La crise du disque aurait-elle décomplexé les artistes? Puisque plus rien dans cette industrie ne sera comme avant, autant dès lors jouer la carte de la singularité. En 2010, les albums et CD-concepts ont plus que jamais envahi les bacs, une manière de contrer la désacralisation de ces objets de plus en plus dématérialisés.
L'exemple le plus marquant reste le Za7ie de la chanteuse Zazie: une ambitieuse série de sept mini-albums de sept titres chacun. Au total, quarante-neuf chansons empaquetées dans un coffret géant en forme de maison qui sonne comme une gageure pour le label Mercury (Universal). De fait, l'objet fait figure d'ovni sur le marché français. «Cet album restera dans l'histoire du disque en raison de sa composition singulière. Zazie a pensé l'évolution du support en tenant compte d'Internet et de son offre déjà riche», souligne Didier Varrod, corédacteur en chef du magazine Serge. Un calcul malin quand on sait qu'«un achat de disque sur deux en magasin est un cadeau», selon Pascal Nègre, PDG d'Universal Music France.
D'autres artistes ont aussi misé sur la créativité, mais cette fois sans filet. C'est le cas d'Alain Chamfort et de Pierre-Dominique Burgaud qui ont sorti – sans maison de disques – un album consacré au couturier Yves Saint Laurent. Proposé sous la forme d'un livre-CD, Une Vie Saint Laurent est à présent disque d'or avec plus de 60 000 albums vendus. Même audace chez Étienne Daho qui a imaginé, avec Jeanne Moreau, une version parlée-chantée du magnifique Condamné à mort du «poète-voleur» Jean Genet. Un album en vers lancé avec le propre label de Daho, Radical Pop (Naïve).
Pari difficile
«Cette génération d'artistes, qui a connu l'ivresse du succès, est contrainte au questionnement, au danger et donc au renouvellement artistique. Et cette nouvelle recherche s'inscrit forcément dans une autre économie, une microéconomie», estime le journaliste Didier Varrod. «Ces albums atypiques sont des produits que l'on "promotionne" différemment des disques classiques», raconte Alexandre Viros, directeur musique à la Fnac. En novembre, l'enseigne culturelle a ainsi organisé au 104 un «concert-répétition générale» du duo Daho-Moreau, en préambule des représentations officielles à l'Odéon. «Nous suivons cet intérêt nouveau du public pour des œuvres singulières qui racontent une histoire de bout en bout», confirme Alexandre Viros.
Mais à être ainsi conceptualisé, le message de l'artiste ne risque-t-il pas de se perdre? Une course à l'idée la plus originale semble malgré tout inéluctable pour émerger de la masse. «Un album-concept est toujours un pari difficile, car il ne faut pas que l'idée tue la chanson. Le plaisir d'écouter le morceau doit rester le plus fort», souligne le parolier Pierre-Dominique Burgaud.
«À force de vouloir innover, on peut aussi basculer dans la complexité. C'est le cas du concept du dernier Zazie, difficile à comprendre. Du coup, même s'il s'agit sûrement de l'un de ses albums les plus intéressants, il faut aller le picorer pour s'en apercevoir», affirme Didier Varrod. Car, si l'idée créatrice se décline, il ne faut pas se tromper de discipline, prévenait déjà le philosophe Gilles Deleuze: «Le philosophe crée des concepts, l'artiste (le romancier ou le peintre) crée des préceptes et le musicien crée des affects.» Et ce n'est déjà pas si mal.