Uber va ménager sa monture en France. En six années passées à rouler sur tous les obstacles se dressant devant elle pour atteindre la première marche du secteur des VTC, la société a sérieusement esquinté son image. Les clients lui reprochent entre autres son manque d’éthique. Et ses chauffeurs voudraient, notamment, être davantage rémunérés. « Nous avons une notoriété extrêmement forte, en revanche, nous avons mesuré une réelle baisse de la confiance en la marque et de la perception de la relation avec les chauffeurs », concède Joséphine Ceccaldi, senior marketing manager chez Uber France, s’appuyant sur une enquête menée par Ipsos début 2017. Pour redorer son blason, Uber France a confié à l’agence DDB Paris le soin de créer une campagne de marque, diffusée en TV jusqu’au 15 octobre, mais aussi en VOD et cinéma – et orchestrée par Omnicom Media Group. « Chaque jour, nous prenons des milliers de routes différentes : des bonnes, des mauvaises, des risquées. Nous avons toujours voulu aller plus loin, mais nous sommes parfois allés trop vite et nous n’avons pas toujours su écouter. Mais chaque nouveau trajet est une leçon… » La vidéo se poursuit sur un « merci pour chaque trajet, chaque étoile, chaque discussion ». En somme, mea culpa.
Trop vite, trop haut, trop fort
Après la campagne d’affichage au ton léger « Uber et moi » conçue en 2015 par Marcel (Publicis), Uber a considéré que l’urgence n’était plus de communiquer sur le produit, dont l’utilisation ne cesse de croître dans le pays (2 millions d’usagers), mais sur son image. « Nous avons décidé de reposer à plat la stratégie globale et d’ouvrir un nouveau chapitre axé sur l’écoute et l’échange, pour pérenniser la marque », explique Michelle Lamberti, directrice marketing d’Uber France. « Nous passons d’une logique de croissance à une logique de long terme », poursuit-elle. Paul Ducré, directeur général de DDB Paris et en charge du budget Uber dit avoir été « surpris » par le brief. « De l’extérieur, on pouvait en effet penser qu’un tel géant n’aurait pas le courage d’admettre qu’il était allé trop vite, mais j’ai senti beaucoup d’humilité et une vraie prise de conscience », assure le communicant. « Uber a parfois été trop loin, ce qui nous a fait apparaître comme inutilement agressifs plutôt que constructifs », concédait déjà en 2016 Pierre-Dimitri Gore-Coty, directeur EMEA, dans une tribune sur LinkedIn. Mais plus que des paroles, c’est sur les actes que la société est attendue au tournant par ses chauffeurs.
Partenaires particuliers
L’enjeu pour Uber est de les fidéliser, sur fond de pénurie et d’arrivée dans le pays cet automne de Taxify, la déclinaison locale du géant chinois Didi Chuxing : le seul à avoir réussi à chasser l’Américain d’un marché (la Chine). Uber vient de mettre en place une série de mesures : prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule, partenariat avec Axa pour une protection sociale, « coaching tool » pour améliorer leur façon de gérer leur micro-entreprise, et multiplication à venir de centres d’accueil - tels que celui d’Aubervilliers, sorte de "hub" dans lequel les chauffeurs peuvent venir se reposer ou s'informer. Avec ces gestes, Uber offre plus de considération à ses « partenaires ». Mais cela n’empêche pas certains de se voir plutôt comme des « esclaves modernes », payés 1 700 euros net par mois pour 60 heures de travail par semaine, selon le rapport gouvernemental du médiateur Jacques Rapoport. Sur le forum de VTC Uberzone, de premiers conducteurs réagissent amèrement à la campagne. « S’ils pensaient aux chauffeurs, ils n’auraient pas investi dans des publicités, ils auraient baissé leur commission et augmenté les tarifs », déplore l’un. « Ils n’arrivent pas à nous remplacer par des automates, en attendant, ils sont bien obligés de composer avec nous », alarme un autre.
Choc d'habitus
Si Uber ne va pas régler tous ses problèmes avec un clip de 60 secondes – d’autant que certains sont insolubles, comme le recours aux indépendants, intrinsèque à son modèle d’entreprise –, sa démarche traduirait une vraie volonté de changement. « La France est le premier pays à avoir mené une campagne totalement locale, alors que le siège voulait simplement transposer le message conçu pour le marché américain », éclaire un très bon connaisseur du dossier. « Dans ces entreprises, on ne sait pas ce qu’est la communication, souvent gérée par le marketing », déplore-t-il. En choisissant une agence de publicité pour se doter d’un film de marque, Uber France a montré qu’il pouvait se démarquer de ce cliché. Ce qui a rassuré l’Américain ? Le temps passé par DDB auprès de ses équipes. « Nous avons rencontré tous les services pour chercher à comprendre au mieux la société », souligne Paul Ducré, qui sait que « les Gafa n’ont pas l’habitude de travailler avec des agences de publicité ».
L’arrivée de Dara Khosrowshahi à la tête d’Uber Monde, en septembre, devrait aussi aider Uber à revenir dans le droit chemin, après dix ans d’embardées régulières du fondateur Travis Kalanick et son fameux « notre adversaire est un connard qui s’appelle Taxi ». Recruté pour son bon bilan à la tête du voyagiste Expedia, le nouveau PDG a pour priorité de redresser l’image, ce qui devrait limiter les bad buzz qui rejaillissaient, malgré elle, sur la filiale française. Si ces efforts portent leurs fruits, et que la campagne de DDB est un succès, Paul Ducré espère que son agence embrayera sur d’autres sujets, « davantage axés sur la mission d’Uber qui est de démocratiser la mobilité en France ».
Chiffres clés d'Uber France :
7,2 millions d'euros investis en 2016, soit +685% sur un an (Kantar Média)
2 millions d'utilisateurs
20 000 chauffeurs