Mardi 11 mai. 19h45. Il fallait montrer patte blanche, et sa carte de presse, pour pénétrer dans le siège de TF1. À Boulogne-Billancourt, la tour est exceptionnellement cernée par les camions régies des chaînes d'information. Celles-ci sont déjà prêtes à retransmettre en direct l'événement: l'annonce des joueurs retenus pour la Coupe du monde de football que Raymond Domenech dévoilera dans quelques minutes dans le JT de 20 heures. Postés devant la porte tambour qui donne accès au bâtiment de la chaîne, les hommes du service d'ordre sont intransigeants. Pour pénétrer dans le saint des saints et écouter la liste des noms de Raymond, il faut déjà avoir le sien sur celle de TF1. En tout, 110 journalistes accrédités par la Fédération française de football. Ouf, le mien y figure bien. Je reçois donc l'autorisation d'entrer.
À l'intérieur, la chaîne a transformé en salle de presse l'espace habituellement réservé aux réceptions. Une trentaine de confrères est déjà à l'œuvre, l'ordinateur portable posé sur les tables dressées pour l'occasion. À H - 10 minutes, je pénètre dans l'auditorium de la chaîne, situé juste à côté. Sur un écran géant est projeté Le Juste Prix, le jeu qui précède la diffusion du JT. Suit la météo. Évelyne Dhélia et sa carte de prévisions en haute définition provoquent les premiers commentaires des journalistes présents: «Quel temps pourri, ça commence bien!».
Mécanisme bien huilé
Dans la salle, chacun a sa place. Au premier rang, les photographes, juste derrière, les journalistes radio, puis une rangée de cameramen – au nombre de quinze, ils forment un mur avec leur matériel. Enfin, dans les rangés supérieures se loge la presse écrite, dont Stratégies. Au balcon, sur les côtés, cinq commentateurs radio officient déjà en direct.
20 heures. Le générique du JT de TF1 fait accourir dans l'auditorium les derniers rédacteurs, cahier ou ordinateur sous le bras. Avec son haut de tailleur bleu foncé, Laurence Ferrari égrène les titres: procès Musulin, rapport sur les retraites, volcan islandais, Centre Pompidou de Metz, et, enfin, «l'événement sur TF1», l'annonce de la liste des joueurs retenus par Raymond Domenech pour la Coupe du monde de football. Le sélectionneur apparaît sur l'écran géant. Les appareils photo sortent des étuis. «Regarde nous, Raymond!», plaisante un photographe dans la salle.
20h23. Après avoir passé en revue toute l'actualité, Laurence Ferrari annonce, enfin, Raymond Domenech. Le silence se fait dans l'auditorium. Les stylos sortent des poches et les ordinateurs se calent sur les genoux. Sur l'écran, en bas à gauche, TF1 ajoute un logo «Coupe du monde». Interdits de studio, les photographes immortalisent l'instant en se contentant de l'image du sélectionneur projetée sur l'écran de l'auditorium. «Franchement, à quoi on en est réduit!», plaisante l'un d'eux.
Surprise, Raymond Domenech cite les noms de 30 joueurs, et non de 23 comme prévu. «Ah, quel rebondissement», se moque un confrère. Les photos des sélectionnés défilent, sans accroc, parfaitement coordonnées avec les propos du dirigeant. «Il n'y a que des jeunes, des moins de 30 ans», s'étonne mon voisin, tout en tapant sur le clavier de son portable.
Éluder les sujets qui fâchent
20h36. L'interview se conclut. Laurence Ferrari annonce le lancement du site Internet que TF1 met en ligne pour la Coupe du monde, et salue les téléspectateurs. Dans la salle, le rideau se ferme.
Sur la scène, on installe aussitôt un pupitre et le panneau des sponsors de l'équipe de France devant lequel ira s'installer Raymond Domenech. Un animateur demande aux journalistes d'éteindre leur téléphone. Dans la salle, Laurent-Éric Le Lay, patron d'Eurosport et négociateur en chef des droits TV du groupe TF1, attend la fin de la prestation du sélectionneur. Il faut patienter jusqu'à 20h59 pour le voir arriver dans l'auditorium en costume sombre, cravate rayée et dans un silence quasi religieux. Les chaînes d'info et sportives prennent l'antenne en direct, ainsi que les radios généralistes. Un à un, les journalistes enchaînent les questions en attendant gentiment d'y être invité. Chacun se présente, ce qui amuse et étonne Raymond Domenech: il connaît tout le monde.
21h09. La première allusion à la call-girl Zahia et à Putix, la nouvelle marionnette des Guignols de l'info, sur Canal+, fait sourire le sélectionneur. Il botte en touche: «On joue au football, nous, mais j'espère que nous ne ferons rire personne.»
«Pourquoi avoir choisi TF1 pour cette annonce?», enchaîne quasiment immédiatement une autre journaliste. «Et pourquoi pas?», chuchote à un ami Nonce Paolini. Installé derrière moi, le président de TF1 savoure l'instant, confortablement lové dans l'un des fauteuils en cuir rouge de la salle. «Vous n'êtes pas bien accueillis, ici?», répond Domenech en guise de pirouette.
21h26. Dernière question. Ultime réponse. Raymond Domenech s'éclipse. Les flashs crépitent. Sur scène, l'installation est aussitôt démontée. Dans la salle, les cadreurs rangent leur matériel. Les journalistes, eux, filent dans leurs rédactions pour boucler leurs articles. Sur les chaînes d'info et à la radio, les débats sont lancés. Il pleut sur Paris et sur les bords de Seine, à Boulogne-Billancourt.
Mais TF1 a le sourire. La chaîne a réalisé un joli coup de communication, et donné le coup d'envoi officiel de la Coupe du monde de football dont elle sera le principal diffuseur.
Mardi soir, le JT de TF1 a été suivi par 10,4 millions de téléspectateurs, pour une part d'audience de 41,1%. Mieux: à 20h36, lors de l'annonce de Raymond Domenech, un pic d'audience a été atteint, avec 12,5 millions de Français. Juste après, Dr House n'a pas fait le malin. Le premier épisode de la série américaine, diffusé à 20h45, a été suivi par «seulement» 7,7 millions de personnes. Raymond plus fort que le docteur préféré des Français? De bon augure avant le Mondial.