Le 18 octobre dernier, un communiqué de Chevron présentait la nouvelle campagne du groupe signée «We agree» («Nous sommes d'accord»). La compagnie pétrolière y annonçait sa volonté de «couper court avec le passé», Rhonda Zygocki, vice-président des affaires publiques du groupe allant même jusqu'à déclarer: «Depuis des décennies, les compagnies pétrolières comme la nôtre ont travaillé dans des régions en difficulté, influençant leur politique afin de faire là-bas ce que l'on ne peut pas faire ici. Il est temps que cela change.» Le communiqué renvoyait sur un site et des annonces publicitaires déclarant que «les compagnies pétrolières devraient réparer les problèmes qu'elles créent» ou «il est temps que les compagnies pétrolières arrêtent de mettre la vie en danger». Une prise de parole pour le moins étonnante!
En fait, cette annonce retentissante n'était qu'un... canular, conçu par The Yes Men, un collectif d'activistes américains adeptes du genre et opposés aux dérives du libéralisme. Remarquablement réalisée, cette parodie publicitaire, diffusée sur Internet quelques heures seulement avant la révélation de la vraie campagne TV et presse de Chevron, reprenait à l'identique son concept conçu par l'agence américaine McGarry Bowen (Dentsu). Mais les visuels et les textes étaient loin des bonnes intentions affichées dans les annonces officielles («Les compagnies pétrolières devraient investir leurs profits à des fins généreuses» ou «L'industrie du pétrole devrait aider les petites entreprises»).
le groupe n'a pas sur rebondir sur la parodie
De quoi donc sérieusement déstabiliser le pétrolier qui espérait améliorer son image , au moment même où des milliers de citoyens équatoriens lui livrent un procès historique pour pollution dont les dommages et intérêts pourraient s'élever à 27 milliards de dollars. Face à ce piratage publicitaire, Chevron s'est contenté, pour l'heure, de condamner cette contrefaçon mettant à mal, selon lui, le dialogue qu'il a engagé avec les parties prenantes et plus largement l'opinion publique.
«Il est clair que la communication de Chevron est bridée par ses avocats. Sa marge de manœuvre est très faible», estime Nicolas Vanbremeersch. Le fondateur de l'agence de communication coporate en ligne Spintank regrette que le groupe pétrolier ne rebondisse pas sur cette parodie, par exemple en allant plus loin dans sa démarche publicitaire en apportant des preuves tangibles de ses engagements tant vantés dans sa campagne. «Cette dernière, avant tout déclarative et incantatoire, est elle-même un simulacre. Pas étonnant que The Yes Men se soient engouffrés dans cette brèche», ajoute-t-il.
Attaquer des marques sur le Net n'est certes pas une nouveauté. L'association Greenpeace s'y essaie d'ailleurs régulièrement depuis plusieurs années: en 2007 avec l'opération Green My Apple, en 2008 avec des vidéos parodiques sur Dove et encore au printemps dernier avec la retentissante web-guerilla contre Nestlé sur le thème de la déforestation en Indonésie. Mais avec Chevron on atteint un seuil supérieur en termes de professionnalisation. «Dans ce nouveau contexte où le caractère plus social d'Internet en a fait le média idéal des sans-voix et de toutes les parties prenantes, les entreprises devraient revisiter leurs procédures de gestion de crise qui ne sont pas adaptées à la réactivité et à la spécificité du Web», conseille François Guillot, associé chez I&E Consultants et responsable du pôle I&E on.
En l'occurrence, face à ce genre d'attaques, quelques règles de base ne sont pas superflues. «Un bon système de veille sur la Toile est bien sûr essentiel, déclare Jérôme Lascombe, président d'Hopscotch (Le Public Système), mais une fois l'attaque débusquée, il ne faut pas surréagir, par exemple en poursuivant pour détournement de marque, sous peine de prendre le risque de victimiser les activistes. En revanche, il est bon de diffuser sur le Net beaucoup de contenus afin de contrebalancer les informations négatives.» Or, en la matière, Chevron a encore des progrès à faire.
Voir également: Fake me, I'm famous : une selection de campagnes publicitaires récentes axées sur les «fakes»ou canulars