Pourquoi et comment une marque devient-elle influente ? Quelles sont les composantes de l'influence ? A l'heure où nombre d'études décrivent une érosion de la confiance accordée aux marques, l'institut Ipsos a voulu mesurer, dans une étude intitutée «Most Influencial Brands», l'impact de ces dernières sur la vie des consommateurs, ce dans neuf pays (voir méthodologie).
Les résultats de l'étude menée en France actent, s'il en était besoin, l'ancrage du rapport aux marques dans la mondialisation. La présence de quatre marques à la fois technologiques et globales dans les dix premiers du classement traduit incontestablement un glissement vers de nouveaux étalons de structuration de la consommation (voir tableaux).
Google, Microsoft, Apple et Facebook ont investi la vie des Français au même titre que de grands référents nationaux, comme EDF ou La Poste. Les grandes marques du Web ont mêmes supplanté les champions habituels des études de consommation. Coca-Cola, première véritable «marque produit» du classement français, n'arrive qu'en 13e position.
Cette consécration du monde d'Internet dans le paysage des consommateurs s'impose de façon manifeste dès l'entrée du classement par la prédominance insolente de Google, crédité d'un index d'influence de 395 points quand Honda ferme le classement des 100 avec 18 points. Non content d'occuper la première place, Google s'offre de surcroît le luxe de creuser nettement l'écart avec le numéro deux, E.Leclerc.
D'évidence, le facteur d'influence valorise une relation de fonctionnalité entre les consommateurs et les marques. Le haut du classement concentre en effet des labels inscrits dans le quotidien du public. C'est vrai des acteurs d'Internet, ça l'est également des grands services de l'énergie, du courrier ou de la carte bancaire. «Quand on sort de chez soi, on prend sa clé, son téléphone et sa carte de paiement. En France, un euro sur cinq est dépensé avec une carte Visa», rappelle Charlotte Desbons, directrice de la communication de Visa Europe France.
Quotidienneté plutôt qu'affect, fonctionnalité plutôt que désir: l'indicateur d'influence ne favorise pas les marques de luxe, notoirement absentes du classement. D'autres secteurs marquent le pas. La première marque automobile, Peugeot, se place en 37e position, suivie respectivement à quatre et cinq places par Renault et Volkswagen. Si Mercedes et Citroën se positionnent en milieu de classement (47e et 50e), Ford et Honda sont reléguées dans les dernières places (94e et 100e).
La position globale de retrait des marques financières est encore plus tranchée. Alors que La Banque postale – sans doute confortée par sa filiation à La Poste – est le seul établissement du secteur à figurer dans le «top 50» (38e), BNP Paribas, LCL, CIC, Société générale, Axa et MAAF se trouvent en bas de tableau.
L'innovation au service de tous
Il n'y a pas un chemin unique vers l'influence. Si celle-ci relève de ressorts communs, elle actionne des combinaisons diverses. Pour autant, l'étude d'Ipsos met en lumière une dominante sectorielle. Ainsi, la prégnance en haut de tableau des marques technologiques renvoie clairement à leur capacité d'innovation. Et d'une innovation mise au service de tous.
«Depuis 1998, le projet de Google est clairement centré sur l'innovation et les ruptures technologiques, avec l'objectif de simplifier la vie des utilisateurs au travers de services gratuits», argumente Kristell Schuber, directrice du marketing de Google France. La capacité d'innovation représente le premier facteur d'influence de Google, Microsoft, Apple et Facebook. Même constat, en-deçà des dix premiers, pour des marques comme You Tube (23e) ou Twitter (76e ) et , au-delà de la stricte sphère du Web, pour des labels technologiques, comme Sony (18e), Nintendo (55e), Blackberry (63e) ou IBM (66e).
Mais cette prévalence de l'innovation dans le score d'influence des marques n'est pas réservée au secteur high-tech. Elle caractérise aussi des marques comme Ikea (9e), Canal+ (33e), BMW (42e), L'Oréal (44e) et Mercedes (47e). Là encore, c'est la capacité à créer des ruptures au bénéfice du plus grand nombre qui fait la différence. «Nous avons été les premiers, dans nos magasins, à proposer des ambiances et à développer ce fameux parcours client aujourd'hui souvent imité. Nous sommes toujours les seuls à offrir, au-delà de nos produits, des solutions d'aménagement», développe Stéphanie Jourdan, directrice adjointe du marketing d'Ikea France.
Comme Ikea sur le marché de l'ameublement, Décathlon a fait bouger les lignes de l'équipement sportif en le rendant accessible à toutes les bourses au travers d'une offre maîtrisée, depuis la conception par le département recherche et développement (R&D) de la marque jusqu'à la distribution dans les 260 magasins en France. «Généralement, l'innovation cible d'abord une élite, avec des produits chers, qui sont revus à la baisse quand l'offre devient plus industrielle. Chez Décathlon, l'innovation est directement projetée vers son stade de maturité. C'est la tente Quechua lancée il y a dix ans: technologiquement innovante et très accessible en termes de prix», soutient Stéphane Saigre, directeur général de Décathlon.
Même souci du consensus chez Ikea. «Nous ne cherchons en aucun cas à nous présenter comme une enseigne segmentante. Bien au contraire. Nous ne ciblons pas des catégories de clientèle: âges, CSP, etc. Nous cherchons à répondre à des besoins selon les différentes situations de vie: premier emménagement, agrandissement du foyer…», souligne Stéphanie Jourdan, d'Ikea.
