«Hi», «How can I help ?»... Au 121 Regent Street, à Londres, les vendeurs et vendeuses abordent à l'envi les clients du magasin phare de Burberry, la célèbre marque de luxe britannique. Arpenter ce somptueux bâtiment - jadis un cinéma dans lequel la reine Victoria visionna son premier film - garantit une bonne vingtaine de sollicitations avec larges sourires et regards travaillés. Ils viennent en parfait contrepoids à l'un des traits saillants du Burberry Store : la surenchère technologique.
Sur les murs, près d'un millier d'appareils de toutes tailles - dont 500 haut-parleurs et 100 écrans digitaux - entourent un mur d'images géant dans le hall central. De quoi faire vivre des expériences de marque insolites, comme cette « douche de pluie digitale » recréée par intermittence dans tout le flagship, en écho à l'un des produits leaders de la griffe : le trench coat.
Inauguré en septembre 2012, Burberry Store est le symbole du renouveau de la marque, orchestré depuis 2006 par un duo de choc : Christophe Bailey, directeur de création, et Angela Ahrendts, directrice générale de Burberry. Habituée du classement Forbes des femmes les plus puissantes du monde, cette dernière s'apprête à rejoindre Apple au poste de vice-présidente senior en charge des magasins et des ventes en ligne. Pas étonnant, le digital a été placé, avec succès, au cœur du redéploiement de Burberry à une époque où le secteur du luxe regardait encore Internet, ce média de masse, avec défiance.
Pour Burberry, il rime avec innovation. «Dans les gènes des marques de luxe, confirme Jocelyn Jarnier, directeur général à Paris de Lux by Fullsix, il y a toujours eu un côté très autoritaire, dans la prise de parole : "Moi, je suis la marque, je vous donne des produits, je conçois pour vous des collections, et c'est moi qui les impose parce que je suis une grande marque." Mais pour Burberry, le digital est surtout l'occasion de réaliser des expériences artistiques, à la fois innovantes et spectaculaires.»
Dans ce contexte, la boutique de Regent Street reste un modèle du genre. «C'est la plus moderne au monde, la plus avant-gardiste, avec une totale porosité entre l'expérience du réel et du virtuel, poursuit Jocelyn Jarnier. Elle préfigure ce qui va se passer dans les mois et années à venir, car beaucoup travaillent actuellement pour l'imiter.»
Renouant avec le caractère pionnier des grandes marques, Christopher Bailey n'hésite jamais à communiquer directement avec les clients, souvent en musique, grâce à un simple lien vers une chanson diffusée sur You Tube par exemple. «Il a compris toutes les implications du digital, poursuit Jocelyn Jarnier. Pour lui, c'est le monde de demain et c'est un progrès réel dans un secteur où le sur-mesure est très important. Il a fait ce qu'aucune marque de luxe n'avait osé auparavant.»
Burberry joue sur les contrastes et les contraires : humain et technologie ; produits de luxe hors de prix et gammes plus accessibles ; clientèle jeune et clientèle historique ; origine british et visée mondiale... Tout en révolutionnant le point de vente. «C'est le magasin qui doit ressembler au site Internet, et non plus l'inverse», expliquait en mars 2013 Christophe Bailey à GQ.
Ainsi, dans la boutique, un client porteur d'une carte de fidélité est, comme sur le Web, automatiquement reconnu grâce à une puce RFID. Face à lui, des vendeurs équipés d'iPad peuvent consulter, en temps réel, son profil, son historique de visites sur le site, ses achats, les vêtements qu'il a zappés, ceux sur lesquels il s'est attardé.
«Burberry Store 360» continue d'être mis à jour pendant cette visite physique du client, notamment lorsqu'il essaie une veste, elle aussi équipée d'une puce RFID lui permettant de visualiser sur l'un des écrans les détails du produit. S'il renonce à l'achat, son profil sera actualisé en conséquence, affinant les futures propositions des algorithmes relayées en ligne ou, sur place, par le vendeur.
