[Tribune] Le discours que j'ai prononcé récemment et qui avait été écrit intégralement par l'outil d'intelligence artificielle d'OpenAI était ennuyeux, sans émotions et très politiquement correct. L’impertinence et la disruption restont encore pour longtemps le propre des humains.
On écrit beaucoup en ce moment sur la capacité de ChatGPT à rédiger des dissertations d’étudiants difficiles à détecter par l’enseignant. C’est une variante du test de Turing, où des volontaires dialoguent avec un interlocuteur invisible et doivent tenter de deviner s’ils parlent à un humain ou à une machine. Sachant que dans ce cas, ce ne sont pas les volontaires qui sont testés, mais l’ordinateur lui-même et, plus précisément, sa capacité à se faire passer pour un humain.
Mais le sujet peut-être élargi : cette intelligence artificielle est-elle capable de manière crédible de discourir en dehors du monde universitaire, dans tous les domaines ? En particulier, est-elle capable de rédiger un discours qui sera énoncé devant un auditoire sans que les auditeurs détectent une source non-humaine ?
A l’occasion d’une manifestation réunissant une centaine de personnes, à savoir la privatisation par Nomen du musée Jacquemart André pour l’exposition du peintre Fussli, j’ai eu l’occasion de tenter l’expérience suivante : prononcer un discours en rapport avec la situation, entièrement rédigé par ChatGPT, sans prévenir l’auditoire.
Il en est ressorti qu’aucun des 100 auditeurs n’a détecté spontanément la supercherie. Mieux : après avoir prévenu, a posteriori, l’auditoire que mon discours contenait un piège, que j’ai baptisé un peu abusivement un œuf de Pâques, il a fallu un peu de temps pour qu’une personne suggère finalement qu’il pouvait s’agir de ChatGPT. Alors qu’il y avait parmi les auditeurs des professionnels de l’art, et des informaticiens de haut niveau.
Test de Turing en partie réussi. Mais les entretiens avec les auditeurs, après coup, ont fait ressortir que l’exposé était ennuyeux et sans émotions, en comparaison en particulier avec les exposés brillants qu’avaient pu nous faire auparavant les guides du musée. J’avais d’ailleurs prévenu. On m’a fait remarquer également que le discours était très politiquement correct, et sans humour. Quand on sait à quel point les concepteurs d’AI ont peur des dérives, on comprend. On comprend également que ChatGPT, faute d’information sur les caractéristiques de l’auditoire, ne puisse s’essayer à l’humour, dont la qualité repose sur le partage de référentiels communs.
Des milliards de documents ingérés
En somme, aujourd’hui, ChatGPT imite ou, comme on dit, émule bien, mais ne saurait disrupter. Ce qui est normal, puisque son intelligence repose sur les centaines de milliards de documents ingérés. Les essais graphiques de son cousin Dall-e présentent la même caractéristique : «Peins-moi un Fussli» produit en 15 secondes un faux très crédible. Il en va de même de la «création» musicale.
Cela m’a rappelé le logiciel qu’avait créé dans les années 80 Roland Moréno, l’inventeur de la carte à puce, qui créait des marques en s’inspirant des marques existantes et en utilisant les chaines de Markov, et que nous avions baptisé «le Radoteur».
Rien ne permet de dire que ces limites ne seront pas un jour franchies. D’ores et déjà, ces outils constituent des aides précieuses à la création. A la vitesse à laquelle ces AI avancent, on aurait tort d’ironiser. Resteront aux humains l’impertinence et la disruption.