Les résultats de l’expérience de la semaine de quatre jours de travail, conduite au Royaume-Uni par le Boston College et l’institut de recherche Autonomy, sont encourageants. Quid de son importation en France ?
Après une période d’essai de 6 mois, 92 % des 61 entreprises britanniques participant à l’étude menée par le Boston College et par l’institut de recherche Autonomy, ont choisi de maintenir la semaine de quatre jours, sans réduction de salaire. 71 % des 29 000 employés interrogés ont notamment signalé une diminution de l’épuisement professionnel. Des résultats positifs qui se font entendre et qui commencent à convaincre certaines entreprises voisines.
« Un pays aussi libéral que l’Angleterre qui se lance dans ce type d’initiative à grande échelle, ça veut dire beaucoup, déclare Mathieu Rostamkolaei, CEO de l’agence digitale créative Mozoo, qui a lancé l’expérimentation de la semaine de quatre jours à ses 45 employés, en 2020, pendant le confinement. Cela signifie que nous ne sommes pas juste de doux rêveurs. Il y a un intérêt derrière. Le fait de concentrer son énergie sur moins de jours, et d’avoir un jour de plus sans écran, sans clients, permet aux salariés de mieux travailler et d’être plus heureux. »
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Selon le député européen Pierre Larrouturou, qui s’est exprimé lors de l’émission télévisée Regards : « plus de 400 entreprises sont déjà passées à la semaine de 4 jours en France ». C’est le cas de l'expert autour du travail et de l’emploi, Welcome To The Jungle, qui a lancé une phase d’expérimentation, précurseur en France, en 2019, et qui a choisi de maintenir ce système, au vu des retombées bénéfiques. « À l’origine, on s’est penché sur une question : comment faire pour accompagner nos équipes et nos salariés à se projeter dans 10, 15 ans ? », raconte le CEO et co-fondateur, Jérémy Clédat. On se pose souvent la question de la relation au temps, du poids du temps de travail, etc. Comment faire pour que ça soit soutenable ? La semaine de quatre jours est donc apparue comme une évidence. »
Sur une période d’essai de six mois, un peu plus de 300 salariés sont passés à une semaine de quatre jours, sans impact salarial et avec le même nombre d’heures. Welcome To The Jungle a fait appel à un cabinet de conseils pour mesurer la performance de l’entreprise, ainsi qu’à une équipe de neuroscientifique pour mesurer l’impact sur le bien-être des employés. « Ce n’était pas scientifiquement prouvé, donc nous voulions montrer que ce n’était pas qu’une simple conviction personnelle. » Résultat ? « Aujourd’hui, 91 % des salariés estiment que la semaine de quatre jours à un impact très positif sur leur santé mentale, et presque les trois quarts déclarent que c’est un critère important s’ils devaient chercher un nouvel emploi », poursuit-il. Avec un même niveau de productivité qu’avant, plusieurs entreprises se sont rapprochées du groupe pour leur demander leurs retours d’expérience, et pour tester à leur tour la semaine de quatre jours.
En parallèle, l’agence Mozoo a elle aussi retravaillé son organisation pour parfaire au système. « Nous avons travaillé sur l’efficacité pour ne pas perdre en productivité, ni en rentabilité. Tout n’était pas parfait dès le départ, mais on a rajouté des outils, des méthodes de reporting, d’organisation pour les réunions, afin d’être plus productifs », déclare Mathieu Rostamkolaei. « L’entreprise est ouverte du lundi au vendredi, avec un suivi client tout au long de la semaine. Chacun de nous à un binôme, et on fait des roulements. Tout le monde doit venir au moins deux fois par semaine, plus un jour de télétravail. »
Le CEO de l’agence parisienne poursuit en insistant sur les avantages de la semaine de quatre jours. « Les salariés sont plus heureux, plus dynamiques. Ils sont moins malades, et il y a moins d’absentéisme. On a gagné quasiment 40 % d’efficacité par personne, par jour. » Il note également l’importance du facteur écologique : les collaborateurs se déplaçant moins, l’impact carbone se voit naturellement réduit, ainsi que les avantages sociétaux, notamment pour les parents qui ont des enfants. « Enfin, pour une agence comme Mozoo, une grosse partie des collaborateurs doivent être créatifs pour proposer la bonne solution au client. Et je me suis rendu compte qu’avec un jour de repos en plus, leur créativité s’exprime mieux. On gagne plus d’appels d’offres qu’avant », précise-t-il.