De son côté, le site Internet Burberry est clairement un site marchand. Les dix réseaux sociaux sur lesquels la marque est présente (dix-sept millions d'abonnés à la page Facebook en février 2014) sont autant de perches tendues à l'expérience du shopping en ligne. Si les prix des vêtements ne sont pas affichés dans les magasins physiques, ils le sont sur burberry.fr. Du coup, les ventes en ligne ont dépassé, pour la première fois cette année, celles des magasins.
À l'affût des dernières avancées technologiques, la marque a, par ailleurs, multiplié les expériences digitales. Le Tweetwalk, par exemple, offre à deux millions et demi de followers le live du défilé Burberry, mais aussi les coulisses. Le programme Runway Made to Order donne aux spectateurs la possibilité d'acheter en direct les vêtements dont les références apparaissent en temps réel. L'acquéreur devra attendre neuf semaines avant d'être livré, mais il le sera avant la commercialisation du produit en magasin.
Autre initiative digitale visant à rapprocher la clientèle de la marque, l'opération Art of the Trench, dans laquelle une centaine de fans ont été pris en photos avec un manteau Burberry dans plusieurs pays du monde. Jessica Swinton, consultante mode et marketing digital chez Brand Union, à Londres, la considère à ce jour comme la plus réussie : «Cette campagne a été une formidable plateforme de promotion pour la marque. Ceux qui y ont participé sont devenus des ambassadeurs, ils font partie d'un mouvement, d'une communauté. Elle a apporté aux produits de la personnalisation et de la diversité.»
L'opération Burberry Kisses, en partenariat avec Google, n'est pas non plus passée inaperçue, donnant une touche de glamour ad(u)lescent au message de la marque. Les clients étaient invités à embrasser l'écran tactile de leur smartphone, puis à envoyer l'empreinte labiale ainsi obtenue au digital lover de leur choix. Le programme Kisses a illustré «la personnalisation de l'approche permise par les communications digitales, estime Jessica Swinton. Non seulement ce concept a été unique, mais il a permis à Burberry de déployer et d'enrichir sa marque en l'associant à des moments d'interaction positive.»
Reste à mesurer l'effet de cette stratégie «digital first» à plus long terme. Pour les spécialistes, elle peut être à double tranchant : soit elle permettra de mieux capter la clientèle aisée, les plus riches étant finalement des acheteurs au clic compulsif, soit elle finira par les éloigner, ces derniers considérant qu'après tout, Internet est surtout affaire de «middle class».
Une problématique que connaît bien la marque. Dans les années 2000, sa casquette à carreaux était devenue «réglementaire» chez les «Chavs», ces jeunes Britanniques issus de milieux populaires qui avaient pris l'habitude de la porter avec des vêtements de sport. Au tout début de l'ère Ahrendts, Christopher Bailey trancha le problème en se félicitant de voir Burberry se démocratiser.
Repositionnée sur le haut de gamme, Burberry gagne aujourd'hui sur tous les tableaux. S'affirmer comme l'acteur du luxe le plus audacieux porte en effet ses fruits, les résultats financiers du groupe dévoilés en janvier ont confirmé sa forte progression : + 12% globalement lors du dernier trimestre, avec une croissance à deux chiffres en Asie Pacifique. Contrairement aux grandes marques automobiles de luxe, la croissance n'est pas seulement portée par les pays émergents ou les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Elle reste forte en Amérique du Nord et en Europe, y compris en France.
Chiffres clés
1856. Fondation d'une boutique de vêtements d'extérieur, par Thomas Burberry, à Basingstoke
1891. Ouverture du premier magasin à Londres (Haymarket)
1914. Burberry désigné pour équiper les soldats britanniques de manteaux chauds et résistants
2001. Christopher Bailey devient directeur de création
1,999 milliard de livres. Chiffre d'affaires.
428 millions de livres. Profits
60%. Part du digital dans l'ensemble des dépenses marketing
9 000. Nombre de salariés
470. Nombre de magasins
16,89 millions. Nombre de fans sur Facebook (1)
3,64 millions. Nombre d'abonnés sur Google+ (1)
2,64 millions. Nombre de followers sur Twitter (1)
Article paru dans le supplément Digital de Stratégies Magazine n°1762