Pendant plus d’une heure trente, le rapporteur et les sénateurs ont fait la liste des griefs reprochés à TikTok et de ses non-réponses lors des auditions. Ils demandent à l’application de Bytedance de faire davantage preuve de bonne volonté au risque d’être suspendue.

La commission d’enquête du Sénat chargée d’étudier le fonctionnement et la « stratégie d’influence » de l’application d’origine chinoise plébiscitée par les jeunes, a préconisé de mieux la contrôler et de la forcer à prendre un certain nombre de mesures sous peine de suspension. Les sénateurs ont ainsi appelé jeudi le gouvernement à « suspendre TikTok en France et (à) demander sa suspension au sein de l’Union européenne », si ce réseau social ne clarifie pas avant le 1er janvier 2024 la nature de ses liens avec les autorités chinoises et ne met pas en place une modération « efficace » et un « contrôle effectif de l’âge ». À ce jour, 45 % des 11-12 ans sont sur TikTok, a affirmé lors d’un point presse Claude Malhuret, le sénateur et rapporteur de la commission d’enquête. Les parlementaires ont étrillé l’application, soulevant tout le flou qu’elle entretenait sur son modèle économique, sur ses dirigeants, ses actionnaires et la gestion de ses données.

Ils ont également remis en cause l’algorithme de la plateforme de vidéo, pointant son caractère « addictif », voire « abrutissant », selon les termes employés par les psychologues et spécialistes interrogés. « Mais au-delà des discussions scientifiques, les psychologues estiment que le danger d’une telle utilisation des réseaux sociaux, et notamment de TikTok est à relativiser, car la plupart des utilisateurs ne connaissent pas nuisances prouvées. Mais si nuisances il y a, nous ne pourrons le prouver que dans plusieurs années », a nuancé Claude Malhuret.

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La sénatrice Catherine Morin-Desailly a pour sa part pointé le « modèle économique toxique, pervers » de la plateforme, dont l’argent provient de la mise en avant de contenu « par un algorithme opaque. » Rappelant que TikTok en France a déclaré 62 millions d’euros de chiffre d’affaires publicitaire et 103 millions d’euros de chiffre d’affaires via les « gift » dans les vidéos en live, où les spectateurs peuvent acheter et offrir des cadeaux aux créateurs de contenus, et la plateforme prend un pourcentage. Elle plaide, à long terme, et si cette mesure n’est pas dans le DSA qui entrera en vigueur en août prochain, pour une « période de test avant la mise sur le marché de ces types d’application, comme on le fait pour un médicament. »

André Gattolin, sénateur de la majorité présidentielle s’est lui interrogé sur l’objectif politique de l’application, en pointant sa différence avec les autres réseaux sociaux américains. « Personne ne comprend comment la société fonctionne, Elle emploie énormément de gens, affirme employer 40 000 modérateurs physiques dans le monde, avec des dépenses en gestion, en technologie, et en face, très peu de rentrées publicitaires, avec un CA de 4 milliards d’euros seulement. On pourrait croire que c’est une entreprise à perte, car dans le monde de l’internet, les réseaux sociaux ont eu une rentabilité rapide. » Il s’interroge alors sur le rôle que pourrait jouer l’application sur l’échiquier géopolitique. « TikTok est assis sur mine d’or de données personnelles, qui ne sont pas commercialisées ni utilisées pour de la publicité ultra-ciblée, car les publicités consistent en des écrans insérés dans des programmes courts. Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce un instrument pour qu’une puissance étrangère puisse entraîner des IA ? Nous n’avons jamais obtenu de réponses claires. »

Bonne volonté

Face à ces griefs, La commission donne six mois à l’application pour réagir, « notamment avec des actes rapides et simples », affirme Claude Malhuret. « Apporter les réponses sur le capital, les statuts et les actionnaires de Bytedance – un mail suffit. Prendre contact avec le ministère des finances pour clarifier ses coordonnées sachant qu’elle est située dans un paradis fiscal, aux îles Caïman. Apporter davantage de transparence sur son algorithme : à ce jour, les chercheurs affirment que les API de TikTok ne fournissent quasiment rien par rapport aux autres plateformes qui fournissent déjà très peu… »
Enfin, ils exigent « la négociation d'un accord équitable » avec la société des auteurs contre le piratage audiovisuel, et une rémunération plus juste des éditeurs des musiques utilisées sur la plateforme.

La Commission souhaite également des clarifications sur les projets Clover de protection des données en Europe, dont elle n’a eu que peu de détails. « Faute de cela nous recommanderons de considérer que l’application est un risque pour la sécurité nationale et le bien-être des enfants et nous aviserons de mesures d’urgence qui pourront aller jusqu’à une éventuelle suspension si les données facilement communicables ne le sont pas. Car tout refus sera synonyme pour nous de mauvaise volonté. » Fermer le ban.

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