La fin des cookies tiers sur Chrome, le navigateur de Google, sans cesse repoussée depuis 2022, va être amorcée début 2024. Les acteurs de la publicité en ligne sont sur le pied de guerre. Tous préparent les annonceurs à ce bouleversement. Un article également disponible en version audio.
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Cette fois, la fin est inéluctable. La disparition des cookies tiers aura bien lieu : le navigateur Chrome de Google, le plus utilisé dans le monde avec 60 % de part de marché, va désactiver progressivement ces petits fichiers qui pistent les internautes, de site en site, au gré de leur sérendipité numérique, si utilisés dans le ciblage publicitaire. « Cette disparition est la conséquence de notre industrie publicitaire qui n’a pas su maintenir la confiance des utilisateurs », juge un expert qui ne souhaite pas être cité. Selon le calendrier de « dépréciation des cookies tiers », comme le formule Google, un test sera effectué sur 1 % des utilisateurs de Chrome au premier trimestre 2024, puis la mesure sera étendue à l’ensemble des utilisateurs. Entre ces deux phases, la Competition and Markets Authority (CMA), l’autorité de la concurrence britannique, se réserve un délai de 60 à 120 jours pour vérifier la conformité du projet.
La fin des cookies tiers devrait donc arriver à la fin de l’année 2024. En parallèle, Google va poursuivre le déploiement de sa Privacy Sandbox, ses solutions alternatives aux cookies tiers, élaborée avec des entreprises partenaires et mise à disposition du marché depuis juillet 2023. « La fin des cookies, il faut s’y préparer dès maintenant car il n’y aura pas le remplacement d’un cookie par quelque chose d’équivalent mais plutôt un catalogue de solutions techniques adaptées à certains cas et pas à d’autres », ajoute l’expert, qui fait remarquer que certains acteurs s’estiment prêts parce qu’ils font du « fingerprinting ». Cette méthode probabiliste, qui consiste à reconnaître l’appareil de l’utilisateur avec un faisceau d’indices, serait un moyen de contourner la disparition des cookies tiers. Sur son site, la Cnil note que cette méthode est utilisée de « manière résiduelle ».
Doit-on s’attendre à une catastrophe industrielle ? Chez Google, on se montre confiant, sûr des alternatives proposées avec la Privacy Sandbox. « 100 % des entreprises ont accès à nos API [interface de programmation d'application], pour pouvoir tester et développer de nouveaux outils afin de s’adapter à un monde sans cookie », a rappelé Anthony Chavez, vice-président de la Privacy Sandbox de Google, lors d’une conférence de presse organisée à Paris en novembre. Et pour faire le travail d’évangélisation, Google est rejoint par deux géants du secteur, Criteo et WPP, qui préemptent le sujet. Les annonceurs sont-ils seulement prêts à embrasser le changement ? « Cela dépend desquels, en fonction de leurs besoins », informe Aurélie Chaux, directrice générale de GroupM Nexus France, le nouveau département de GroupM (la branche média du groupe WPP), lancé en octobre et dédié aux expertises digitales. D’autant que la fin des cookies tiers, annoncée en 2022 et repoussée à deux reprises, est un sujet qui aurait fini par lasser plus d’un professionnel.
Néanmoins, ceux dont le business dépend de la performance des publicités sur internet se font déjà accompagner sur l’aspect technologique, « avec la mise en place de Capi côté Facebook où Consent Mode côté Google », cite, en guise d’exemple, Aurélie Chaux. D’ailleurs, la spécialiste ne se montre pas inquiète. Sur un marché qu’elle estime résilient, le contextuel, qui se fonde sur les centres d’intérêt plutôt que sur l’utilisateur, pourrait être une alternative efficace aux cookies tiers sur le ciblage, selon elle. Aurélie Chaux note également des initiatives comme celle, paneuropéenne, des opérateurs télécoms Orange, Vodafone, Deutsche Telekom et Telefonica. Baptisée Utiq, la structure propose une solution de ciblage par l’ID, un identifiant anonymisé rattaché à l’opérateur mobile par le biais de la carte SIM.
Mutualisation des données
On peut également rappeler la création de l’Alliance Gravity en 2018, dont l’objectif est la mutualisation des données et des inventaires de plus de 20 groupes français issus des médias, des télécoms et de l’e-commerce. Gravity mise aussi sur l’ID - comme d'autres, tels First ID, ID5, The Trade Desk... - pour suivre la navigation « cross site » des internautes. L’ensemble des acteurs de la publicité digitale se mettent donc en ordre de bataille. Pour Vincent Druguet, CEO de Wunderman Thompson France, et Clémence Ballu, partner des activités data-driven de l’agence, la fin des cookies tiers est même une aubaine. « Il y a un vrai enjeu pour les marques d’aller chercher de la data first party [donnée propriétaire] », s’enthousiasment-ils.
Wunderman Thompson (groupe WPP) met en avant une solution data first party intitulée Resolve, en test depuis huit mois. La solution permet de reconnaître un internaute qui s’est déjà connecté à son compte une première fois mais retourne sur le site sans se loguer. Avec la fin des cookies tiers, c’est aussi la course à l’innovation et les communiqués de presse commencent à affluer. En novembre, le spécialiste de la publicité sémantique Weborama annonçait avoir rendu sa plateforme Weborama Campaign Manager (WCM) totalement cookieless (avec Privacy Sandbox), tandis que Publicis Media communiquait sur son offre de mesure sans cookie « Digital Touch Attribution Modeling ». Les annonces devraient se multiplier en 2024 et toutes ces nouvelles solutions pourraient bien engranger des coûts supplémentaires pour les annonceurs.
Employés à différents usages, les cookies servent, par exemple, à mémoriser le contenu d’un panier ou la langue d’affichage d’un site internet. Ils sont dits « tiers » quand ils ne sont pas déposés sur le domaine du site consulté par l’internaute (contrairement aux cookies first party), d’après la Cnil, l’Autorité en la matière, mais sur des domaines de tierces parties. Les cookies tiers peuvent servir à des fins publicitaires. C’est le cas des stratégies de « retargeting », qui ciblent un internaute qui, lors de ses précédentes navigations sur internet, a exprimé un intérêt pour un produit ou un service. Les cookies tiers peuvent renseigner sur le profil de l’internaute et sont problématiques au regard de la protection de la vie privée. Entré en application en 2018, le Règlement général européen sur la protection des données (RGPD) a mis en lumière cette pratique aux yeux du grand public qui a vu apparaître des pop-ups pour le recueil préalable du consentement aux cookies.