Du jaillissement, du jaillissement, du jaillissement… Ce pourrait être le refrain d'une chanson, mais c'est en réalité le nom d'un nouveau virus qui sévit dans la publicité française. Nom de code: «Syndrome Haribo». Revenons en arrière.
A l'été 2009, la marque de friandises inaugure en France la publicité 3D au cinéma. Projeté avant le film Avatar de James Cameron, le spot de 40 secondes fera date: les bonbons jaillissent dans les salles de cinéma et le public ébahi découvre toutes les possibilités qu'offre désormais cette technologie aux annonceurs. Depuis, de nombreuses marques comme Perrier, Badoit ou Carte noire ont eu envie, elles aussi, de voir leurs produits surgir, jaillir, rebondir.
«Le film Haribo a créé une sorte de phénomène de foire. Tout le monde voulait aussi surprendre le public, mais on ne peut pas faire trente secondes uniquement remplies de jaillissements. Cela donnerait mal aux yeux et à la tête», explique François Brun, directeur général du studio Wizz. Un discours difficile à faire entendre aux annonceurs. «Lorsque l'on montre au client son film aux différentes étapes de sa fabrication, il y a toujours un moment où il vit une espèce de déception parce que, souvent, il espérait plus de jaillissements, raconte Pierre Escande, directeur de la production publicitaire chez BUF Compagnie, société spécialisée dans les effets numériques. Certaines fois, même, on se demande vraiment pourquoi certaines marques veulent à tout prix faire jaillir leurs produits alors que ça ne fonctionne pas du tout.»
Les marques les plus désireuses de se jeter dans la 3D sont bien évidemment celles en adéquation avec une cible jeune, celles qui vont le plus s'amuser avec les effets techniques proposés. Ainsi, M&M's a sauté des deux pieds dans cette technologie, jouant à plein sur le côté interactif dans un spot coréalisé par les agences CLM BBDO et Partizan: le personnage Rouge vient chercher son partenaire Jaune jusque dans la salle de cinéma.
«Au-delà du jaillissement, il faut créer une interaction entre le public et l'animation. Dans ce domaine, on peut aller très loin en jouant avec le premier, allant même jusqu'à lui faire faire une chorégraphie», ajoute Eric Pierre, directeur de création chez CLM BBDO. En effet, le jaillissement n'est vraiment qu'une petite partie des possibilités créatives offertes par la 3D: le graphisme, les cadres, la profondeur de champ sont autant d'outils à la disposition des créatifs, plus que jamais secondés dans cette nouvelle écriture par les studios spécialisés.
«On apprend à écrire 3D petit à petit. Il faut vraiment penser différemment et oublier nos réflexes en 2D pour faire que le message publicitaire fonctionne à plein avec cette nouvelle technologie», analyse Sophie Megrous, responsable de la production chez DDB. L'agence vient de sortir un film 3D de 60 secondes, réalisé en collaboration avec BUF Compagnie, pour Bouygues Telecom, diffusé depuis le 8 décembre au cinéma.
Une nouvelle écriture
Autre contrainte technique, le temps. «Pour que le cerveau comprenne que l'on est en 3D, il faut ralentir le rythme du récit, contrairement à l'histoire à la télévision, qui va très vite. Résultat, certains clients trouvent que leur film manque de dynamisme», détaille François Brun, chez Wizz. Dans le film d'animation en 3D L'Age de glace 3, le temps des dinosaures, sorti en 2009, la célèbre scène de l'éléphant qui remue sa trompe en direction des spectateurs assis dans la salle dure ainsi au moins dix secondes. Le tiers d'un spot de publicité. Une équation technique difficile à tenir.
La 3D induit une nouvelle écriture, certes, mais, au cinéma, celle-ci va toujours dans le même sens: les sensations fortes. En 1895 déjà, les frères Lumière faisaient surgir sur grand écran un train entrant dans la gare de La Ciotat. Les spectateurs effrayés ont hurlé et couru jusqu'au fond de la salle. «C'était déjà le début du cinéma interactif et nous en sommes exactement là avec la technologie 3D. Il y a quelque chose d'excitant», estime François Brun, chez Wizz. «La 3D crée une nouvelle grammaire cinématographique», confirme Eric Pierre, de CLM BBDO.
Mais là où le bât blesse encore, côté annonceurs, c'est lorsqu'il s'agit de faire la différence entre un spot de promotion et un film racontant vraiment une histoire. Ainsi, le film en 3D «Total Moon Race» du groupe pétrolier a été conçu dès le départ comme un court-métrage. Pendant 107 secondes se déroule ainsi une course vertigineuse à bord d'une Renault F1 disputant un Grand Prix… sur la lune. «Dès le départ du projet, nous avons travaillé sur le relief et le graphisme afin de montrer la Formule 1 de manière réaliste et novatrice», explique Pierre Escande, de BUF Compagnie.
Autre exemple, toujours pour Renault, le film 3D «Le Souffle extraordinaire » conçu et produit par Europa Corp et l'agence Blue. Ce court-métrage de près de 4 minutes exprime la vision de la marque quant à la place de l'automobile électrique dans la ville. Il a été pensé dès sa conception pour la 3D au format cinéma.
Le futur marché du petit écran
Chez les créatifs, le constat est unanime: «Pour faire des films réussis, il faut absolument oublier la mauvaise tentation de faire basculer en 3D un film conçu au départ pour la 2D», lance Eric Pierre.
En plein éveil, la 3D n'est pas près de sortir de la tête des annonceurs et de leurs agences. En effet, après le grand écran (cinéma), le marché du petit écran s'annonce prometteur. «Il n'est pas encore suffisamment développé pour s'intégrer dans nos briefs créatifs, mais on commence à regarder de près ce qui se passe», explique Lorraine Holl, directrice de création chez Leo Burnett, qui a travaillé sur le film 3D «Trésor» de Kellogg's.
Toutefois, d'ici à 2015, un tiers des foyers des cinq grands pays européens (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni) devrait être équipé d'une télévision 3D, selon le cabinet Price Waterhouse Coopers. Quelle marque aura l'audace de s'y lancer la première?