Dopés par les progrès de l’intelligence artificielle, les sites Made for Advertising, qui consistent à créer du contenu de piètre qualité pour diffuser de la publicité, se multiplient. Stratégies fait le point avec Clément Bascoulergue, directeur général France d’Integral Ad Science.

Beaucoup de plateformes viennent de signer des accords pour permettre de mieux contrôler l’environnement de diffusion des publicités. Pourquoi ce mouvement particulier ?

Clément Bascoulergue. On voit apparaître, dans le monde de la publicité en ligne, de nouvelles menaces, avec de nouvelles formes de déperditions publicitaires pour les annonceurs. Sur ce sujet, nous essayons de hiérarchiser les problèmes pour les clients. Ceux qui nous animent le plus à l’heure actuelle, ce sont les sites Made for Advertising [MFA], c’est-à-dire des environnements qui ne sont là que pour diffuser de la publicité de manière très peu qualitative.

Est-ce lié à la recrudescence de fake news ?

Non, les MFA constituent un problème distinct. Dans le cadre des sites de fake news, on a affaire à des sites qui diffusent de fausses informations. Le problème est plus large, et mérite un autre débat. Ici, la situation est plus complexe. Les sites MFA sont bardés de publicités, qui ne sont en réalité que des coquilles vides en matière de contenu. Ils reprennent des articles sur quelques lignes sans beaucoup d’intérêt, avec un vrai sapin de noël publicitaire autour, des pop-up… Il faut les différencier des sites de médias qui seraient un peu encombrés en matière de publicité. C’est toute la difficulté dans la classification. Il faut dissocier un site pas très qualitatif d’un site clairement construit que pour la publicité. Ces MFA réalisent beaucoup d’acquisitions de trafic, via des liens sponsorisés en bas de page, ou via les plateformes. Et c’est tout l’ennui : personne n’y arrive de manière naturelle. Si vous tapez l’adresse dans votre navigateur, le site est tout autre, sans quasi aucune publicité. Celle-ci ne s’affiche que si vous venez via un autre lien, sponsorisé. Mais aujourd’hui, ces sites sont tout de même connectés aux plateformes d’achats, et avalent du trafic et donc des impressions publicitaires.

Doit-on considérer cela comme de la fraude ?

Non, les sites MFA ne sont pas considérés comme de la fraude. Pour qu’il y ait fraude, il faut qu’il y ait un robot qui va artificialiser l’efficacité. On parle ici de sites qui sont des coquilles vides, très très « cheap », mais juridiquement, il n’y a rien de répréhensible. Ils jouent sur des mécanismes de clickbait, et vont tout faire pour faire cliquer le public, avec des titres extrêmement incitatifs. Mais le papier n’a parfois rien à voir avec le titre, voire d'autres fois, il ne dit quasi rien.

Quels problèmes cela pose pour les annonceurs ?

L’impression est très peu qualitative, et le budget est dépensé dans le vide. Selon notre dernière étude, 47 % des consommateurs auront une moins bonne image de la marque si elle est exposée près d’un contenu qui n’est pas aligné avec l’image de marque. Nous avons mesuré que les MFA représentaient 5 % des impressions dans le monde. Cela commence à atteindre un niveau alarmant. Cette année, l’Ana (l’association des annonceurs américains) a estimé que 15 % des dépenses publicitaires finissaient sur un site MFA.

L’IA générative joue-t-elle un rôle dans cette explosion ?

Oui. L’IA permet de faire exploser la quantité et la consommation de contenus. Elle permet de créer ces sites, et surtout d’y attirer les internautes. Le User Generated Content (UGC) permet aussi de rediriger le public sur ces sites, via les réseaux sociaux, en insérant les liens. Alors le consommateur scrolle, voit quelque chose et clique. On est sur un phénomène de masse : dès qu’on en attrape un, dix se créent ensuite. Et c’est l’éternel sujet sur la chasse aux voleurs… Les clients où les agences pensent qu’en faisant une liste à la main des mauvais sites, ils arriveront à contrôler les choses, mais clairement non.

Nous, nous avons développé des outils automatiques. Nous avons noué un partenariat avec Sincera sur ce sujet précis. La société est spécialisée dans l’analyse de l’audience des sites web, et c’est clairement la pierre angulaire pour distinguer les MFA. On peut aussi identifier tous les formats publicitaires au niveau des sous-domaines des sites web. Les technos sont de plus en plus sophistiquées. Alors nous, nous devons aussi avancer avec des technos de plus en plus sophistiquées. Nous mesurons le phénomène depuis le début de l’année 2024 et nous n’avons pas encore beaucoup de recul précis sur les tendances. Mais ce qu’on voit, c’est que c’est clairement en accélération.

Y a-t-il des domaines plus représentés que d’autres ?

On en trouve beaucoup sur le sport, le people, la tech, les jobs… Ce sont des sujets plutôt légers.

Les plateformes se sont ouvertes ces derniers mois aux sujets de la brand safety et de la brand suitability, en s’étendant aux plateformes de curation. Arrivez-vous à détecter l’origine du clic qui amène sur un site MFA ?

Non, nous n’en sommes pas encore là, mais nous n’avons jamais autant avancé avec les plateformes. Sur la brand safety, les annonceurs peuvent désormais prendre nos critères en compte pour classer les contenus et accepter ou non d’annoncer. Ils ont une visibilité sur le contenu qui précède et suit la publicité, s’il est haineux, violent… Et pour la désinformation également. Meta est la pierre angulaire de l’écosystème. Une fois que les plateformes s’ouvrent, elles deviennent référentes pour les autres. Désormais, nous sommes intégrés à Snap, Pinterest, Reddit… La désinformation était clairement le sujet le plus important ces derniers mois. Car désormais, un annonceur ne peut plus être associé à un contenu de désinformation. La société a changé, et dorénavant les internautes jugent les marques responsables de leur communication. Pour eux, dans le pire des cas, elles financent la désinformation. Ils vont d’ailleurs parfois moins condamner la plateforme que la marque !

Encadrer seulement le post précédent et suivant, est-ce suffisant ?

Ce n’est pas si négligeable ! Pour les marques déjà, c’est assez efficace. Et si tous les cinq ou six posts, deux sont encadrés, cela vient en complément d’un travail déjà effectué. Car les plateformes vérifient aussi de leurs côtés. Elles sont confrontées à un vrai problème : trouver l’équilibre entre des contenus qui soient acceptables et en même temps, les mécanismes de viralisation. C’est une équation compliquée dans un réseau… On ne pourra jamais fact-checker tous les narratifs.

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