Chroniqueur dans Stratégies depuis dix ans, Stéphane Distinguin, président-fondateur de EY Fabernovel, revient sur 10 ans d'évolution dans la tech et le marketing.

Vous venez de signer votre 100e chronique pour Stratégies en 10 ans . Que retenez-vous de ce voyage à travers la tech et le marketing ?

Un long voyage, 100 chroniques et déjà plus de 10 ans. Tout s’est passé à peu près comme prévu : plus de numérique partout, tout le temps, plus de GAFA, au point d’en faire les MAGMA aujourd’hui, plus de tech en amont (Nvidia en tête), plus de tech en aval et ailleurs, la voiture avec Tesla, l’espace avec SpaceX... Mais aussi des aspects bien moins réjouissants : la désinformation, l’addiction, le défaut de compétitivité et de souveraineté des Européens, les modèles «open source» ou décentralisé de la blockchain aussi, sont encore loin d’avoir livré leurs promesses originelles, autres que celles d’avoir nourri le modèle capitaliste de la tech, celui des fameux «Magnificent Seven», qui font Wall Street depuis 10 ans.

Mais, prévisible ou pas, je trouve tout à fait enthousiasmant de constater que les GAFA sont désormais sous pression eux-mêmes. Le slogan ironique de Peter Thiel - «Nous voulions des voitures volantes ; à la place, nous avons eu 140 caractères» - semble déjà bien loin : qui se souvient des 140 caractères alors que le projet de vols habités jusqu’à Mars progresse et que les biotechnologies nourries aux technologies numériques soigneront bientôt des maladies incurables aujourd’hui ?

Sur ce bout de chemin fait ensemble, le sujet de la tech était «chaud» mais périphérique. C’était un sujet d’experts quand vous m’aviez invité il y a 10 ans. Désormais, il se retrouve au cœur de toutes vos rubriques. D’expert, je suis bien devenu «chroniqueur», je mets en perspective là où je devais décrypter au début. Merci pour l’invitation et le chemin fait ensemble.

La vague IA semble aujourd’hui tout emporter sur son passage. Peut-on parler de réelle révolution à vos yeux ?

Oh que oui ! Ma meilleure façon de la décrire est justement une des dichotomies de la première vague digitale, celle où l’on faisait la distinction entre «digital native» et «digital migrant», ceux qui étaient nés avec internet et ceux qui avaient dû le rencontrer pour l’apprendre comme une seconde langue ou une rééducation. L’IA, c’est la première révolution industrielle digital native, sa magnitude est à la mesure de sa soudaineté, insoupçonnée.

Dans quels domaines l’IA est-elle en train de tout changer ?

Le marketing et la relation client sont les domaines les plus visibles parce qu’ils sont riches en données et déjà engagés dans des démarches «ROIstes», à tort et à raison, et les experts qui nous lisent y sont nombreux. Mais de fait, l’IA change tout, partout, et ce n’est que le début.

Quelle place pour la créativité dans ce nouveau contexte ?

L’IA est un formidable outil pour défier et muscler notre créativité. Je ne crois pas un instant qu’elle la remplace. Une analogie qui m’inspire beaucoup est la voiture autonome : son avènement s’éloigne - demandez à Apple, Tesla ou General Motors - alors que nous avons peur d’être remplacés par des intelligences artificielles pour des sujets encore plus importants et «humains»... C’est bien que la responsabilité, in fine, ne se confie pas aussi facilement. Je suis convaincu qu’il n’existe pas de réelle créativité sans responsabilité.

Alors, on en reparle dans 100 chroniques mais je prends le pari volontiers.