La crise sanitaire a pu le faire oublier en favorisant les masques et les gants jetables, mais les entreprises sont bel et bien engagées dans la lutte contre la pollution plastique. C'est d'abord une obligation légale, puisque la France a voté l’interdiction progressive des plastiques à usage unique avec pour objectif leur disparition totale en 2040. C'est surtout une urgence écologique puisque, selon National Geographic, plus de 6,9 milliards de tonnes de déchets plastiques ont été produites depuis 2015, parmi lesquelles seulement 9% ont été recyclées.
Hausse du vrac
Dans le monde, 73% des déchets sur les plages sont composés de plastique : bouteilles, bouchons, emballages, sacs… Pour les multinationales, notamment de l’alimentaire et des cosmétiques, il est obligatoire de réagir, ne serait-ce que pour échapper au « plastic bashing », le mouvement anti-plastique qui détourne les consommateurs des produits emballés (40% des Français ont utilisé le vrac en 2019, selon Nielsen, en hausse de 3 points).
Les professionnels des cosmétiques ont ainsi rejoint le programme Spice, initié par L’Oréal et Quantis, société experte en développement durable, qui promeut des bonnes pratiques en matière de packaging. « Cela fait plus de dix ans que L’Oréal est engagé dans le développement durable, assure Alexandra Palt, directrice générale responsabilité sociétale et environnementale, et directrice générale de la Fondation L’Oréal. Nous avons développé notre propre outil d’écoconception, que nous avons partagé avec d’autres entreprises du secteur dans le cadre de Spice, qui nous permet de réduire l’impact environnemental des produits dans lequel le plastique occupe une grande place. Nous travaillons sur trois axes : la réduction de l’utilisation du plastique, rendu plus fin, plus léger, moins nécessaire grâce à des formes adaptées ; le recyclage, avec un objectif de 100% de plastique recyclé ou biosourcé d’ici à 2030 ; et enfin l’innovation, avec des recherches sur de nouveaux matériaux comme le mélange de carton et de plastique que nous venons de lancer pour La Roche-Posay avec le fabricant Albéa. »
Objectif 100% recyclable
Parmi les nouveautés lancées par le groupe cette année, le shampoing Dop est sorti en version solide dans un packaging en carton recyclé, et Cadum a adopté la recharge souple pour ses gels douches. Ce « 3D Pouch » du fabricant Arcade Beauty, qui économise 78% de plastique, a été popularisé par le sucre Daddy, lequel annonce convertir toute sa gamme au kraft. Selon la marque, cela correspond à une réduction de plastique équivalente à 7,6 millions de bouteilles d’eau PET [polyethylene terephthalate] par an.
Et les engagements se multiplient : Pernod Ricard vient d’annoncer l’arrêt de l'utilisation d’objets promotionnels à usage unique sur ses points de vente d'ici 2021. Une promesse qui s'inscrit dans le cadre de sa feuille de route 2030 Développement Durable et Responsabilité Sociétale, qui vise 100% d'articles recyclables, réutilisables ou compostables d’ici la fin de la décennie. En novembre dernier, Marque Repère d'E.Leclerc (première marque vendue en France) a déclaré que 100% de ses emballages plastiques seront recyclables d’ici 2023, avec une priorité d’ici 2021 pour ses marques bio et écolabellisées. En octobre, Unilever, qui produit environ 700 000 tonnes de plastique par an, a communiqué sur un plan de réduction de moitié des emballages en plastique d’ici 2025 en favorisant le recyclage et les matériaux biosourcés. De son côté, Perrier, du groupe Nestlé, a lancé un programme d’innovation baptisé « The Next Packaging Movement », qui finance des projets alternatifs au plastique issu de la pétrochimie. La marque est conseillée par So Science, une organisation européenne qui met en relation des entreprises et des experts en questions environnementales. « Nous nous entourons d’ONG, de start-up, de scientifiques car nous ne pouvons pas y arriver seuls. En 2021, nous serons à même de proposer de nouvelles solutions tant en termes de matériaux, de contenants que de traitement des déchets », témoigne Philippe Gallard, directeur business unit internationale de Perrier.
Expertise technique
On peut s’interroger sur la légitimité de multinationales qui ont contribué au problème de la pollution plastique à en être la solution. D’un autre côté, on peut considérer que lorsque des géants s’engagent sur des objectifs chiffrés, l’impact est réel. « En étant au coeur de la consommation, on peut être les meilleurs acteurs du changement, estime Philippe de Mareilhac, directeur général de l’agence de design Team Créatif. Nous travaillons avec nos clients Lesieur et Volvic pour créer des volumes qui utilisent moins de matière. Nous envisageons d’ailleurs d’acquérir une société spécialisée en éco-conception car il faut une expertise technique. » Pour Alexandra Palt de L’Oréal, le mot d’ordre est « science based targets », des objectifs fondés sur la science : « Nous suivons la ligne de la COP21 et des experts internationaux qui ont fixé la limite du réchauffement climatique à +1,5°C. Notre objectif de réduction des émissions de CO2 est aligné sur ce scénario. » Dans ce contexte, le plastique fait figure de coupable idéal, parfois à tort. Même non recyclé, il a souvent un moindre impact environnemental que l’aluminium. C’est pourquoi L’Oréal a fait le choix du plastique pour ses déodorants compressés Ushuaïa. « Le verre n’est pas forcément meilleur pour la planète, confirme Philippe Gallard chez Perrier. Nous croyons à une diversité de solutions. »
Un étui écoconçu pour Ruinart
Dans les vins et spiritueux, les coffrets de fin d’année sont une source importante de production de plastique. Ruinart, maison du groupe LVMH, a travaillé pendant deux ans sur une solution sans plastique, écoconçue, recyclable et permettant la réduction de 60% de l’empreinte carbone de l’emballage. Cet étui est une coque en papier issu de forêts européennes écogérées, neuf fois plus léger que la précédente génération de coffrets et qui doit les remplacer dès le 4e trimestre 2020. Preuve que même dans le luxe, des alternatives esthétiques et éthiques existent.