Le cinéma n'en finit plus de mettre en scène ses propres making of, la publicité de se moquer de ses propres travers. Pourtant, dans le septième art comme dans la réclame, il semblerait que la mise en abyme permanente ne fasse plus vraiment recette. Contrairement aux documentaires sur la vie des stars.
Sur ce genre de films, on entend toujours glapir la même formule : «C’est une belle déclaration d’amour au cinéma.» Ça, c’est aussi un beau poncif éculé, lequel devrait condamner quiconque le profère au purgatoire de la critique ciné. Dans le même temps, on ne peut qu’en prendre acte : ces derniers mois, l’on a assisté à un jaillissement ininterrompu et quasi obscène de ces «déclarations d’amour au cinéma».
C’est bien connu : les mots doux sonnent toujours mieux en italien. Il sol dell’avvenire [Vers un avenir radieux], le dernier film de Nanni Moretti, se déroule en grande partie dans la ville éternelle du cinéma, Cinecittà, et raconte les atermoiements d’un réalisateur, Giovanni (Moretti), sur fond de tournage chaotique, d’acteurs à cran et de rendez-vous lunaires avec des pontes de Netflix. Babylon (Damien Chazelle), The Fabelmans (Steven Spielberg), Making of (Cédric Kahn)... Le cinéma n’en finit pas de s’ausculter sous toutes les coutures. En 2024, Quentin Dupieux réunira la nouvelle star Raphaël Quenard, Vincent Lindon, Louis Garrel et Léa Seydoux pour À notre beau métier, «une mise en abyme autour d’acteurs qui jouent dans un film nul», comme le résume son actrice principale.
Léa Seydoux, d’ailleurs, actrice née dans une famille à la tête d’un fleuron français du cinéma, le géant Pathé, ne constituerait-elle pas une mise en abyme à elle toute seule ? Avec Quentin Dupieux, elle va en tout cas s’inscrire dans ce que l’on appelle le cinéma «méta» : ces films qui ont conscience d’être des films, dévoilent les coulisses, brisent ce que l’on appelle le «quatrième mur» pour établir une complicité – souvent grinçante – avec le spectateur. Les amateurs de «belles déclarations d’amour au cinéma» auront évidemment en tête Sunset Boulevard (1950), Le Mépris (1963), La Nuit américaine (1973), The Player (1992)…
Pourtant, il semblerait que le genre ne fasse plus autant recette. C’est en tout cas l’avis de Jules De Gaulmyn, planneur stratégique senior chez BETC : «Babylon, hommage au Hollywood des années 20 [tout comme un autre grand film méta, Chantons sous la pluie] a flopé, le film de Spielberg n’a pas été son plus grand succès… On a le sentiment que le public n’est pas plus intéressé que cela par cette vision méta du cinéma, qui donne surtout à voir des milieux déconnectés de la réalité.»
Méta ou mytho?
Pour autant, le public s’est-il vraiment lassé du «méta» ? Son appétit pour les coulisses s’est simplement déplacé, indique Eliot Berger, planneur stratégique junior, lui aussi chez BETC : «Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, on peut suivre la vie des stars, Timothée Chalamet, Zendaya et consorts, sans que jamais ils ne parlent de leurs œuvres. C’est un poison, une vitrine de plus en plus perçue comme contrôlée et “fake”. Le méta permet de retrouver une forme d’authenticité.» Sauf qu’il s’agit là d’une nouvelle mise en abyme des coulisses, un genre «où les stars se réapproprient l’histoire de leur vie, relève Jules De Gaulmyn. Dans son documentaire pour Netflix, David Beckham se remet dans le réel, en montrant sa famille et en acceptant le fait que sa famille soit déconnectée de la réalité. Comme dans la fameuse séance avec sa femme Victoria prétendant venir d’un milieu modeste alors que son père roulait en Rolls-Royce, devenue virale».
Sous couvert de portes grandes ouvertes et de recul sur soi, les vedettes gardent en réalité un total contrôle de leur image. «Dans le genre, le récent documentaire sur Squeezie sur Amazon Prime reprend la même recette que celui sur Orelsan, poursuit Eliot Berger. On prétend que c’est un pote, un frère qui nous filme, pour au final récupérer la maîtrise de son storytelling. In fine, le documentaire, média du pauvre né dans les années 70 pour faire entendre la voix du peuple, se met au service des plus riches, avec des budgets comparables à ceux de films d’action, alloués par les plus grosses plateformes de streaming. Le docu, gage de vérité, est devenu un objet de pouvoir.»
Diable. Résumons : les stars, qui se mettent en scène jusqu’à l’écœurement sur les réseaux sociaux, décident de produire leurs contenus pour reprendre une maîtrise de leur récit personnel, tout en donnant à voir leur arrière-cuisine, mais sans en donner trop. Un dévoilement du dévoilement, subtilement flouté par un rideau de gaze… Ça commence à faire un peu mal à la tête, là.
Des histoires sans fin
Dans le genre danse des sept voiles, la publicité n’a jamais été avare de ses charmes. Le rayon «méta-pub» regorge de morceaux de bravoure, au premier rang desquels l’impérissable spot Ovomaltine, qui jouait, dès 1984, à la fois sur son format court et sur la pulvérisation du «quatrième mur» («J’ai huit secondes pour vous dire qu’Ovolmaltine, c’est de la dynamique !»). Beaucoup plus récemment, en août 2023, le toujours surprenant Michel Polnareff se faufilait dans la dimension méta, via un spot pour l'organisme de gestion en ligne Yomoni. « Y a pas un peu trop de logos là ? », y ronchonne l'artiste pendant qu'on lui colle des bandeaux de la marque dans le dos. « On va croire qu'on s'est payé le sosie », déplore, un peu plus loin, une assistante – référence au procès qui a opposé, dans le passé, la marque de crédit Cetelem au chanteur, ulcéré que la marque ait utilisé l’un de ses imitateurs. Une mise en abyme en forme de millefeuille infini, en somme.
La martingale a été mille fois éprouvée : en admettant qu’elle est manipulatrice, la méta-pub se rend d’emblée sympathique. Faute avouée à moitié pardonnée, en quelque sorte. Le procédé a fait le succès de campagne comme «It’s a Tide Ad !», série de spots métas jusqu’à l’absurde diffusée pendant le Super Bowl de 2018. Plus récemment, nouveau puits sans fond de références, un spot Uber Eats reprenait le documentaire de Netflix sur la famille Beckham : Victoria Beckham y arborait un t-shirt estampillé de sa réplique culte, «My dad had a Rolls-Royce».
Pour autant, tout comme le cinéma sur le cinéma, la pub sur la pub ne séduirait plus que de rares aficionados, selon les deux planneurs de BETC. «Les gens ne s’intéressent plus vraiment à la publicité, à cet entre-soi… Ce qu’ils recherchent avant tout, c’est du divertissement.» L’occasion de rappeler une vérité simple, unidimensionnelle. Dans la publicité comme ailleurs, une mise en abyme du vide, ça reste du vide.