Dans les rues de New York, la chorégraphe Blanca Li est en plein travail avec le mannequin Coco Rocha. Le temps de deux nouveaux films publicitaires, la chorégraphe devient, en effet, réalisatrice pour la marque Longchamp. Un nouveau territoire pour l'annonceur qui est également mécène de l'exposition «Danser sa vie» au Centre Pompidou, à Paris, jusqu'au 2 avril 2012.
Une nouvelle initiative dans l'univers de la danse, domaine qui agite la publicité française particulièrement depuis six mois. Entre Prada Candy et Jean-Paul Goude qui emportent l'actrice Léa Seydoux dans une danse apache, Air France et le chorégraphe Angelin Preljocaj qui font prendre son envol au danseur étoile Benjamin Millepied ou encore Lanvin, Vanessa Bruno, Jean-Paul Gaultier, Chanel...
Toutefois, la publicité n'a pas attendu ces derniers mois pour découvrir la danse. Le hip-hop, la comédie musicale ou encore le «flash mob» sont des expressions créatives déjà utilisées dans la communication des marques. Néanmoins, deux styles semblent avoir plus récemment les faveurs des annonceurs : la danse classique et la danse contemporaine (dans ce qu'elle a de plus classique et abordable par le grand public). «Elles véhiculent des valeurs telles que le travail et la rigueur mais également une esthétique qui plaît, notamment dans la mode et le luxe», explique Stéphanie Giraud, fondatrice de l'agence Bonus Track.
Le chignon, la mèche qui tombe, le côté altier, la pose ou la tenue de la danseuse... L'univers créatif est vite posé. «Ce n'est pas un univers si codé que ça. On peut être ému par une chorégraphie sans en connaître tous les codes et sans vraiment savoir pourquoi», estime Clarisse Lacarrau directrice adjointe du planning de BETC Euro RSCG. Dès lors, c'est le corps en mouvement, sans machine intermédiaire, que veut mettre en avant la publicité.
«Avec la danse, on est dans le spectacle et l'émotion. Dans la lignée de spectacles publicitaires comme le film “Balls” de Sony Bravia ou le “Gorille” de Cadbury où la marque fait vivre ce qu'elle promet à travers une sensation», analyse Sébastien Genty, directeur général adjoint en charge du planning au sein de l'agence DDB. Qui plus est, un spectacle dépourvu de mots, donc sans frontières. Une donnée qui pèse lourd dans les choix de communication des marques actuelles.
Au-delà de ces atouts, où cet engouement publicitaire trouve-t-il sa source ? Au cinéma d'abord. En février 2011, le film Black Swan réalisé par Darren Aronofsky a, en effet, mis le monde de la danse sous les feux des projecteurs. En avril, le film-hommage consacré à la chorégraphe allemande Pina Bausch réalisé en 3D par Wim Wenders a connu un succès d'estime avec 313 000 spectateurs en France. Par ailleurs, des événements comme la première édition de la Fête de la danse organisée en septembre dernier au Grand Palais par la chorégraphe Blanca Li, qui a accueilli plus de 14 000 spectateurs-participants, ont également contribué à populariser la discipline. Enfin, dans un contexte de crise économique, la vision de gens qui dansent a un impact positif sur le spectateur. Une aubaine pour les marques qui trouvent ainsi au climat de rigueur et d'inquiètude actuel une échappatoire poétique, voire comique à l'instar des mannequins Lanvin.
Reste au milieu de la danse à ne pas perdre son âme... D'autant que toutes les créations publicitaires ne sont pas toujours des réussites. «Le fait de réaliser de bout en bout le film pour Air France était une vraie protection vis-à-vis de mon travail artistique», défend Angelin Preljocaj. Celui-ci pense d'ailleurs que publicité et danse peuvent faire bon ménage car elles ont un sens du rythme en commun : «Une œuvre est traversée par une grande respiration mais aussi par plein de petits rythmes d'une minute ou 45 secondes. Des temps qui sont ceux de la publicité», explique-t-il.
Toutefois, pour le duo de chorégraphes «I could never be a dancer», «il va falloir maintenant aller au-delà des clichés véhiculés sur la danse par la publicité». Hormis le dernier spot Chanel utilisant la technique des «doigts dansants» (ou nanodanse), ceux-ci ont également réalisé des performances pour les Galeries Lafayette ou la Gaîté lyrique. De fait, la tendance va bien au-delà des spots publicitaires. «La danse et ce qu'elle peut générer comme création originale permettent de créer des événementiels plus originaux, plus chics que le “photo call” et les autres animations que l'on voit partout», ajoute Stéphanie Giraud. A vos chaussons...
(sous papier)
Trois questions à... Dane Shitagi
Célèbre pour son «Ballerina Project» mettant en scène des ballerines dans les rues de New York, le photographe a également travaillé pour Longchamp.
Votre «Ballerina Project» a démarré il y a dix ans. Que pensez-vous de la visibilité récente de la danse dans la publicité française?
Dane Shitagi. C'est merveilleux de voir plus de danse dans la publicité, mais malheureusement dans de nombreux cas, ce n'est pas le talent de danseurs professionnels qui est utilisé. La plupart des mannequins n'ont ni la formation ni l'expérience pour transmettre l'essence de la danse. Même chose pour la production hollywoodienne Black Swan où le monde de la danse est, certes, dévoilé au grand public mais pas de la bonne façon.
Quels souvenirs gardez-vous du tournage pour Longchamp?
D.S. J'ai vécu une expérience incroyable, rendue possible grâce au directeur créatif Van Tran de l'agence Air et la directrice artistique de Longchamp Sophie Delafontaine. Ils m'ont ouvert un espace créatif assez rare dans le monde commercial d'aujourd'hui. J'ai travaillé pendant environ deux mois et demi afin de préparer cette campagne.
Considérez-vous votre travail pour Longchamp comme une suite à votre projet photographique?
D.S. Mon projet a été la source d'inspiration de cette campagne mais je ne considère pas que celle-ci a suivi ses traces. En effet, l'agence et la marque ont décidé d'utiliser des mannequins plutôt que des danseuses professionnelles car ces dernières n'ont pas un corps de mannequin. Coco Rocha et les autres modèles avaient quelques antécédents de danse mais pas d'expérience professionnelle dans ce domaine. Or pour le «Ballerina Project», j'ai seulement travaillé avec des danseuses (ou des étudiantes) de ballet. Pour être appelée une «ballerine», il faut consacrer sa vie au ballet.