[Tribune] Alors que le mouvement social d’opposition à la réforme des retraites a changé de dimension après le recours au 49-3, l’arrivée historique d’influenceurs dans le mouvement montre une véritable évolution de la création de contenu en ligne.
Ces dernières semaines ont été historiques pour le secteur de l’influence en ligne. EnjoyPhoenix, Seb, LénaSituations ou encore Inoxtag, figures numériques, ont pris la parole sur les réseaux sociaux pour revendiquer leur opposition à la réforme des retraites, au recours au 49-3, et affirmer leur soutien aux grévistes engagés contre le report de l’âge de départ à la retraite. Par des tweets, des stories sur Instagram, le relais de caisses de grèves mises en place par les syndicats, une vingtaine de créateurs de contenu ont marqué leur opposition franche à la réforme. L’ensemble de leurs communications ont engendré plusieurs dizaines de millions de vues sur ces contenus de soutien à la mobilisation, ce qui représente une visibilité conséquente.
Au-delà d’un cercle d’influenceurs connus pour leur engagement politique, la tendance touche aujourd’hui une multitude de profils dont des grands noms des réseaux sociaux, ce qui revêt un caractère historique. Ces influenceurs, qui avaient auparavant fuit toute prise de position forte sur les enjeux politiques nationaux, se saisissent désormais de ce sujet. Des appels à la mobilisation, des critiques, parfois véhémentes, mais également des témoignages personnels de ces personnalités qui s’inquiètent pour leurs proches si la réforme se concrétisait, ont afflué sur les réseaux.
Des influenceurs déjà mobilisés mais différemment
À la manière des artistes engagés du siècle dernier, comme Jean Ferrat après-guerre ou Daniel Balavoine, étendard d’une jeunesse face à François Mitterrand, ces figures des réseaux sociaux portent un message politique, en résonance avec la mobilisation de millions de Français. Des influenceurs se sont déjà engagés par le passé autour de sujets politiques, mais principalement autour de combats nés des réseaux sociaux. À titre d’exemple, des créateurs français s’étaient mobilisés dans le cadre du mouvement américain puis international Black Lives Matter, né en 2020 de la diffusion virale sur les réseaux sociaux de la vidéo de l’arrestation meurtrière de George Floyd. Certains influenceurs avaient aussi fait leur l’expression d’une jeunesse indignée par l’inaction climatique, en lien avec la publication des rapports du GIEC.
La situation est ici différente. Une mobilisation des salariés et de la jeunesse et un mouvement de grève, illustrés par leurs traditionnels cortèges partout en France et portés par les syndicats et l’opposition, sont désormais relayés et soutenus par des figures des réseaux sociaux. Un mouvement franco-français, né de la mobilisation traditionnelle du corps social et des syndicats. Les thématiques sociales précédemment traitées par les influenceurs étaient les combats d’une jeunesse connectée, quand aujourd’hui, l’opposition à la réforme portée par le gouvernement est largement majoritaire chez les actifs qu’elle concerne au premier ordre.
Des prises de position qui ne remettent pas en cause leur business model
Les influenceurs qui se mobilisent ces jours-ci sur les plateformes peuvent être répartis en deux grandes catégories : les influenceurs engagés, qui s’étaient déjà illustrés par le passé sur des sujets politiques, et les influenceurs grand public, qui prennent parfois la parole pour la première fois. Pour les seconds, dont le business model repose sur les partenariats avec les annonceurs, le risque d‘une prise de position marquée politiquement est plus fort que pour les premiers. Avec un besoin grandissant d’authenticité sur les réseaux sociaux, les influenceurs répondent d’une certaine manière à la demande de leurs publics en se saisissant de la mobilisation.
Cependant, les marques rencontreront des difficultés à se détourner de ces créateurs de contenus, tant le mouvement chez les influenceurs est important, avec de nombreuses prises de parole de grands noms de la scène internet. De plus, une prise de position en opposition à la réforme des retraites n’est pas perçue comme l’évolution de la ligne éditoriale d’un influenceur vers davantage de contenus politiques - ce qui pourrait détourner les marques de ces acteurs. Reste à savoir si cette tendance survivra à l’effet de loupe du 49-3 et des prochaines journées de mobilisation pour se répéter lors des prochaines grandes contestations sociales.