En dépit des faits sur les conséquences du dérèglement climatique, tous les arguments sont bons pour se convaincre qu’on peut continuer comme avant. Comment expliquer cette résistance au changement ?
On vient de nous annoncer que les compagnies aériennes vont transporter près de cinq milliards de passagers dans le monde en 2024, un record absolu qui souligne le spectaculaire rebond du transport aérien après le covid. Heu... on n’avait pas dit qu’on allait diminuer ? le « flygskam » (honte de l’avion en suédois) n’est plus d’actualité. Pourquoi finalement tout le monde s’en fout ? Face aux faits scientifiques sur le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, les risques sanitaires et l’épuisement des ressources, nous avons tout un catalogue de stratégies d’évitements à notre disposition. C’est génial, il y en a pour tout le monde. Selon sa bulle médiatique, son réseau social, son terrain de jeu professionnel, c’est la foire à la saucisse des chemins d’esquives pour se rassurer, se persuader d’une vérité alternative, se convaincre qu’il est urgent d’attendre :
– « Tous des cons ! » Bon, là, c’est un peu léger comme posture mais très très efficace pour attirer le chaland. Les autres disent n’importe quoi : les scientifiques sont nuls, les écolos gauchistes et anarchistes, mon neveu ingénieur agronome se la pète et mes voisins sont (forcément) bas du front ...
– « On nous ment ! » Là c’est plus tordu. L’état profond, le pouvoir judéo-maçonnique, les élites mondialisées, les médias vendus, tous contribuent à un grand mensonge, une grande manipulation. Allez voir sur YouTube, là on apprend des trucs qu’on ne dit pas à la télé.
– « Oui, mais les Chinois... » Là c’est plus subtil, moins radical. On voudrait bien faire sa part mais à quoi bon ? On pèse quoi dans la Bérézina mondiale ? Mon petit effort sera toujours noyé dans le chaos global. Ça fait de la peine mais la France c’est 1% des émissions carbone : une paille. Manquerait plus qu’on fasse régime alors que le reste du monde se tape la cloche.
– « Je n’ai pas le choix. » Mon boulot me fait voyager tout le temps et ma boîte n’est pas du style à considérer mes convictions.
– « Je n’ai pas le temps. » Toulouse, c’est cinq heures de train : cinq heures ! T’imagines ?
– « Je n’ai pas les moyens. » Bon, là c’est compliqué. Difficile de juger. C’est vraiment injuste de nous culpabiliser avec leur truc de bobo nanti. Entre un avion à 49 euros et un TGV à 120 euros, on fait vite le calcul.
Un mécanisme de préservation
Rappelons-le, le déni est un mensonge que l’on se fait à soi-même pour s’opposer à une réalité que l’on ne peut (ou ne veut) pas accepter. On connaît depuis longtemps le déni de grossesse – si frappant d’humanité et de sincérité. Le psychiatre Serge Tisseron, à la sortie du covid, publiait Le déni ou la fabrique de l’aveuglement. Déni de la gravité de la pandémie, de la science, de l’intérêt du vaccin. Un an auparavant, Don’t look up, le film d'Adam McKay, popularisait le terme avec son sous-titre en français : Déni cosmique. Face à la puissance de ce mécanisme de préservation (psychique !), comment communiquer la nécessité de changer nos habitudes et nos comportements si l’on doute aussi aisément de la réalité de la nécessité à agir ? Nous devons individuellement bagarrer avec notre propre génie intérieur qui nous offre en permanence de solides raisons de ne pas changer. Le déni est un réflexe, un temps de réaction face au bouleversement qui s’impose à nous. Un temps salutaire, d'une certaine manière, pour amortir le choc d'une révolution à laquelle nous ne sommes pas assez préparés. En d'autres termes, le déni fait partie du changement.
Je repense au déni de grossesse. Qu’elle le veuille ou non, l’humanité est enceinte de son avenir. Les marques et les entreprises qui valorisent d’autres solutions, d’autres voyages, d’autres imaginaires de vacances ou de collaborations la préparent déjà à y donner naissance. Nos dénis n’enlèvent rien à la beauté de cette promesse.