Alors qu’il a lancé le 1er octobre une nouvelle offre à bas prix, mêlant Freebox et forfaits mobiles, Thomas Reynaud, directeur général d’Iliad, s’explique sur sa politique marketing et technologique comme sur les investissements de son groupe dans l’IA.
Vous lancez une nouvelle offre « Free Family », incluant des forfaits mobiles 5G, qui se targue d’être « la moins chère et la plus généreuse du marché » (1). Est-ce que cette promesse marketing en forme d’arme anti-inflation est la principale raison du succès de vos offres mobiles ?
Thomas Reynaud. Le succès de Free repose sur deux promesses. D’abord, une promesse d’innovation. Nous sommes ainsi le premier opérateur au monde à avoir lancé le wifi 7 en début d’année avec notre Freebox « Ultra » ou encore le premier opérateur en France à mettre à disposition la 5G SA (standalone). Free est aussi une promesse de pouvoir d’achat. Depuis 2012, date du lancement de Free Mobile, nos forfaits à 2 euros et 19,99 euros n’ont pas augmenté d’un centime. Entretemps, ils se sont enrichis, sont devenus plus généreux en termes de destinations gratuites à l’étranger ou de mises à disposition de données. Nous avons pris l’engagement fort de ne pas toucher à notre forfait à 19,99 euros jusqu’en 2027, soit l’équivalent de trois quinquennats sans changement de tarif ! Et Xavier Niel a annoncé à l’Olympia, le 18 septembre, que le tarif iconique de l’abonnement à 2 euros, ne changera jamais. Nous avons 23 millions d’abonnés, ce qui veut dire qu’un Français sur trois fait confiance à Free pour sa connectivité. Notre philosophie commerciale est d’apporter la meilleure offre au meilleur prix. C’est un choix exigeant car nous subissons nous aussi l’inflation sur nos coûts d’énergie, de réseaux… Cela nous conduit à une excellence opérationnelle.
Innovation et stabilité des prix… Y a-t-il d’autres ingrédients dans la recette ?
Oui, la simplicité de nos offres et la générosité. Je pense, sur la Freebox Ultra, non seulement aux innovations technologiques mais aussi aux contenus : plus de 300 chaînes linéaires, la chaîne Canal+ et toutes les plateformes de streaming : Netflix, Prime Video, Disney+, Max. Il y a donc une promesse de générosité et de stabilité des prix qui fait qu’il n’y a pas d’inconnu sur la facture à la fin du mois. L’économie est même de 50 % par rapport à la prise individuelle de tous ces abonnements.
Vous avez aussi une appli, Free foot, avec les extraits des matchs. Qu’est-ce qui a changé du fait de votre partenariat conclu en août avec DAZN ?
En 2020-2024, nous étions diffuseur officiel de la Ligue 1 avec les droits sur le quasi-direct. DAZN s’est s’associé à Free qui est devenu le premier vecteur d’audience en France sur le foot au travers de Free Foot. Nous éditons aussi des contenus exclusifs et venons d’annoncer en ce sens un partenariat avec l’OL, l’OM et le PSG. Nous avons en moyenne 400 000 utilisateurs uniques sur chaque journée de championnat. DAZN s’adresse à cette base de fans de football estimée à plus de 2 millions de Français. Nous avons poussé encore plus loin le curseur de la générosité puisque cette offre auparavant réservée aux abonnés de Free est désormais disponible aussi pour les abonnés Bouygues, Orange et SFR. L’appli a vocation à vivre de façon autonome et c’est une façon de faire rayonner la marque Free.
La croissance de Free ne se fait-elle pas désormais forcément au détriment de ses concurrents ?
Nous sommes numéro un des recrutements en France depuis plus de deux ans et c’est le fruit de notre politique d’innovation et d’investissement. Nous occupons le premier rang en termes de taux d’adoption de la fibre optique - plus de 80 % de nos abonnés ont basculé - grâce à un très gros effort qui nous a fait investir plus de 10 milliards d’euros ces dernières années. Neuf Français sur dix peuvent désormais accéder à la fibre de Free.
La box « Ultra » donne-t-elle les résultats escomptés ?
Le succès va au-delà de nos attentes en nombre d’abonnements.
Vous avez créé un concurrent fictif dans vos campagnes signées Buzzman avec Reef. Ce sera demain une sous-marque de Free ?
Reef, dont nous venons de lancer la troisième campagne, est parfaitement dans l’ADN de Free. Nous avons toujours le souci de prendre le contrepied de nos concurrents. Cette campagne impertinente, qui me fait beaucoup rire personnellement, rencontre un succès incroyable. On le voit dans les post-tests en termes de notoriété spontanée.