Des dimensions stratégiques
Parallèlement à la capacité d'innovation, le haut du classement de l'étude d'Ipsos met en valeur un autre facteur important d'influence: la confiance, plus spontanément associée à des marques institutionnelles (EDF, La Poste) ou référentes dans les usages et les codes de consommation (E.Leclerc, Visa, Décathlon). Plus bas dans le classement, ce puissant substrat de confiance se retrouve pour France Télévisions (15e), Danone (24e), Bic (25e), Renault (41e) ou encore Air France (48e).
Innovation et confiance ne sont pas antithétiques a priori. Elles constituent par exemple les deux premiers moteurs du potentiel d'influence de Microsoft et d'Apple. Mais elles ne sont pas non plus systématiquement solidaires. Ainsi, alors que la capacité d'innovation pèse fortement dans l'appropriation par les consommateurs de la marque Facebook, la confiance n'apparaît pas parmi ses marqueurs d'influence. A l'inverse, La Poste, créditée d'un indice de confiance écrasant, n'est pas perçue comme une marque innovante.
Même occultation de l'innovation par la confiance chez Evian (26e), Vittel (36e) ou encore pour le numéro deux du classement. «E.Leclerc est une marque fondamentalement républicaine, analyse Vincent Leclabart, président de l'agence Australie, qui pilote la communication de l'enseigne depuis 1999. Soixante pour cent des Français vont dans un magasin E.Leclerc au moins une fois par an. Parce qu'elle s'adresse à tout le monde de la même manière, la marque ne peut pas être clivante, elle doit veiller à ne pas creuser de la distance entre telle et telle catégorie de population. Son objectif est plutôt de rattraper ceux qui seraient en retard que de favoriser ceux qui seraient en avance.»
Au regard de cette étude, innovation et confiance apparaissent comme les dimensions les plus structurantes dans la construction de l'influence. Aussi, au-delà des scores obtenus par les marques sur les différents facteurs, ces deux dimensions doivent être considérées comme stratégiques.
«Nous avons jusqu'alors largement axé nos messages sur le développement durable et la valorisation de nos salariés, explique ainsi Catherine Lescure, directrice image et marque d'EDF. Mais les Français ont bien conscience que nous travaillons sur des champs d'innovation: énergies renouvelables, architecture des bâtiments, maîtrise de la demande en énergie. Des thématiques comme la mobilité électrique ou les réseaux intelligents feront bientôt l'objet de communications spécifiques.»
Factuelle présence
Plus que les quatre autres grands curseurs proposés par Ipsos pour éclairer la notion d'influence (capacité d'innovation, confiance, affinité et interactivité), le critère de présence qualifie des réalités objectives: implantation physique, institutionnalisation statutaire, déploiement publicitaire, quotidienneté et pénétration de l'usage… Cette dimension factuelle justifie en soi le poids du marqueur «présentiel» dans le cas de marques comme EDF, Coca Cola, Carrefour (16e) et McDonald's (32e).
Le critère présentiel est également très marqué pour E.Leclerc qui, sur ce champ, creuse l'écart avec nombre de ses concurrents de la grande distribution. «L'enseigne a choisi d'assumer sa posture d'acteur social, d'autant mieux identifiée qu'elle est totalement incarnée. Partout où Michel-Edouard Leclerc a une légitimité pour parler – sur l'environnement, la culture, le pouvoir d'achat –, il parle. Et il est le seul», commente Vincent Leclabart, d'Australie.
Exception faite d'E.Leclerc et EDF, crédités de bon scores sur ce critère, le facteur présentiel n'apparaît pas comme le plus significatif en tête de tableau. Il est en revanche remarquablement absent dans la caractérisation des marques moins influentes. On peut en conclure qu'il joue a minima comme un élément de consolidation de l'influence.
Ce qui semble beaucoup moins vrai du quotient affinitaire. L'identification aux valeurs des marques serait-elle inversement proportionnelle à leur potentiel d'influence sur les consommateurs français ? La quasi-absence de l'affinité et des valeurs dans le «top 10» est d'autant plus frappante qu'elles reprennent un poids significatif en fin de classement. Exception faire de Facebook, qui a construit son offre sur la notion de communauté, toutes les marques présentes dans le haut du tableau récoltent un score nul sur le facteur affinitaire.
Rappelons que, pour des raisons méthodologiques d'indexation, Ipsos a choisi de réduire à la note zéro le facteur d'influence ayant le moins d'impact. Ainsi, le fait que Google se voit crédité d'un score nul sur le marqueur ne signifie pas que la marque est totalement étanche toute projection affinitaire. «La relation avec Google est une relation éminemment fonctionnelle, développe Kristell Schuber, de Google France. Finalement, l'objectif de la marque est que les utilisateurs passent le moins de temps possible avec elle. Cette dimension ultra-utilitaire explique sans doute en partie le moindre score obtenu sur le facteur affinitaire.»
A noter, le décalage entre identification aux valeurs portées par les marques et influence dans le classement français ne se retrouve pas dans le classement global – total des neuf pays concernés par l'étude –, même si la dimension affinitaire n'y est pas fortement présente dans le haut de tableau.
L'analyse de la pondération des quotients de confiance, d'innovation, de présence, d'affinité et d'interactivité apporte un éclairage supplémentaire dans la compréhension de la notion d'influence. Dans le haut du classement, exception faite de Décathlon et d'Ikea, la distribution des scores est le plus souvent déséquilibrée: pression marquée sur deux facteurs, décrochage pour les autres. Dans le bas du tableau, en revanche, la ventilation du potentiel d'influence sur les cinq facteurs est beaucoup plus homogène.
Ainsi l'influence des marques tiendrait-elle également à leur capacité à marquer la différence sur quelques attributs de caractérisation. Autrement dit, à faire des choix.