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Pour le Groupe LDLC, qui commercialise du matériel high-tech, le président fondateur Laurent de la Clergerie, a imposé la semaine de quatre jours, sans baisse salariale, à ses 1 100 salariés, en janvier 2021. Avec une baisse du temps de travail, le président a été agréablement surpris par l’efficacité de ses employés. « Vu que nous passions à 32 heures, j’ai décidé d’embaucher pour compenser les places manquantes. Je n’ai jamais dit aux équipes qu’ils devraient faire en quatre jours ce qu’ils font habituellement en cinq. Je me suis rendu compte, que non seulement ils étaient capables de le faire, mais qu’ils étaient en réalité plus productifs sans qu’on leur demande. »
Si la semaine de quatre jours semble en grande partie bénéfique, elle présente cependant quelques points négatifs. Après avoir fait de l’hypercroissance pendant la période Covid, en passant notamment de 500 millions de chiffres d’affaires à 700 millions aujourd’hui, sans recruter et en passant à 4 jours/32 heures, le président du groupe LDLC, en cible un : « Vu qu’il y a très peu d’entreprises qui proposent la semaine de quatre jours, les employés ne veulent plus partir. Dans l’étude menée au Royaume-Uni, il y a 30 % des gens qui disent : je ne bouge que si j’ai 50 % de salaire en plus ailleurs. Donc pour l’instant nous sommes limités ».
L’augmentation du stress ne doit pas non plus être négligée, d’après le co-fondateur de Welcome To The Jungle. « Le premier enjeu c’est l’impact sur votre obligation de productivité. Vous avez moins de temps pour atteindre vos objectifs. Le risque c’est donc qu’il y ait un excès de stress, parce qu’on ne se sent pas capable d’accomplir ce qu’on veut faire. Il faut être vigilant sur la charge de travail. Nous passons beaucoup de temps à bien définir les objectifs. »
De son côté, Mathieu Rostamkolaei a mis en place un baromètre trimestriel de 50 questions, avec une notation de 1 à 5. « Est-ce que j’ai le blues le dimanche soir ? Est-ce que j’ai l’impression de pouvoir terminer mon travail sans être trop stressé ? Il y a 7 ou 8 questions qui tournent autour du stress ou de l’impression de pas réussir à finir sa semaine. Mais on récupère rapidement du repos avec un jour en plus, précise-t-il. Si du lundi au jeudi, je suis plus stressé, mais que le vendredi je peux faire du sport, ou reprendre des cours de batterie, ou même aller au marché, c’est quand même des moments cool et qui nous font vite oublier le petit surplus de stress. »
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Pourtant, la semaine de quatre jours continue à être décriée en France. En Picardie, un test pour une durée d’un an, a été proposé à 200 salariés de l’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales). Seulement trois ont décidé de prendre part à l’expérience. Alors pourquoi ce système effraie-t-il autant ? « La France est traumatisée par les 35 heures, du coup elle ne veut plus rien entendre », révèle le fondateur du groupe LDLC. « Ce qui marche ce sont les quatre jours, parce que ça change le rythme et c’est ça qui fait gagner les salariés en efficacité. »
Jérémy Clédat se veut également confiant grâce à l’étude menée au Royaume-Uni : « Je pense que les entreprises vont être de plus en plus nombreuses à franchir le pas en France. » Il est même persuadé que la semaine de quatre jours « va devenir un principe de base dans le temps. »