Treize milliards de dollars. C'est le poids économique du marché de la géolocalisation d'ici à 2014, selon le cabinet Jupiter Research. Une projection difficile à valider. La géolocalisation recouvre en effet des applications extrêmement diverses, que l'on peut scinder en deux champs: l'indoor et l'outdoor.
«Si les technologies extérieures, essentiellement déployées autour du satellite, sont aujourd'hui les plus présentes, c'est sans conteste du côté de l'indoor que les développements marketing vont connaître une rapide explosion», signale Jérôme Legoff, consultant chez The Grand Union. En novembre 2011, Google annonçait l'intégration dans la version 6.0 de Google Maps pour Android des plans de plusieurs grands édifices de type aéroports, gares, centres commerciaux ou hôtels.
La géolocalisation à l'intérieur des édifices couverts ouvre des perspectives inédites aux marques et aux enseignes. Une expertise technologique où la France a pris une longueur d'avance, tirée notamment par deux sociétés, Pole Star et Insiteo, respectivement créées en 2002 et 2009 (et dont les patrons sont des transfuges de la recherche spatiale).
Les deux sociétés soutiennent la même stratégie: développer des offres susceptibles de prendre à l'intérieur des bâtiments le relais du GPS. Les technologies retenues permettent aujourd'hui de repérer la position de l'utilisateur avec une précision de 3 à 5 mètres. «Dans deux ans, on sera dans un niveau de précision centimétrique», affirme Pierre Varrod, vice-président marketing d'Insiteo.
Premier lancé sur le créneau, Pole Star a construit son offre sur le Wi-Fi. «A la différence des technologies de type Google, notre système est totalement embarqué. Aucun serveur externe pour centraliser les informations. C'est l'utilisateur qui active son application de géolocalisation», soutient Christian Carle, cofondateur de Pole Star.
Le logiciel intégré dans le téléphone capte le Wi-Fi des bornes environnantes et compare via algorithme les signaux avec une base de données spécialement constituée. L'utilisateur peut alors repérer son emplacement, se diriger, afficher plus d'informations sur un lieu, recevoir des données émises par des émetteurs.
En France, le système conçu par Pole Star est aujourd'hui déployé sur les terminaux de Roissy Charles-de-Gaulle et dans le centre commercial des Quatre Temps à La Défense. Installée en Californie, la société a également signé avec quatre centres commerciaux américains.
Insiteo, qui a pour sa part signé avec le plus grand centre commercial de Barcelone, mise également sur la dimension sociale de la géolocalisation, au travers d'une application (Meet Me) permettant aux utilisateurs de partager leur localisation avec leurs amis. L'entreprise a également créé un outil de datamining collectant et traitant les données (anonymes) liées aux flux des utilisateurs.
Si la géolocalisation indoor abrite de réels potentiels, ses développements sont encore suspendus à l'état de l'art technologique. «Tant qu'on ne peut garantir des précisions de moins deux mètres, correspondant à la largeur des allées, les hypermarchés et les grands magasins n'ont pas intérêt à y aller», remarque Pierre Varrod.
Autre frein: le coût des installations. «Les investissements en jeu sont assez lourds, ce qui peut expliquer un certain attentisme du côté des enseignes », note Jérôme Legoff. Déployer un système de géolocalisation pointu dans un centre commercial pourrait ainsi coûter de 50 000 à 100 000 euros.
Il n'empêche, Auchan, Carrefour, Casino s'intéressent déjà de très près aux développements de la géolocalisation indoor. En quelques mois, une génération spontanée d'offreurs a placé ses pions sur un échiquier dont les lignes sont encore loin d'être figées: Shopkick, Dis moi où, Yelp, Qype, Distribeo, Geocompare... La plupart de ces sociétés se sont positionnées sur des développements de niche: programmes de fidélisation, couponning, social geolocalisation...
