Dans le dossier de presse présentant le « nouveau Jules », un choix attire le regard : le vert sapin qui tapisse les 23 pages de présentation. Depuis qu’elle a fusionné avec sa cousine Brice – toutes deux membres de Fashion3, appartenant à la famille Mulliez –, l’enseigne de prêt-à-porter masculine ne jure plus que par l’écologie. « Si on n’y va pas on n’existera plus », pose le PDG, Jean-Christophe Garbino. Un an et demi plus tôt, les deux enseignes annonçaient 466 suppressions de postes et 88 fermetures de magasins, sur un ensemble de 603 boutiques. « Certaines d’entre elles vont probablement subsister car leurs performances sont bonnes », tempère le dirigeant. Dans un marché de la mode masculine en berne, Jules et Brice ont décidé de se serrer les coudes autour du positionnement écologique présumé porteur.
Est-ce que les clients de Jules attendent la marque sur ce thème ? « Je le pense, oui », affirme Jean-Christophe Garbino, Steve Jobs à l’appui : « Comme disait le patron d’Apple, personne ne lui a demandé de faire l’iPhone. L’industrie textile est la deuxième la plus polluante, nous ne sommes pas là juste pour répondre à la demande des gens, nous avons un nouveau business model à inventer ». Si Jules a choisi de sortir par le haut en faisant de l’écologie un cheval de bataille, il double ce choix d’une posture d’humilité en phase avec la réalité de ses actions. Il en fait même sa signature de marque : « Men in progress ». « Il y a beaucoup de travail à faire, nous mettons un pas après l’autre », explique le PDG, dont la parole peut être aussi directe : « Notre devoir en tant que co-leader du marché [avec Celio, qui domine le marché avec 6 % du secteur contre 5 % pour Jules] est de nous engager, les autres sont hors du temps, hors de la vie ! »
Ethos
Pour éviter d’être taxé de greenwashing, Jules a placé ses « actions » en première page de son dossier de presse. La principale : « Jules vise à produire uniquement ce qui est vendu et ainsi diminuer l’empreinte sur la planète. En n’achetant que ce que Jules est capable de vendre, nous baissons drastiquement la surproduction de vêtements. Cette année 2019, le poids des produits soldés a baissé de 35 %. » Pour absorber le surcoût écolo, Jules fusionnera les plateformes d’achat avec Brice à 50 % en 2020 et lance un denim en matière 100 % recyclée et avec lavage à l'ozone – le délavage des jeans est réputé vraiment polluant.
Pour symboliser ce virage, Jules a inauguré fin octobre un nouveau concept de magasin dans l’artère commerçante qu’est la rue Sainte-Catherine à Bordeaux. Dedans, impossible de passer à côté du mobilier conçu en vêtements recyclés par Malherbe Paris avec l’aide de la designeuse Clarisse Merlet de la société Fabbrick. Çà et là, des sacs accueillent les vêtements que les clients désirent faire recycler. Au premier semestre 2020, 25 magasins de ce type verront le jour. Point positif : conserver un aspect brut coûte forcément moins cher que tout rénover. Malgré tout, beaucoup des 603 magasins n’évolueront pas autant qu’à Bordeaux, pour des raisons de budget. D’autant qu’il peut sembler politiquement délicat auprès des salariés de redorer le blason de certains points de vente, tout en baissant le rideau d’autres.
Pathos
L’équation est d’autant plus complexe que Jules est maintenant engagé à concilier écologie et petits prix, deux principes jusque-là antinomiques. « D’habitude, la tendance à l’écologie se trouve sur le quartile haut de gamme, mais nous ne voulons pas proposer un caleçon made in France à 40 euros que tout le monde ne peut pas acheter. Donc nous allons proposer un jean écoresponsable à 25,90 euros », souligne Karine Siebenhuner, directrice de la communication et du marketing opérationnel de Jules. En fait, ce genre de jean écolo, s'il n’est peut-être pas unitairement très rentable, est censé fonctionner comme un produit d’appel. « Notre cible de conquête, ce sont les millennials, qui sont très engagés mais paresseux, et qui attendent beaucoup des marques », pointe la directrice marketing, qui garantit « zéro hausse de prix ».
Pour répondre à la réalité économique du « nouveau Jules », elle ajoute : « À nous de mettre sous tension nos partenaires fournisseurs. » On pense alors inévitablement aux ateliers de fabrication situés au Bangladesh, Vietnam, Chine ou Turquie. Si le prêt-à-porter est mis en cause pour son impact environnemental, il l’est parfois aussi pour les conditions de fabrication. Le pire exemple : l’effondrement du Rana Plaza en 2013 à Dacca et ses 1 135 morts, pour des clients tels que l’espagnol Mango ou l’irlandais Primark. Un symbole de la fast fashion. Gageons que ce regain de « tension » pour l’enseigne, qui affirme dans ses priorités « mettre l’humain au cœur du projet Jules », n’ait pas d’impact négatif sur les conditions des salariés. Côté Jules, le PDG Jean-Christophe Garbino assure : « Nous réalisons des audits réguliers sur nos fournisseurs, mais comme le disait le directeur général d’Adidas, le risque zéro n’existe pas. »
Logos
Parallèlement à la réduction du volume d’achat, Jules a pour objectif « de donner sa pleine valeur au produit », autrement dit, « que sa valeur perçue soit a minima 20 % supérieure au prix affiché ». Une façon de préparer le terrain à une éventuelle future inflation ? Pour identifier un vêtement Jules, la marque annonce qu’elle apposera son sigle à l’été 2020 sur certaines pièces « identitaires » comme ses polos ou pulls. Pour le marketing, ces icônes devront véhiculer la fierté de porter une marque qui est désormais engagée pour la planète. Et répondre à la tendance forte de l’occasion. « Si on prend le cas de Vinted, cela nous interpelle sur la valeur perçue du produit, notamment dans le sportswear où des jeunes sont prêts à se payer une paire de baskets à 180 euros car ils savent qu’ils la revendront au même prix », analyse Karine Siebenhuner. Dans cette mécanique, le logo est nécessaire car il fait jouer à plein le réflexe pavlovien. Mais les griffes les plus importantes pour le nouveau Jules seront celles des labels écologiques – en cours de définition – que la marque s'apprête à suivre. Pour dire tout cela, Jules lancera une campagne globale avec son agence bruxelloise Bel Air à l'été 2020.
Chiffres clés :
603. Nombre de boutiques Jules.
88. Fermetures prévues d'ici à 2021.
570 millions. Chiffre d'affaires en euros.
5 %. Part de marché dans la mode homme.