Déclassement économique, dérèglement climatique et violences urbaines sont autant de sources d’angoisse pour les Français. Un sentiment renforcé par une absence de réponses aussi bien au niveau des entreprises que de la puissance publique.
En septembre 2022, après les propos d’Emmanuel Macron sur « la fin de l’abondance », la « sobriété » s’était installée dans le débat public puis imposée dans l’opinion. En cette rentrée, c’est le sentiment de « vulnérabilité » qui domine l’état d’esprit des Français (1). Peur de voir son pouvoir d’achat baisser (89%) et de devoir faire des choix que l’on ne faisait pas avant dans ses dépenses (84%), de vivre les conséquences du dérèglement climatique (85%), de voir sa santé se dégrader (77%), d’être soi-même ou pour un proche, victime d’une agression (65%), les angoisses des Français se cumulent et se renforcent.
Crainte du déclassement économique d’abord : l’inflation enracinée depuis plus de 15 mois pèse dans chaque caddie sur le moral d’une majorité des catégories socioprofessionnelles. Cette crainte n’épargne plus que les hauts revenus : milieux populaires, classes moyennes, couple de deux actifs avec enfants, retraités, 8 Français sur 10 déclarent devoir « se serrer la ceinture ». « Et si demain je n’y arrivais plus ? Si j’étais obligé de devoir renoncer, à me nourrir, à m’habiller, aux petits plaisirs de la vie quotidienne ?» La consommation recule, les comportements alimentaires sont bouleversés. Et l’État sous pression de la situation budgétaire a désormais bien du mal à apporter de nouvelles réponses, laissant ou exigeant des entreprises qu’elle prenne davantage leur part.
L’éco-anxiété est également omniprésente après les inondations et les incendies dont les images ont une nouvelle fois marqué pendant l’été. On s’inquiète pour la planète, pour l’avenir de ses enfants, mais on se demande aussi si demain « le ciel ne nous tombera pas sur la tête », si sa maison ne sera pas emportée soudainement par une mini-tornade, si l’eau sera demain disponible pour chacun de ses usages. Face à cela, les tergiversations d’un G20 n’ont rien de rassurant parce qu’elles n’adressent que peu de signes d’une accélération de la mobilisation.
La violence au bout de la rue
Pendant l’été, une autre peur s’est considérablement renforcée dans l’opinion. Celle crée par les violences urbaines qui ont laissé le pays en état de sidération. Un chiffre est passé relativement inaperçu : plus de 6 Français sur 10 (2) expriment la peur de vivre une période de guerre sur le territoire français. Une autre information a été analysée. Au-delà de l’Île de France, de quartiers traditionnellement dits sensibles, ces émeutes ont frappé des dizaines de villes moyennes : à Montargis, Laval, Vernon, la violence n’était plus dans les écrans télé mais au bout de sa rue. Les morts dramatiques du petit Fayed à Nîmes, de Socayna à Marseille, victimes de « balles perdues » ont non seulement choqué mais aussi activé une profonde angoisse : « celle d’être pour soi ou ses enfants au mauvais endroit au mauvais moment ». Parce qu’elle se fait toujours attendre, l’absence d’une parole forte et solennelle du président de la République accroit dans l’opinion la perception d’une impuissance de la puissance publique.
C’est l’addition de ces angoisses, leur « proximité » et leur impact dans notre vie quotidienne qui constituent le socle de ce sentiment de vulnérabilité. C’est leur récurrence, sous des formes différentes, qui fait naître cette conviction que l’on avait connu avec le covid, que cela peut arriver demain à chacun, où qu’il soit, et quel que soit son mode de vie. C’est aussi la perception de défis sans réponses qui ajoute aux angoisses. Ces vulnérabilités questionnent les entreprises amenées à renforcer leur action sur les salaires, sur les prix, sur l’environnement. Elles interpellent fortement les politiques. Qui peut prétendre nous protéger ? Au-delà des propos martiaux, des annonces sans suivi, des promesses solennelles, mais aussi des critiques démagogiques ou du buzz indécent, qui peut me garantir demain non pas une vie meilleure, mais simplement une vie sereine, tranquille? Quand la perspective de vivre mieux demain semble s’éloigner, celle d’au moins vivre comme avant devient une nostalgie à laquelle on tente de se raccrocher. Cela mine la capacité à se projeter et à espérer. C’est un terreau fertile pour que ces vulnérabilités se transforment demain en colère.