C’est le fail estival de la tech. En plein mois de juillet, Instagram s’est retrouvé la cible d’une véritable fronde contre sa dernière mise à jour. Face au mécontentement massif des créateurs et des utilisateurs, l’application a choisi de rétropédaler… Jusqu’à quand ? Décryptage.
« Make Instagram Instagram again. (Stop trying to be TikTok, I just want to see cute photos of my friends.) Sincerely, everyone » [Rendez-nous Instagram… Arrêtez de vouloir être TikTok, je veux juste voir de jolies photos de mes amis…]. Cette publication, écrite noir sur blanc, publiée par l’influenceuse Kylie Jenner (368 millions d’abonnés) à la fin du mois de juillet 2022, a été partagée par des millions de personnes après elle. En cause : le déploiement depuis le mois de mai d’une nouvelle interface qui s’inspire grandement de celle du concurrent TikTok. À savoir, l’affichage en plein écran des photos et des vidéos, mais surtout, une plus grande place accordée à la découverte et à la recommandation de « Reels » (format de vidéos courtes et divertissantes s’affichant en plein écran). Concrètement ? L’algorithme d’Instagram adresse désormais les publications d’inconnus, en tout cas de personnes que l’utilisateur n’a pas expressément choisi de suivre. Fin juillet, la colère des créateurs et des utilisateurs n’est toujours pas redescendue. Meta décide de faire machine arrière. « Ce n’est qu’un test ! », martèle alors Adam Mosseri, dirigeant d’Instagram depuis 2018, sur ses réseaux sociaux. Cette mise à jour « immersive », qui n’est proposée qu’à « quelques » utilisateurs, n’aurait selon lui pas vocation à être définitive.
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« Personne ne s’attendait à ce qu’Instagram change d’avis et retire la nouvelle interface, s’étonne Marlène Cablé, conseillère en communication et e-réputation. D’ailleurs, je suis intimement convaincue que cette suspension n’est que temporaire. La mise à jour va se faire par petites touches, plus insidieusement. » C’est d’ailleurs ce que l’on peut entendre en filigrane derrière la justification d’un porte-parole de Meta : « Sur la base de nos conclusions et des commentaires de la communauté, nous suspendons le test en plein écran sur Instagram afin que nous puissions explorer d’autres options, et nous diminuons temporairement le nombre de recommandations que vous voyez dans votre feed afin d’améliorer la qualité de votre expérience. Nous reconnaissons que les changements apportés à l’application doivent encore être ajustés, et même si nous pensons qu’Instagram doit évoluer à mesure que le monde change, nous voulons prendre le temps de nous assurer que nous faisons bien les choses. »
« L’objectif d’Instagram est de faire évoluer la plateforme vers un produit davantage tourné vers le divertissement, confirme Vincent Reynaud-Lacroze, directeur général de l’agence We Are Social. L’idée sous-jacente c’est de passer du statut de réseau social, basé sur la conversation entre utilisateurs et les communautés, à un positionnement plus proche de celui de TikTok, fondé sur la découverte de contenus originaux. » Avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : qu’Instagram ne suive pas le chemin du grand frère Facebook, qui peine à recruter de nouveaux membres et à maintenir sa base. En regard, la croissance de TikTok, arrivé sur le marché quelque 10 ans après Facebook, a quelque chose d’insolent. Dans le monde, le nombre d’utilisateurs actifs mensuels de TikTok est maintenant de 1,2 milliard, contre 1,3 milliard pour Instagram… Le réseau social chinois a même été désigné comme la marque à la croissance la plus rapide au monde par le dernier rapport de Brand Finance, avec une hausse de 215 %.
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Dès lors, pourquoi ce qui marche chez TikTok ne prend pas sur Instagram ? « Est-ce que, de manière implicite, ce que les utilisateurs reprochent à Instagram c’est paradoxalement de ne pas assez cibler leurs goûts et leurs centres d’intérêt ? En comparaison à TikTok, de ne pas les divertir correctement », s’interroge Timothée Belanger, head of strategic channel planning chez BETC. Le soulèvement des utilisateurs d’Instagram contre cette mise à jour a quelque chose de paradoxal. D’un côté, on reproche depuis toujours aux réseaux sociaux d’enfermer l’utilisateur dans des bulles communautaires, de l’autre, on les attaque dès qu’ils tentent un renouvellement qui pourrait changer ce phénomène de vase clos. « Nous savons que les gens veulent partager et consommer des vidéos, et c’est ainsi que l’industrie évolue », nous dit-on chez Meta. Et pour le groupe, il est clair que les vidéos courtes, les « Reels », sont la tendance des prochaines années. Les utilisateurs passent 20 % de leur temps sur ce format, selon les chiffres d’Instagram de mai 2022. L’évolution d’Instagram est inexorable. Les réseaux sociaux à la Facebook ont fait leur temps. Et si Instagram a reculé sur la mise à jour de son interface, c’est pour mieux revenir avec un moteur de recommandation plus fin et plus puissant. À condition de respecter le RGPD pour le nourrir… Le réseau social vient de se faire condamner à payer une amende de 405 millions d’euros par la CNA anglaise, équivalent de la Cnil française qui agit au nom de l’Union européenne, pour des manquements au traitement des données des mineurs.
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Un autre grief adressé à Instagram est celui de la suppression de compte sans autre forme de procès. « Du jour au lendemain, j’ai tout perdu : mes 6 000 abonnés, ma base client, ma production de plus de 3 ans de contenus, mes fiches produit, etc. », témoigne une créatrice de bijoux dont le compte Instagram a disparu en mars dernier. « Sans prévenir, mon compte est devenu inaccessible, comme s’il n’avait jamais existé. Seulement moi, j’avais basé l’intégralité de mon business sur ce réseau social. » Le cas de cette jeune marque est loin d’être isolé. Régulièrement, des créateurs de contenus, à la tête de leur petite entreprise, font état de la suppression de leur compte Instagram, et surtout de l’incapacité de joindre le service client et de l’impossibilité d’émettre le moindre recours. « Si votre compte Instagram a été désactivé, un message vous en informera lorsque vous essaierez de vous connecter. Les comptes qui ne respectent pas nos Règles de la communauté ou nos Conditions d’utilisation peuvent être désactivés sans avertissement », peut-on lire dans les conditions d’utilisation d’Instagram. « J’ai eu beau chercher et poser le problème dans tous les sens, je ne vois pas en quoi j’ai enfreint les règles de la plateforme », réagi de son côté une rédactrice web indépendante, qui elle aussi misait sur Instagram pour trouver ses clients… Avant que son compte ne saute il y a 6 mois. Pourtant, Instagram encourage les créateurs à devenir « instapreneurs » et à baser leur activité commerciale sur sa plateforme, avec de multiples fonctionnalités pour faciliter la relation client et les ventes. Alors un conseil : ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier. Un page Instagram peut servir de vitrine, mais n’hésitez pas à vous constituer d’autres canaux pour communiquer avec les consommateurs, à commencer par un site internet.