Vendredi 11 mars. 14h46, un séisme de magnitude 8,9 sur l'échelle de Richter secoue le nord-est du Japon. 15h30, un tsunami de plus de 10 mètres de haut dévaste la côte. Le lendemain, une explosion se produit à la centrale de Fukushima Daiichi. Au total, trois des six réacteurs de la centrale subissent une fusion partielle de leur cœur, provoquant des rejets radioactifs considérables dans la région.
Cette catastrophe, la plus grave au Japon depuis le Seconde Guerre mondiale avec le séisme de Kobé en 1995, se solde à ce jour par 26 000 morts et disparus, 80 000 personnes évacuées et un coût de reconstruction représentant 2,5 à 4% du PIB national.
L'onde de choc a rapidement dépassé le seul archipel japonais relançant le débat sur les dangers du nucléaire. Le 30 mai, l'Allemagne déclare renoncer à l'énergie nucléaire. En France où 58 réacteurs produisent 80% de l'électricité, interrogations et inquiétudes gagnent.
La bataille des sondages fait rage. Selon une enquête menée quelques jours après la catastrophe par l'Ifop pour Europe Écologie, 70% des Français sont pour une sortie du nucléaire. Au même moment, un sondage de TNS Sofres pour EDF assure que 55% des Français sont opposés à l'abandon de la production d'électricité nucléaire en France.
Les antinucléaires y voient en tout cas l'occasion de faire bouger les lignes. «Avec Fukushima, on observe une vraie prise de conscience de l'opinion sur le nucléaire. Aujourd'hui, on parle des risques», lance Axel Renaudin, responsable de la communication de Greenpeace dont des militants ont réussi, le 5 décembre dernier, à déjouer le système de surveillance de deux sites nucléaires en y pénétrant clandestinement.
Jean-Marc Huleux, vice-président d'Euro RSCG C&O, agence d'EDF et d'Areva, voit évidemment les choses différemment: «La priorité des Français n'est pas de savoir comment est produite leur énergie mais combien cela va leur coûter.» Didier Witkowski, directeur des études d'EDF, précise: «Si Fukushima a indéniablement suscité un questionnement sur l'emploi du nucléaire, notamment parmi les jeunes nés après Tchernobyl, les lignes n'ont pas fondamentalement changé. Il y a toujours 26 à 30% de personnes favorables au nucléaire et 17 à 20% qui y sont opposées. Le reste de la population ne s'intéresse pas au sujet.»
De fait, si l'on en croit le Web, l'opinion serait déjà passée à autre chose. «Dès le mois de juillet, les requêtes sur Internet liées à la question de la sortie ou des dangers du nucléaire ont retrouvé leur niveau d'avant-crise», assure Stéphane Guerry, directeur général de l'agence digitale Duke Razorfish, qui travailla précédemment pour EDF chez Euro RSCG C&O. «Sur le site Planète énergies de Total [client de Duke], qui est un bon capteur de tendances, le nucléaire ne réunit que 6% des visites derrière le solaire (14%) et le gaz/pétrole (40%). À noter que dans la rubrique «L'énergie, demain», le nucléaire ne comptabilise que 3% des requêtes contre 40% pour les énergies renouvelables», ajoute-t-il.
Cependant, la peur du nucléaire reste forte. Une enquête BVA pour la société d'économie d'énergie Evasol, publiée le 2 décembre dans 20 Minutes, montre ainsi qu'un accident dans une centrale nucléaire est considéré comme la menace la plus inquiétante (59%) loin devant la pollution par les engrais (48%) et la destruction des forêts (47%).
Fukushima aura au moins eu le mérite de placer le débat sur un terrain plus rationnel. «Jusqu'ici antinucléaires et "nucléocrates" s'enfermaient dans des options radicales nuisant au débat pourtant indispensable sur la transition énergétique», constate Xavier Guilhou, président de XAG Conseil, cabinet spécialisé dans la prévention et le pilotage des risques.
Or la peur n'est pas bonne conseillère rappelle pour sa part Laurent Vibert, président de l'agence Comcrise: «Plus on est dans les extrêmes, moins la communication est efficace pour gérer une crise. L'idéal serait de prendre acte que nous vivons dans une société à risques qu'il faut gérer.»
Très sollicitées par les médias soudainement plus critiques, les ONG ont en tout cas abondamment participé au débat. «Après Fukushima, la publicité d'Areva [«L'Épopée de l'énergie» diffusée début 2011] n'est plus envisageable. Quant à comparer Areva à Nespresso [interview du 10 juillet 2008 à Challenges d'Anne Lauvergeon, alors présidente d'Areva], c'est une banalisation du nucléaire aujourd'hui dépassée», lance Axel Renaudin de Greenpeace.
Mais les acteurs du nucléaire, attachés à la culture du secret, ont-ils vraiment saisi l'enjeu? «Ce monde d'ingénieurs qui va devoir s'ouvrir au débat n'est pas préparé à cela, tout comme la société civile d'ailleurs», estime Xavier Guilhou.
Le constat n'est évidemment pas partagé par les intéressés qui mettent en avant, suite à la crise de Fukushima, les conférences de presse quotidiennes de l'Autorité de sûreté nucléaire, la prise de parole sur RTL, cinq jours après l'accident, d'Henri Proglio, président d'EDF suivie d'une campagne de publicité sur le thème de la transparence en juillet et de l'organisation de journées portes ouvertes dans plus de cinquante sites du groupe en septembre sans parler de l'intense politique de relations presse d'Areva. «Nous participons au travail d'explication de la production de l'énergie en présentant les faits au public», déclare Michel-Hubert Jamard, directeur de la communication d'Areva.
Le n°1 mondial de la construction et de l'approvisionnement de centrales nucléaires s'apprête d'ailleurs à reprendre la parole début 2012, cette fois non pas à la TV mais dans la presse et via des opérations terrain s'inspirant de la campagne «Areva vallée du Rhône» menée depuis 2009 avec un «van» itinérant, suite à l'incident du site du Tricastin l'année précédente.
«Autour de notre positionnement de "champion des énergies peu émettrices de CO2", notre communication reste axée sur la transparence, la proximité et la sûreté, tout en informant sur le poids social, économique et énergétique de la filière nucléaire», note Michel-Hubert Jamard.
EDF ne sera pas en reste. Courant janvier, le groupe lancera une campagne autour du «mix énergétique» qui mettra en avant ses investissements dans les énergies renouvelables notamment le solaire.
«Après le moment de l'émotion, nous sommes entrés dans celui de la réassurance et de la rationalité. Il nous faut mener un travail d'explication et d'accompagnement du public pour une meilleure maîtrise de sa facture énergétique», explique Catherine Gros, directrice de la communication, qui assure, qu'en cette période de crise, le statut d'industriel pourvoyeur d'emplois d'EDF renforce son image.
Face à cette nouvelle offensive des acteurs du nucléaire, plane toutefois une incertitude: celle liée à l'impact du débat de la présidentielle? «Pour l'instant, le nucléaire n'est pas perçu comme un sujet de clivage politique. Mais cela pourrait changer, tant est lourd le poids du politique sur cette question qui relève, pour l'opinion française, du domaine de l'État», remarque Didier Witkowski d'EDF.