Et une de plus… La Poste se présente dans la dernière ligne droite de sa course de fond de l'ouverture à la concurrence. Au terme d'un processus par étapes entamé en 2000, l'entreprise publique a perdu depuis le 1er janvier 2011 le monopole sur l'ensemble du marché du courrier. Désormais, les plis de moins de 50 grammes sont également concernés par la libéralisation européenne.
Un sacré défi alors que le marché du courrier est en déclin, confronté à sa dématérialisation avec la vogue de l'e-mailing bien moins cher et l'explosion des SMS. Au point qu'entre 2008 et 2015, 30% du trafic du bon vieux courrier postal devrait disparaître, prédit elle-même La Poste (lire l'entretien ci-contre).
Celle-ci s'est métamorphosée pour anticiper cette ouverture totale du marché: elle a obtenu la création d'une banque de plein exercice en 2006, a pu devenir une société anonyme à capitaux publics en mars 2010 et s'est lancée dans un ambitieux plan pour transformer ses agences en «supérettes du courrier». Mieux, elle va lancer en mars sa boîte aux lettres sécurisée virtuelle, Digiposte, et devenir un opérateur mobile. Avec un premier concurrent déclaré pour l'activité colis, Mondial Relay, qui vient de lancer son nouveau service «C.pourToi».
Mais cette mutation a un prix: elle a dû engager un sévère plan de réduction d'effectifs. Plus de 60 000 postes n'ont pas été remplacés ces huit dernières années, dont 13 800 en 2010, affirme le syndicat SUD-PTT. «Entre un départ sur trois et un sur quatre» est actuellement remplacé, admet La Poste. Laquelle teste auprès de ses managers des formations destinées à mieux faire «comprendre le changement», mais d'ores et déjà contestées.
Enthousiasme modéré des consommateurs
L'activité postale n'est pas le premier service public à s'ouvrir à la concurrence: auparavant, il y a eu le transport aérien en 1997, les télécoms en 1998, le fret ferroviaire en 2006, le gaz et l'électricité en 2007, le transport ferroviaire de passagers à l'international, ainsi que les jeux en ligne (paris et poker) en 2009.
Mais que pensent les Français de ces privatisations successives? Qu'en attendent-ils de plus? L'ouverture à la concurrence est-elle synonyme de services plus variés, de baisse des prix? Pas vraiment, comme en témoigne une étude réalisée par le cabinet Vertone et l'institut Panel on the Web en décembre dernier (1) et rendue publique ce jeudi 13 janvier. Certes, 56% se déclarent enthousiastes face à cette ouverture des marchés, à 68% pour le transport ferroviaire régional à 85% pour l'énergie. Mais ils restent majoritairement attachés à la notion de service public (57%) et, paradoxalement, plébiscitent, à 83%, le fait que l'Etat conserve un droit de regard sur les marchés ouverts.
Les Français restent très pragmatiques, avec des attentes fortes face à ces ouvertures de marchés. «Ils sont majoritairement enthousiastes face à ces ouvertures, non pas par idéologie, mais plutôt par intérêt. Ils en espèrent avant tout, par le jeu de la concurrence, une baisse de tarifs pour près de 60% d'entre eux et une amélioration de la qualité de service rendu», souligne Valérie Jourdan, PDG de Panel on the Web.
Les ratés du marché de l'énergie
Seulement voilà: dans le cas du marché de l'énergie, près de 60% des sondés estiment que l'ouverture à la concurrence n'a pas occasionné la baisse des prix attendue et 45% n'y ont vu aucune amélioration de la qualité de service. «L'ouverture du marché de l'énergie en 2007 n'a pas créé d'emplois, d'innovation, de baisse des prix, ni de meilleure relation client», reconnaît Emmanuel Sellier, «senior manager» chez Vertone. De fait, une très large majorité des consommateurs sont restés chez EDF et GDF: les opérateurs alternatifs ne représentaient que 5,2% de part de marché au troisième trimestre 2010, d'après la Commission de régulation de l'électricité. Explication: lors de l'ouverture, «il y a eu un déficit d'information du grand public sur les nouvelles offres et des prises de position pas toujours rassurantes d'associations de défense des consommateurs. Et les tarifs des opérateurs alternatifs n'étaient pas assez compétitifs face aux offres régulées», explique Emmanuel Sellier. Premier visé par cette déception, Poweo, une start-up de l'énergie très médiatisée lors de son lancement, mais aujourd'hui en situation difficile (lire l'encadré).
L'attente est tout aussi forte sur les marchés du transport ferroviaire et des services postaux, derniers grands marchés en date à s'ouvrir à la concurrence. Mais «au-delà de la baisse des tarifs, les attentes des clients sont aussi très liées aux faiblesses des acteurs historiques: le non respect des horaires et la fréquence des grèves», souligne Emmanuel Sellier. Ainsi, l'attente au guichet fait partie des trois premières attentes relatives à l'ouverture du marché des services postaux.
Du coup, les futurs entrants ont une carte à jouer: 66% des sondés se disent enclins à tester les offres des concurrents de La Poste. «Les futurs entrants devront gérer correctement les incidents, par exemple liés à des surfacturations», estime Valérie Jourdan, de Panel on the Web. «La notion d'expérience client est importante. Ils devront en tenir compte dans leur stratégie marketing. Dans le transport ferroviaire, par exemple, en proposant des services autour du voyage: un service d'achat des billets facilité, des services spécifiques – bagagerie, taxi – pour les professionnels et clients réguliers…», estime Emmanuel Sellier. A bon entendeur…
(encadré)
Baisse de régime pour Poweo
Son lancement au printemps 2007 devant la presse, dans un loft branché du 10e arrondissement parisien, était des plus prometteurs. Une véritable start-up de l'énergie, portée par le médiatique Charles Beigbeder, déjà à l'origine de Selftrade, pionnière du courtage en ligne. Depuis, Poweo a connu une véritable descente aux enfers. Dernier épisode: l'annonce, le 22 décembre dernier, de la vente de sa branche production, pour 120 millions d'euros à son actionnaire de référence, l'autrichien Verbund. La seule solution pour renflouer ses caisses et assurer la continuité d'exploitation du groupe. Du coup, Poweo a vu sa capitalisation fondre comme neige au soleil, à 67,5 millions d'euros fin 2010, contre 518 millions en 2007. L'avenir du groupe, qui perd 4 millions d'euros par mois dans son métier de détail, ne tient qu'à un fil: la cession par EDF de 25% de sa production nucléaire à ses concurrents dans le cadre de la nouvelle réforme du marché. Celle-ci a été votée en novembre, mais personne ne sait encore si ses modalités d'application permettront effectivement aux fournisseurs alternatifs de rivaliser avec EDF. Direct Energie (Groupe Louis Dreyfus et François 1er Energie de Stéphane Courbit), qui lorgne les 400 000 clients de son concurrent, est en embuscade.