[Tribune] Alors que Google est dans le collimateur des autorités antitrust en Europe et aux Etats-Unis, le marché de la publicité digitale doit peut-être profiter de son passage au cookieless pour réduire sa dépendance au géant américain.
Comme chaque année, le petit monde français de la publicité digitale était réuni jeudi 2 février par le Syndicat des régies internet et l’Udecam afin de découvrir les derniers chiffres du marché, compilés par le cabinet Oliver Wyman. Et comme chaque année, les grands gagnants sont une fois de plus les géants américains du numérique comme Meta, Amazon mais surtout Google, qui captent à eux trois plus de 65% du marché de la publicité digitale, et près de 80% de sa croissance.
En ayant copié il y a 20 ans le modèle de «search engine advertising» inventé par Overture, Google génère désormais non seulement des milliards de dollars en vendant des clics (au moins 2 milliards en France), mais le groupe est également devenu un géant de la publicité vidéo avec YouTube, ainsi qu’un acteur incontournable de la publicité programmatique, avec son adserver DV360.
Si les acteurs nationaux n’ont pas réclamé cette année de «fair share» auprès des agences médias, on sentait néanmoins le besoin de dénoncer un déséquilibre de marché que seuls d’autres acteurs étrangers (Apple, Netflix, TikTok...) sont désormais en mesure de contester.
Google gagne à tous les coups
L’une des explications à ce déséquilibre, c’est que les acteurs en position dominante abusent de cette position. On savait déjà que Google était «juge et partie», en disposant de ses outils de mesure (Google Analytics) et de ses outils publicitaires. Mais il faut bien comprendre que Google s’est également déployé aux côtés des annonceurs, avec des outils de type DSP, mais également du côté des éditeurs, avec des outils SSP, Google captant ainsi la part du lion dans la chaîne programmatique.
Pire, dans un marché qui repose sur des enchères en temps réel, le real time bidding, Google semble avoir profité de sa position centrale dans la chaîne programmatique pour gagner à tous les coups, aux dépens des autres publishers, mais également des annonceurs qui s’appuient sur ses outils.
Après un premier jugement de juin 2021 de l’autorité française de la concurrence et en attendant les conclusions des autorités européennes qui mènent l’enquête, c’est désormais au tour du département américain de la justice d’attaquer Google pour abus de position dominante en affirmant que le groupe «utilisait des méthodes anticoncurrentielles et illégales pour éliminer, ou réduire drastiquement, toute menace à sa domination sur les technologies utilisées pour la publicité numérique».
Mais Google a lui même ouvert la boîte de Pandore
Si le procès antitrust contre Google promet d’être un long marathon judiciaire, il ouvre néanmoins un nouveau chapitre dans la publicité digitale. L’ironie est que Google avait justement déclenché un big bang, il y a trois ans, en annonçant la fin du support des cookies tiers dans Chrome, et le besoin pour l’industrie de se tourner vers de nouvelles technologies. De reports en reports, la Privacy Sandbox doit théoriquement arriver en 2024, et mettre un terme à l’utilisation des cookies tiers au profit d’API d’activation et de mesure, contrôlées… par Google.
Des propositions globalement rejetées par le marché, qui cherche au contraire à introduire de nouveaux identifiants (solutions ID, adresse IP…) mais également à revaloriser le contexte publicitaire dans le cadre d’inventaires «consentless». Pour les annonceurs et leurs agences, l’arrivée de cette Privacy Sandbox est ainsi l’opportunité de découvrir de nouvelles technologies européennes, qui sont non seulement en mesure de les accompagner dans leurs problématiques d’adressabilité (ciblage, couverture sur cible, répétition, mesure…), mais qui sont surtout compatibles avec les textes européens les plus récents.
Qu’il s’agisse d'E-Privacy, qui encadre le consentement, du RGPD, très attaché au traitement des données personnelles, de la fin du Privacy Shield, qui pose la question de la légalité de Google Analytics (et de toute sa suite publicitaire) ou encore des prochains DMA/DSA, l’Europe a considérablement durci sa législation. Un nouveau contexte juridique qui pousse d’ailleurs les industries les plus régulées, comme la banque ou la santé, à s’interroger sur la «compliance» d’outils informatiques soumis au Cloud Act américain, et qui se tournent désormais massivement vers des outils européens, afin d’éviter les sanctions de régulateurs comme la Cnil, qui se chiffrent désormais en dizaines voire centaines de millions d’euros.
Pour un avenir Googleless
Créé en septembre 1998, Google aura bien évidemment marqué ces 25 dernières années, avec des outils formidables comme son moteur de recherche, son navigateur Chrome, Gmail, Google Maps ou encore Android. Mais ces succès ne justifient en rien d’accepter une position monopolistique, qui lui rapporte désormais près de 180 milliards de dollars par an, et qui étouffe la concurrence tout en réduisant les performances des annonceurs et des éditeurs indépendants.
Après des années d’apathie, il est temps pour les Européens de conjuguer cookieless et Googleless, et ainsi permettre aux adtech européennes de rivaliser un jour avec les géants américains ou chinois du secteur.