez AdC-L’Agence de Contenu, défend aussi le « brand journalism », qui applique les techniques du journalisme à la communication : « Les médias savent trouver les bons formats car ils sont orientés lecteur avant tout. »

 

Toucher des cibles différentes : TikTok, Pinterest

Le secteur n’en a pas fini avec le contenu « snackable », à picorer sur son smartphone, surtout pour une cible jeune toujours prête à scroller avec son pouce. TikTok, avec ses vidéos de 15 secondes maximum, touche 10 millions d’utilisateurs en France, qui ont principalement entre 16 et 25 ans. Mais est-il possible d’y créer une relation durable avec une marque ? « On peut raconter une histoire sur TikTok au même titre que sur Instagram. C’est devenu une plateforme vidéo comme les autres pour la génération Z qui apprécie son approche authentique, divertissante. Instagram, c’est presque trop vieux pour eux ! », estime Christophe Huck, fondateur et directeur de création de Helmut Agency. L’agence a ainsi créé du contenu ludique pour les parfums Cacharel en association avec des influenceuses. « TikTok, c’est le YouTube de 2020, il faut le prendre comme un studio créatif », renchérit Benoît Bergeaud de 1969.

Autre plateforme intéressante pour toucher un public particulier : Pinterest, qui revendique 18 millions de visiteurs mensuels, CSP+ à 44%, attirés par des centres d'intérêt tels que la beauté, la mode, la décoration et la cuisine. Les marques peuvent y proposer du contenu organique via leur compte mais aussi s'insérer dans des formats originaux co-créés avec l’application. « En croisant l'ADN de la marque avec les données de recherche collectées sur Pinterest, nous parvenons à identifier des concepts originaux pour les marques en phase avec les attentes des consommateurs, affirme Johan Gipch, directeur des partenariats pour l’Europe du Sud. Nous pouvons ensuite faire appel aux meilleurs creators (influenceurs) de la plateforme pour produire les contenus. Le brand content a une place légitime sur Pinterest, 83% des utilisateurs déclarent avoir déjà fait un achat initié par un contenu de marque qu'ils ont découvert sur la plateforme. »

 

Du contenu à la création d’événement

Parfois, le contenu ne se limite pas à l’écrit, l’audio ou la vidéo. Ce peut être une exposition, une conférence, voire un nouveau produit. Les professionnels du contenu se transforment alors en agences d’événementiel. Pour l’ouverture de l’hôtel Tribe d’Accor dans le quartier des Batignolles à Paris, Social and Stories (groupe Figaro) s’est occupé de la curation culturelle, invitant un photographe, Stanislas Liban, à prendre des photos du quartier avec son oeil artistique. « Il n’y a pas de recette miracle avec le contenu. La clé, c’est d’être curieux et de changer de forme en permanence en fonction de la marque », soutient Guillaume Pommier, son directeur délégué.

CNX est mandaté pour organiser des événements virtuels qualitatifs ou animer les expériences e-commerce. « C’est une période passionnante où il faut inventer de nouvelles relations et où il est vital de communiquer car des emplois sont en jeu », souligne Sarah Herz. MNSTR a créé les « terrifiants bonbons d’Halloween » pour Haribo, des histoires et des illustrations effrayantes afin de remettre la marque au centre de la fête. « C’est de la promotion mais qui réinjecte une dimension narrative dans la marque », précise Lionel Curt, fondateur de l’agence. Rares sont les annonceurs qui vont aussi loin que Red Bull, capable de créer des événements sportifs pour nourrir son discours sur le dépassement de soi, et même de faire sauter un homme en parachute depuis l’espace (en 2012) !

 

Mixer les formats pour plus d’efficacité

On l’a vu, il n’y a pas une tendance mais des écritures différentes en fonction des cibles et des objectifs de la marque. Les agences proposent ainsi d’associer plusieurs formats pour capter plus d’attention. Cela confirme la nécessité d’avoir une stratégie de contenu en amont. « Il peut y avoir des publics non-audiophiles comme des fans de vidéos qui ne liront pas deux lignes. Il faut donc donner le choix pour toucher toutes les cibles, affirme Ava Eschwège, d’AdC-L’Agence de Contenu. Le podcast fonctionne bien avec un livre blanc ou avec la transcription du texte pour ceux qui n’aiment pas l’audio. La vidéo peut accompagner le lancement d’un hors-série papier ou d’une série de podcasts. » Le message a ainsi plus de chance d’être reçu : « Dans un contexte d’infobésité, nous sommes convaincus que les annonceurs doivent envisager leurs contenus de manière globale, en conservant une cohérence de fond, défend Camille Nagyos, directeur associé d’Ultramedia. Une même idée a vocation à s’incarner sur plusieurs supports à travers différents formats, chacun d’entre eux permettant de valoriser un aspect. C’est à ce prix que la marque sera audible et crédible sur le sujet qu’elle a préempté. »

 

Et pourquoi pas un documentaire Netflix ?

Quand une marque a un contenu très riche, il peut être tentant de le déployer sur un long format. YouTube ou IGTV offre cet espace, mais les plateformes de streaming sont aussi un moyen de diffusion. Patagonia a marqué les esprits avec son documentaire Fishpeople, dédié aux personnes qui consacrent leur vie à la mer. « Des marques comme LVMH ou Nike, avec la richesse de leur histoire, seraient légitimes pour produire des longs-métrages en faisant appel à de jeunes talents, estime Nicolas Boccaccio, cofondateur de Rébellion. Par exemple, la série The Last Dance sur Michael Jordan, diffusée sur Netflix, aurait pu être financée par Nike sans que cela choque le public. » Un nouveau territoire à explorer pour les spécialistes du contenu.

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