Vous voulez continuer sur la saga ?
Reef est en train de devenir un sérieux concurrent pour Free. Nous devons rester vigilants (sourire) !
Free a eu pour point faible la relation clients. Est-ce un sujet que vous suivez avec attention ?
Tous les matins, mon premier sujet de préoccupation est la satisfaction de nos abonnés. Rien n’est plus important et toutes nos décisions sont prises à hauteur d’abonné. C’est une obsession permanente. Depuis dix ans, nous investissons massivement dans la relation abonnés et sommes ainsi devenus le deuxième employeur du secteur devant Bouygues Telecom et SFR. Nous avons fait évoluer cette relation, qui était très centralisée, avec de grands centres d’appels, pour en faire une relation de proximité avec notre concept Free Proxi, soit 150 équipes de dix personnes, présentes au cœur des villes et des territoires. Nous sommes déjà présents dans toutes les régions. Cette proximité crée au sein de nos équipes à la fois une plus grande responsabilisation et un esprit entrepreneurial fort. Et cela participe aussi à un bouche-à-oreille très positif chez nos abonnés. La proximité se retrouve aussi dans nos 250 boutiques.
Est-il important que la marque reste intimement liée à son fondateur Xavier Niel ou est-ce qu’à un moment elle doit trouver sa propre existence sans lui ?
Free a sa propre existence mais c’est aussi le symbole d’une aventure entrepreneuriale exceptionnelle depuis 25 ans. Xavier Niel incarne les valeurs d’innovation, de disruption et d’entrepreneuriat comme en témoigne son livre publié le 18 septembre Une Sacrée Envie de foutre le bordel (Flammarion).
Est-ce que c’est aussi votre cas ?
Le job de Xavier Niel est de créer le « chaos », le mien et celui des équipes d’iliad de l’organiser ! Du « chaos » naissent des innovations, des paris fous comme les lancements de Free Mobile en 2012 et d’Iliad Italia en 2018, alors que tous les experts misaient sur l’échec de ces projets. Du « chaos » ont été créés 12 000 emplois en France et une mobilisation forte sur les questions d’intelligence artificielle. Il s’agit de bousculer l’ordre établi et l’oligopole des opérateurs historiques.
Pourriez-vous participer à la consolidation du marché français si SFR venait à être mis en vente ?
À moyen terme, je n’y crois pas. Il y a eu de multiples tentatives par le passé. Ma conviction est qu'Iliad continuera de grandir en Europe et que Free restera indépendant. Si SFR est à vendre, évidemment on regardera cette opportunité. Mais ce n’est pas du tout le scénario sur lequel on travaille.
Vous avez 50 millions d’abonnés sur la France, la Pologne et l’Italie. Si on ajoute votre participation dans l’opérateur suédois Télé 2, on arrive à 59 millions, ce qui fait d’Iliad le cinquième opérateur européen. Est-ce que cela va continuer ?
À notre manière, nous construisons l’Europe des télécoms. Nous sommes présents dans huit pays du Nord de la Suède au Sud de l’Italie, avec un Européen sur huit utilisant chaque jour nos réseaux. L’Europe a besoin d’opérateurs télécoms innovants, alternatifs et non d’une certaine forme de protectionnisme en faveur des opérateurs historiques. L’équation télécom européenne est excellente pour nos citoyens en termes d’innovation, d’investissements, d’adoption de la fibre optique et de la 5G ou encore de prix.
Mais on dit aussi qu’il faut beaucoup investir dans les infrastructures et qu’il ne semble pas évident d’obtenir le retour sur investissement, qu’il faut prendre exemple sur les États-Unis…
Je ne partage pas ce constat. Le déploiement de la fibre optique est beaucoup plus important en Europe qu’aux États-Unis, où vous avez par ailleurs des phénomènes d’exclusion par les prix de l’internet à domicile (150 euros pour un abonnement !). Un raccourci faux laisse à penser que le succès de la tech américaine provient des opérateurs télécoms américains. Ce n’est pas le cas. Le succès de Google ou d’Amazon est lié à l’initiative privée, à l’innovation et à la taille du marché américain et en rien à ATT ou Verizon. Et nos infrastructures télécoms sont de bien meilleure qualité en Europe… Iliad va continuer d’investir dans de nouvelles initiatives : le cloud dans sa dimension logicielle, une plateforme européenne de data centers avec un investissement de 2,5 milliards d’euros sur les dix prochaines années, ou encore un laboratoire indépendant d’IA en open source et open science. Des opérateurs innovants font bouger les lignes en Europe.
À quoi va servir ce labo Kyutai, avec CMA CGM et Eric Schmidt, l’ancien patron de Google ?
