«Le Louvre est avant tout un symbole patrimonial, culturel et artistique. C’est devenu une marque par la force des choses.» Adel Ziane a beau être directeur des relations extérieures d’un musée incomparable et d’une marque qui l’est tout autant commercialement, il sait qu’on ne badine pas avec l’histoire des lieux. Ni avec sa vocation première : l’art avec un grand A - en témoignent les 40 000 œuvres exposées et les 500 000 entreposées en réserve. Mais depuis 2014, la donne a changé. Alors que la Réunion des musées nationaux (RMN) en avait jusque-là l’exclusive exploitation, l’établissement public autonome a depuis «repris la maîtrise de sa marque», confirme Adel Ziane. Et développé une stratégie spécifique de nature à «augmenter la part de ses ressources propres», dans le sillage des demandes émanant de la tutelle ministérielle et du travail mené par l’Apie (Agence du patrimoine immatériel de l’Etat).
Ressources propres
«À la fin des années 2000, la subvention de l’État et la billetterie portaient le budget. Actuellement, il existe quatre piliers : la subvention étatique, la billetterie, la sous-direction du développement -concessions, mécénats, parrainages, projets menés avec les entreprises…- et le fonds de dotation, qui correspond à l’argent versé dans le cadre de l’accord intergouvernemental pour Le Louvre Abou Dabi, soit 6 à 8 millions d’euros annuels. Un des nouveaux piliers du développement financier est donc la partie marque au sens commercial du terme : les associations, les partenariats ou le cobranding», éclaire le directeur des relations extérieures à propos du virage pris ces derniers mois par le musée le plus visité au monde, avec un record de 10,2 millions de visiteurs en 2018. Un virage visible à l’œil nu puisqu’au-delà du volet marque au sens scientifique, culturel et artistique du terme ou encore de la performance retentissante menée avec JR dans le cadre des 30 ans de la Pyramide, plusieurs griffes estampillées luxe, mode et lifestyle se sont associées à la prestigieuse marque Louvre ces derniers mois. Après Swatch, Homecore, Bernardaud, Saint-Gobain, Le Palais des thés, Buly, Vacheron Constantin ou encore Ladurée, c’est ainsi la marque Off-White développée par Virgil Abloh qui vient d’être choisie et dévoilée mi-décembre. Un casting qui, au regard de l’attractivité du Louvre, pose forcément question quant aux critères de sélection. «On se questionne beaucoup pour trouver les bons partenaires», reconnait d’emblée Adel Ziane. «Alors que nous avons longtemps adopté une approche très défensive visant à protéger la marque, nous avons fait le choix de mettre un coup d’accélérateur en termes de développement économique à l’occasion des 30 ans de la Pyramide. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui veulent associer leur image à celle du Louvre, mais il ne faut pas que cela entraîne un dévoiement de la marque... Nous sommes dans une démarche beaucoup plus offensive, mais tout en nous posant en permanence la question du contenu», poursuit-il. «Une infinité d’opportunités s’ouvre à nous mais il faut faire attention car multiplier les opérations risquerait de dévaluer la marque», appuie Yann Le Touher, sous-directeur du mécénat, de la marque et des partenariats commerciaux. «D’une part, on développe ces collaborations pour occuper le terrain. Car si on ne le fait pas, d’autres le feront et pas forcément dans le sens voulu. Toutes les œuvres du Louvre sont dans le domaine public. N’importe qui peut donc prendre une photo de la Joconde et le mettre sur un mug ou un T-shirt sans demander notre autorisation. D’autre part, il s’agit de se connecter avec le public d’une autre manière, montrer le Louvre, ses collections et son histoire à travers de beaux objets qui créent une relation différente avec les œuvres et l’histoire des lieux. Dans toutes nos collaborations, on apporte le contenu scientifique et culturel qui nous caractérise, avec par exemple des leaflets donnant des explications quant aux œuvres présentes sur les produits. Nous menons cette mission de développement culturel en parallèle, ce n’est pas uniquement mercantile», souligne le sous-directeur. On l’aura compris, la porte n’est pas ouverte à n’importe qui. «Il doit toujours y avoir un sens dans la collaboration. Buly fait partie de ces projets qu’on avait en tête depuis un moment. Le Louvre est un lieu qui a une histoire, qui dégage une ‘’odeur’’. Quand on s’est rapproché de la marque pour créer une gamme de parfums (huit parfums correspondant à huit chefs d’œuvre emblématique de l’établissement, ndlr), le retour qu’on a eu a été de faire appel à des ‘’nez’’ issus d’illustres maisons. On renoue avec l’esprit du musée du Louvre, qui a toujours été un lieu d’inspiration pour les artistes et les créateurs. Il y a donc certes une dimension commerciale mais aussi la volonté que tout un chacun puisse entre guillemets s’acheter un petit bout du Louvre», complète le directeur des relations extérieures. Et dans cette entreprise, le Louvre n’avance pas seul.
La Chine dans le viseur
«En amont, nous nous sommes adjoint l’expertise du cabinet de tendances NellyRodi et maintenant celle d’un agent de licence qui a -notamment- travaillé avec le Paris Saint-Germain sur la marque PSG», rappelle Yann Le Touher. «Cet agent de licence doit nous aider à prospecter de manière plus organisée et plus précise sur la base de ce qui a été fait en interne mais aussi nous aider en Chine. Quand on parle de marque, la Chine est un territoire aux nombreux atouts et sur lequel on mise beaucoup, d’autant que le public chinois affiche une progression quasi-exponentielle en termes de nombre de visiteurs», pointe également Adel Ziane à propos du deuxième public étranger du musée (822 760 visiteurs en 2018 soit 8% du total) derrière les Américains (près d’1,5 million soit 15% du total). «Ce volet commercial est un sujet que nous allons énormément travailler dans les années à venir. Peut-être alors, à l’image des objectifs qu’on nous demande de fixer en termes de mécénat lors de la construction du budget, nous faudra-t-il fournir des objectifs chiffrés. Cela voudra dire qu’on a réussi», conclut Adel Ziane.
Chiffres clés
10,2 millions. Le nombre de visiteurs en 2018, ce qui en fait le musée le plus visité au monde
247 millions d’euros. Le total des recettes encaissées (147 millions de ressources propres et 100 millions de subvention d’État) en 2018
71%. La proportion de visiteurs internationaux en 2018
53%. La part de visiteurs âgés de moins de 30 ans en 2018