Philippe Jaroussky, Roberto Alagna, Cecilia Bartoli, Natalie Dessay, etc. Que l'on soit néophyte ou passionné, cette liste d'interprètes classiques sonne à l'oreille du grand public. Et pour cause: ces voix de soprano, mezzo-soprano ou ténor figurent aujourd'hui parmi les meilleures ventes de disques physiques en France. Un sondage publié par la Sacem à l'occasion du Midem le 23 janvier montre d'ailleurs que la musique classique reste le deuxième genre musical préféré des Français (34%), après la chanson française (51%). Pourquoi un tel engouement autour du répertoire classique?
En 2010, ce genre musical représentait 5,7% des ventes de disques en France selon le Syndicat national de l'édition phonographique (Snep). Un chiffre qui se maintient depuis 5 ans. Fin 2005, c'est l'année Mozart. L'éditeur Abeille Musique sort un coffret intégral à 99 euros du célèbre compositeur. Celui-ci se vendra à pas moins de 250 000 exemplaires, un score très honorable. «En réalité, on peut même dater le premier signe de ce renouveau du genre avec la sortie du Vivaldi Album de Cecilia Bartoli, il y a onze ans, et autour duquel il y a eu un engouement médiatique et commercial», se souvient Yann Ollivier, président d'Universal Music classique et jazz. L'opus s'est en effet vendu à 500 000 exemplaires. Autre chanteur à succès, Roberto Alagna. «Ce ténor respecté par ses pairs va peu à peu sortir du répertoire uniquement lyrique pour reprendre des chansons populaires et se faire ainsi connaître du grand public», explique Romain Berrod, corédacteur en chef du magazine Musique Info.
Révolution marketing
Des plateaux télés à la presse écrite généraliste, les médias ouvrent progressivement leurs portes à ces deux grands interprètes, les transformant en stars du classique. D'autres noms suivront, d'Hélène Grimaud à Patricia Petibon. «Des artistes classiques mondialement connus, il y en a toujours eu, de La Callas à Herbert von Karajan. Ce qui a changé, c'est que ceux-ci ont perdu leur côté diva, devenant du coup plus populaires», explique Yann Ollivier.
Côté coulisses, cela passe par une transformation en profondeur des stratégies de marketing. «Le classique a peu à peu adopté les techniques de promotion de la musique pop», souligne Romain Berrod. Premier effet visible: l'évolution du packaging des pochettes de disque. Le label indépendant Naïve sera ainsi l'un des premiers à oser se passer des traditionnels tableaux d'Eugène Delacroix associés aux œuvres classiques. À présent, c'est l'interprète qui trône. «Le fait de mettre l'accent sur eux permet aux maisons de disques d'émerger au sein d'un répertoire déjà connu et enregistré dans son intégralité. Désormais, ce qui compte c'est la signature, l'œuvre "interprétée par"», explique Laurent Worms, consultant en communication et marketing pour la musique classique.
«Le problème du répertoire classique, c'est qu'il est substituable. Or, en magasin, face à cinq ou six interprétations d'une même œuvre, les consommateurs ont d'abord tendance à choisir le disque le moins cher», confirme Yann Ollivier chez Universal Music classique et jazz. Des artistes-marques «bankables» (dont la seule présence est gage de réussite) qu'il faut désormais montrer et promouvoir dans les médias. «Cette logique d'exposition n'existait pas jusque-là dans le classique. Mais elle est devenue si systématique qu'elle figure d'emblée dans les discussions lors de la signature d'un contrat avec un nouvel artiste classique», confie Yann Ollivier.
Et pour répondre à la demande d'un public en majorité âgé de plus de 50 ans, la promotion de ces artistes se veut traditionnelle, faisant de la télévision le média de prédilection des stars du classique. Certains d'entre eux flirtent même sans complexe avec la publicité, comme le pianiste chinois Lang Lang, ambassadeur des marques Montblanc et Adidas. La marque de sport a même créé un logo unique pour le virtuose. Un vent de «pipolisation» qui touche le secteur dans son ensemble. La station Radio classique a ainsi peu à peu coloré ses grilles de chroniqueurs stars, de Richard Morin à Carole Bouquet en passant par Ève Ruggieri (lire ci-dessous). De même, la marque Pleyel, célèbre fabricant français de pianos, cède à la tentation en sortant une campagne de publicité qui va jusqu'à dévoiler un sein de l'actrice Julie Depardieu…
Public de passionnés
Pourtant, malgré ces stratégies marketing renouvelées, le public du classique – qui se maintient – n'a pas rajeuni. Le sondage Sacem montre ainsi que la musique classique n'est citée parmi les goûts musicaux des Français qu'à partir de la tranche d'âge 35-49 ans (26%), où il occupe la quatrième position. Au sein de la tranche d'âge des 65 ans et plus (66%), ce genre musical apparaît en tête. Ce public senior est en réalité une des explications du maintien des ventes du classique malgré la crise du disque. En effet, cette clientèle reste plus attachée au support physique pour écouter les œuvres. Conséquence, le secteur est également moins touché par le piratage.
Pour satisfaire cette clientèle du classique, un distributeur comme la Fnac a mis au point des réponses spécifiques. Ainsi, en 2009, un «espace-passion» classique a ouvert au sein du magasin de la Fnac Montparnasse à Paris, avec 17 000 références et des vendeurs spécialisés. Un autre a suivi, depuis, à la Fnac des Ternes, toujours à Paris. «Le classique regroupe un public de passionnés et de fins connaisseurs à la recherche de conseils pointus», estime Alexandre Viros, directeur musique à la Fnac.
Par ailleurs, pour tenter d'élargir ce public, en séduisant notamment les femmes, la Fnac a elle-même produit en 2010 une série de disques-coffrets Le classique c'est chic, offrant des clés d'entrée originales sur le répertoire comme La musique classique et la publicité ou La musique classique et le cinéma. Des disques-objets accompagnés de livrets explicatifs, dans le même esprit que ceux figurant dans les albums de Cecilia Bartoli ou Philippe Jaroussky, qui travaillent des œuvres inédites. Un «plus-produit» qui plaît particulièrement à la clientèle du classique. Du moins tant que le CD existe encore…
Top 5 des ventes Fnac de musique classique en 2010
1 Spiritus Dei - Les Prêtres (Universal)
2 Sospiri - Cecilia Bartoli (Decca)
3 Caldara in Vienna - Philippe Jaroussky (Virgin Classics)
4 Transcriptions pour accordéon Bach - Richard Galliano (Deutsche Grammophon)
5 Sacrificium (édition limitée) - Cecilia Bartoli (Decca)