[Tribune] D’un enthousiasme béat, nous sommes passés à un scepticisme confinant jusqu’au rejet en ce qui concerne le métavers. Mais n'est-ce pas le propre de toute révolution technologique ? Celle-ci se fera dans le temps et à plusieurs conditions.
Depuis l'annonce de Mark Zuckerberg en 2021, nombreux sont les «experts» qui n’ont que le mot métavers à la bouche, le convoquant souvent à tort, l’habillant d’un tas de fantasmes et le coiffant de méconnaissance technologique. A son sujet, nous sommes passés en quelques mois d’un enthousiasme béat à un scepticisme confinant jusqu’au rejet. Les actes fondateurs du métavers ont participé à affecter cette perception. Derrière sa volonté de préempter le sujet, Facebook n’a en fait proposé qu'un reformatage en 3D de l'univers fermé de son réseau social. Immense déception. Les grandes marques, elles, se sont engouffrées dans les premiers métavers sans vision stratégique.
Métavers rime désormais avec controverse et le terme s'est déjà galvaudé. Sera-t-il d’ailleurs le plus à même de désigner ces univers virtuels, qui sont justement loin d’avoir dit leur dernier mot ? En réalité, on sait très peu sur cet objet. Et vouloir répondre maintenant à la question de son utilité, comme penser au nombre d’utilisateurs, c’est faire fausse route. Qui aurait prédit au temps de Daguerre et Niepce le nombre de photographies stockées dans nos téléphones en 2022 ? D’abord attraction de foire, le cinéma n’a jamais été pensé en industrie et n’a trouvé son modèle que dans la seconde moitié du XXe siècle.
Nous en sommes là avec les univers virtuels, à l’ère des pionniers, des explorateurs. Penser le métaver à l'aune de nos référentiels est illusoire. «Si j'avais demandé à mes clients ce qu'ils voulaient, ils m'auraient répondu : un cheval plus rapide», avait déclaré Henry Ford au sujet de l’automobile. Les usages se créent au fil du temps et tous ceux du métavers nous échappent encore.
Exigence de qualité
Envisageons d’abord ces mondes comme une refonte totale de notre rapport au temps, à l'espace, aux autres, à la propriété. Les métavers vont imposer de nouveaux paradigmes, inventer des modes d’interaction, d’expression différents, de nouvelles façons d’être, de faire, de voir, de dire, de comprendre. Et en intégrant les technologies de reconnaissance et de traçabilité de propriété des biens digitaux, ils vont amorcer une révolution majeure, même s’il est impossible de savoir son ampleur ou ses effets.
Au milieu de cette infinité de possibles, une certitude. Cette révolution se fera dans le temps et à plusieurs conditions : l’exigence de qualité, l’accessibilité, conditionnée par la constitution d’un écosystème cohérent.
La qualité est une condition majeure au succès du métavers. En effet, nous sommes plus que jamais immergés dans l’expérience. La perception de la qualité de l’expérience proposée est donc immédiate et très prégnante. Pour bien accueillir et faire revenir un utilisateur, la proposition artistique et narrative doit être précise et forte. Le niveau d'exigence est donc très élevé, aussi bien en ce qui concerne la narration, le «gameplay», les interactions, l'esthétisme des visuels que la qualité des sons. Cette rigueur dans la création et l’édition des contenus des métavers est fondamentale devant une page quasi-blanche.
Un écosystème cohérent
Le temps est à l’itération, propre à toute innovation et à toute nouvelle façon de concevoir le monde. Bientôt, nous pourrons voir de grandes tendances et des lignes claires se dessiner, des partis pris éditoriaux se distinguer, à l’instar des différents genres en littérature et des multiples styles musicaux.
Et ces lignes éditoriales seront définies par les utilisateurs eux-mêmes à l’issue de multiples interactions et essais. Cela suppose donc le développement de l’accès au métavers, qui englobe à la fois des problématiques techniques (casques, 5G) mais aussi la création d’une grammaire commune. Celle-ci passe, d’une part, par l’interopérabilité et, d’autre part, par l’intégration chez les utilisateurs des conventions d’usages, comme pour tout innovation technologique, qui vont ici de l’ergonomie jusqu’aux règles de collaboration et de monétisation.
Mais cette acculturation ne peut exister qu’au sein d’un écosystème cohérent, qui repose sur la rencontre d’une multitude d’acteurs du monde de l’art, des sciences, de l’économie et de la politique avec en toile de fond le respect des impératifs écologiques et sociétaux. De cette collaboration et des choix structurants qui seront faits pourront naître les différents usages du métavers. Sur ce point, la question d’une souveraineté nationale et européenne des univers virtuels se pose, qui doit être traitée avec la plus grande exigence, dans la durée, au-delà des effets de mode et des batailles de mots.