Comment vous est venu l'idée du projet «Art Against Poverty» avec ce premier pochoir autour de la marque Vuitton?
EZK. En 2014, je suis tombé sur une émission de type «no comment»: une minute d'images sans commentaires où l'on voyait des gamins à quatre pattes dans le désert en train de chercher des insectes et des fourmis pour les bouffer. Quand l'image s'est arrêtée, était marqué sur l'écran «Ce programme vous a été présenté par Vuitton», avec derrière un type qui monte dans un jet privé avec de monstrueuses valises Vuitton. Il y avait là un tel décalage entre les deux images. La personne à côté de moi a dit «on vit vraiment dans un pays de merde» et le slogan m'est venu assez naturellement «Dans quel monde Vuitton?». La plupart du temps, je trouve d'abord la phrase choc en fonction de l'actualité. Ensuite, je vais sur internet chercher à base de mots clefs des photos qui vont m'attirer et m'inspirer. Pour Vuitton, j'ai fait le visuel super vite à partir d'une image qui revenait assez souvent sur le net: celle d'un petit gamin se lavant dans un seau. J'ai juste rajouté le monogramme sur le seau pour faire redondance entre la phrase et le dessin. Je pense qu'au fin fond du Bangladesh on connaît ce monogramme.
Dans la série détournement de marques, vous aviez précédemment imaginez le projet «Art Wars». Quelle était alors votre intention?
EZK. En 2013, j'ai cherché un visuel reconnaissable par tous et c'est en regardant une boîte de Lego que j'ai trouvé ce petit personnage blanc et noir de Star Wars, le «stormtrooper». C'était comme un logo à coller, comme un chien qui passe et qui pisse contre un arbre... J'en ai fait des petits et également un casque de 70-80 cm accompagné du slogan «Art Wars» pour signifier qu'il existe une compétition inavouée entre artistes de street art: c'est à qui tapera le plus fort, sans finalement vraiment se préoccuper du message. Personnellement, je trouve qu'il n'y a pas assez de sens dans les images affichées sur les murs. Je comprends que l'on puisse faire uniquement de l'image pour de l'image mais je trouve qu'il manque alors quelque chose. Quitte à être dans l'illégalité, autant donner son avis!
Le fait d'énoncer clairement la marque interpelle les gens et les fait réagir, à tel point qu'ils se demandent si c'est de la pub ou de l'anti-pub...
EZK. Ce n'est surtout pas de la pub mais ce n'est pas non plus de l'anti-pub. Je ne critique pas Vuitton, ils font de la com, c'est normal, ils veulent faire du chiffre d'affaires, c'est leur truc. Le but, si l'on veut faire passer un message, c'est qu'il soit relayé et vu. Peu importe que les gens y adhèrent ou pas, l'essentiel est sa visibilité. Et ce n'est pas juste une émotion, c'est un véritable questionnement. Une émotion peut être provoquée par une très belle toile qui n'a aucun sens tandis que le questionnement ne peut venir que du décalage entre une phrase choc et un visuel dérangeant. Quand je cite Vuitton, Dior ou Cartier, je ne critique pas ces marques, j'établis juste une échelle de valeurs à travers un questionnement qui va droit au but.
Dior, Cartier, Twitter, Nike, Areva, Vinci et Daesh, vos sources d'inspiration ne manquent pas. Là encore quelle était votre démarche?
EZK. Le deuxième visuel a été celui sur Dior («Dior et déjà condamné ») avec toujours le même gamin qui a l'air de se protéger d'une main. Puis toujours avec l'enfant, Twitter, «I'just want twitt» qui prend tout son sens quand on prononce effectivement la phrase «I just want to eat» et Cartier («Pas de Cartier») que j'ai mis sur les murs et également en petit sur des boîtes à lettres. Et pour finir «Kalache Nike» montrant un enfant avec une kalashnikov et des Nike aux pieds. Il y a juste un bouton poussoir «off» pour arrêter tout cela. Cela m'est venu en lisant un article sur les stratégies des groupes armés en Afrique qui, pour recruter des gamins soldats, leur achètent des Nike, des produits dont ils ont toujours rêvé. Ce visuel était sans doute plus dérangeant que les autres car il a été enlevé assez vite. Après j'ai fait un concours organisé par la Fondation EDF sur le thème «L'énergie dans la ville» en le traitant à ma manière avec la phrase «Ce qui devait arriver Areva» et un personnage en combinaison nucléaire de survie. Plus récemment, «Veni, Vidi, Vinci» montrait un bulldozer poussant les monuments de Paris. Enfin, j'ai fait sur une grande bâche un visuel «Daesh Ultra» avec le même logo que la lessive Dash avec à côté un cerveau tournant dans une machine à laver. Finalement ce n'est qu'avec la tragédie Charlie que je n'ai pas trouvé de visuel. J'ai juste apposé le slogan «17 morts, 65 000 000 blessés».
Vos prochaines cibles?
EZK. Apple, Jacadi, DSK, Mickey... on verra.
Vos projets pour la rentrée?
EZK. J'ai fait un «pèlerinage artistique» à New york en juin: du coup, j'ai des tonnes d'idées nouvelles. Depuis mon retour je ne cesse de produire de nouveaux pochoirs sans parvenir à réellement en terminer un. Mon objectif est de terminer tout cela et de présenter l'ensemble avant l'automne.
Depuis un an à Paris et dans de nombreuses villes de province, apparaît sur les murs un message ironique et énigmatique « Dans quel monde Vuitton ?» avec un petit Africain dans un seau estampillé du fameux monogramme. L'artiste derrière l'image s'appelle EZK. Entretien avec ce franc-tireur du street art.
Lire aussi :