Pour les enseignes et les marques qui franchiront le pas, restera encore à convaincre les consommateurs. Si 26% des utilisateurs de smartphones ont accédé à une application de navigation au premier semestre 2010 (Com Score, juin 2011), près des trois quarts des Français considèrent avec méfiance la diffusion de la localisation en temps réel (Observatoire sociétal du téléphone mobile, 6e édition, Afom/TNS Sofres).
«Quand le paiement via mobile arrivera, les enseignes vont se déchaîner. Mais les consommateurs français ne seront prêts à utiliser la géolocalisation que si on leur propose de vrais services», avance Jérôme Legoff.
Christian Carle n'occulte pas les dangers d'une utilisation mal maîtrisée de la géolocalisation, notamment à des fins promotionnelles. «Si les marques s'en servent pour envoyer des offres de réduction tous azimuts, elles vont rapidement tuer le modèle.»
La solution? Elle est dans «l'information contextuelle ultra-locale»: une utilisation dans un champ limité à 5 mètres du mobinaute et qui tiendrait compte de données comportementales préalablement analysées. «Sur un aéroport, on n'enverra pas le même message selon que le consommateur a une heure à attendre avant de prendre son avion ou s'il doit se rendre dans dix minutes à l'embarquement», explique Christian Carle.
Si elles ne permettent pas une précision en deçà de 30 mètres, les expériences menées outdoor témoignent de l'intérêt que les marques portent à la géolocalisation. Le succès de Foursquare a de quoi laisser pantois: plus de 6 millions d'inscrits dans le monde, une croissance de 3 400% en 2010.
Google n'a pas tardé à riposter avec Leaderboard. Même modèle économique que Foursquare: à chaque géolocalisation, l'utilisateur gagne des points, peut finir par entrer dans le classement des contacts les plus actifs et, qui sait, devenir roi.
Les applications marketing de la géolocalisation outdoor visent essentiellement la création de trafic. Un consommateur, en se baladant dans la rue, smartphone en poche, peut recevoir des alertes, des SMS, toutes sortes d'offres promotionnelles proposées par les enseignes du quartier.
Une fois dans la boutique, il peut recevoir des messages de marques l'incitant à recommander tel produit en partageant sa situation avec ses contacts des réseaux sociaux, mais également comparer le prix d'un article avec celui pratiqué par le concurrent le plus proche. Et l'on peut imaginer les services apportés par le développement de la réalité augmentée...
Fin 2010, Flunch s'est associé les services de Foursquare pour proposer le premier programme de fidélisation géolocalisée: un café offert au premier check-in, une remise de 50% sur le plat de la personne qui accompagne le mobinaute s'il vient se restaurer trois fois en quinze jours...
H&M expérimente pour sa part l'appli Gold Run (Goldrungo.com), qui permet de collecter des objets virtuels dispersés dans un quartier avant de les partager sur Facebook. Plus on joue, plus on gagne des points de réduction.
Marks & Spencer, Starbucks ou encore L'Oréal proposent des promotions aux passants sous forme de SMS géolocalisés. Même démarche chez Hippopotamus, offrant via SMS 20% de réduction aux consommateurs passant à moins de 200 mètres du restaurant.
Nissan a choisi une utilisation plus indirecte de la géolocalisation outdoor. Lorsque le client reçoit sur son smartphone un SMS cliquable ou est exposé à une bannière de publicitaire, il peut se connecter au site mobile du constructeur, localiser la concession la plus proche, être mise en contact avec elle via la fonction click to call.
A La Défense, Hippopotamus a envoyé des SMS promotionnels aux clients passant à moins de 200 mètres du restaurant pour leur offrir 20% de réduction.
Mieux: des chercheurs de la London School of Economics ont créé Mapiness, une application Iphone visant à connaître l'humeur du mobinaute en fonction de son environnement local (pollution de l'air, bruit, espaces verts...). On imagine les déclinaisons que les marques pourraient en faire. «Tu es déprimé, viens faire un saut au sauna du coin»...