Le laboratoire Kyutai bénéficie d’un fonds de dotation de 300 millions d’euros dont 100 millions d’euros apportés par Iliad. Nous entrons dans l’IA avec un esprit pionnier, de la même façon que nous sommes entrés dans les télécoms. Nous avons la conviction forte que l’Europe a besoin d’acteurs indépendants de la Chine et des États-Unis sur l’IA générative qui va bousculer nos économies, nos sociétés, notre culture, et même notre inconscient collectif. L’IA va créer des ruptures en termes de compétitivité qui peuvent rebattre les cartes dans un certain nombre d’industries. La transition vers l’IA est donc impérative, encore plus que la transition numérique de ces 15 dernières années. C’est la raison pour laquelle nous travaillons aussi sur l’attraction des talents. Kyutai a permis à certains chercheurs européens précédemment embauchés dans la Silicon Valley de revenir en Europe. Moshi [modèle d’IA de voix] a mis à disposition son code source et ses travaux.
Quelles conséquences de l’IA sur votre métier d’opérateur ?
L’IA va nous permettre de mieux faire notre métier d’opérateur, avec des cas d’usage concret sur la prévention des pannes, sur l’optimisation de la consommation d’énergie de nos réseaux ou encore dans la relation avec nos abonnés, avec diagnostics plus rapides et encore plus personnalisées. Cela ne se fera pas en substitution de l’humain mais cela va venir améliorer cette relation.
Orange semble considérer que le marché n’est pas encore prêt pour l’IA embarqué sur les smartphones…
Quand le marché est prêt, c’est déjà trop tard. Il faut s’y préparer. Les fabricants de terminaux, Apple ou Samsung, ont déjà sorti des terminaux qui embarquent des logiciels d’IA.
Pensez-vous pouvoir créer de la disruption sur l’IA ?
Notre objectif est de participer à la création d’un écosystème européen : notre filiale Scaleway dispose ainsi de la première puissance de calcul dédiée à l’IA en Europe. Cet outil précieux est ainsi mis à disposition des start-up de notre continent qui développent et entraînent des modèles de langage d’IA. Nous investissons aussi massivement dans notre plateforme de data centers. Nous avons à date 15 centres de données en Europe et nous souhaitons tripler notre présence sur ce marché dans cinq ou six ans. Pour résumer, l’IA européenne a besoin de puissance de calcul, d’infrastructures digitales de talents, et d’initiatives privées. Les cas d’usage seront concrets dans notre quotidien : amélioration des diagnostics médicaux, optimisation des ressources collectives sur l’utilisation de l’eau ou de l’électricité…
Vous avec signé des partenariats pour Oqee avec LG ou Philips dans la télévision connectée. Vous visez l’ultra-distribution ?
Depuis 2002 et la mise en place du premier forfait triple play, nous avons développé un savoir-faire dans la distribution audiovisuelle. Nous proposons à nos abonnés de retrouver toutes leurs émissions et séries préférées sur tous les supports : smartphone, TV connectée et évidemment Freebox avec notre application Oqee.
À travers le consortium Utiq, les opérateurs réfléchissent à la façon d’utiliser leurs données pour faire de la publicité. Y a-t-il une réflexion là-dessus de votre côté ?
Nous sommes extrêmement respectueux des données de nos abonnés et la publicité n’est pas au cœur de notre modèle économique.
Sur le plan RSE, vous voulez démontrer que vous êtes soucieux de l’environnement. Mais le développement de la puissance de calcul, très gourmande en énergie, est-il compatible avec une approche durable ?
La mère de toutes les batailles est l’énergie, mais - je précise - l’accès à une énergie décarbonée. En France, nous disposons d’une des énergies les moins carbonées au monde grâce au nucléaire, un choix politique qui date de plus cinquante ans. La France a donc une carte à jouer pour l’implantation de centres de données en raison de cette électricité décarbonée. C’est un facteur de souveraineté et de renforcement de notre compétitivité. À titre de comparaison, un abonné italien a une empreinte écologique en consommation de données huit fois plus importante. Et un abonné polonais, seize fois plus importante. C’est pourquoi nous investissons dans des capacités nouvelles d’énergie renouvelable en Pologne et en Italie afin de ne pas s’appuyer sur un mix énergétique très intense en carbone.
Est-ce un avantage déterminant en termes de marque employeur pour recruter ?
Pour le recrutement, pas encore. Pour l’engagement du collaborateur dans la durée, oui. Nos visioconférences internes sur l’environnement sont celles qui obtiennent la plus forte audience auprès de nos salariés.
(1) Avec quatre forfaits mobiles 5G à moins de 10 euros pendant un an pour les abonnés Freebox (puis 15,99 euros par mois)