La huitième réunion annuelle «In Design We trust» de l’Association Design Conseil (ADC) était placé sous le signe de la nouveauté. Une injonction à «faire du nouveau» naturelle mais, aussi, parfois, absurde.
« Faites-moi du nouveau ». Après le chaos de l’an passé, c’est une injonction à la nouveauté on ne peut plus claire que celle que nous avons soumise cette année aux agences participant à notre traditionnelle réunion « In Design We Trust » (1), le 8 octobre 2024. Un thème « faussement bateau », selon la remarque de Pierre Nabhan (JoosNabhan) à l’origine de cette idée.
Les orateurs, en solo ou en duos d’agences, ont travaillé main dans la main et présenté sur scène leur « copie ». Quatorze binômes se sont succédé sur scène en « format TED » cinq minutes chrono parfaitement maîtrisé.
Distinguer vraie et fausse nouveauté
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » : la célèbre citation du chimiste Antoine Lavoisier, qui parlait ici de la matière, s’avère transposable au design. Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie « nouveau », et distinguer la vraie nouveauté de la fausse. Et d’abord, y a-t-il dans le design comme dans l’info, le cinéma ou la mode, une injonction du nouveau et une hyperpuissance de la nouveauté qui nous rendrait « tous accros au nouveau », comme l’affirme Cédric Desmonts-Dumousseau (Team Créatif) ?
Pour Eva Van Woerkom et Alexis Mangou (Sixième Son), « la nouveauté n’existe pas. Elle est partout car elle n’est question que de perspective ». « On n’a pas tous le même regard sur le nouveau, chacun en a une perception différente comme dans le film Inception de Christopher Nolan », ajoute Cédric Desmonts-Dumousseau (Team Créatif). Question de culture, de références et aussi de contexte.
Ainsi, Aksel Oz et Jocelain Kaith (Landor) expliquent dans une prestation baptisée « ACPNUPCE- Analyse Croisée et Perceptions du Nouveau et de son Utilité au Prisme de la Culture et de son Epoque » que « le nouveau est une réponse à des enjeux et des inquiétudes de notre société, un canevas sans cesse retravaillé en fonction des peurs, des enjeux sociétaux, du contexte historique ». Démonstration hilarante avec la franchise Godzilla ou les innombrables et invraisemblables transformations du monstre depuis sa naissance au cinéma en 1954.
Sur le même ton de la dérision, Fabien Maschi et David Jannot (CBA) appellent à la vigilance. En inventant une hypothétique et inutile sur-sur-chaussure, ils livrent un réquisitoire contre le « newashing », ou l’art du faux nouveau. Manière de dénoncer, sous couvert d’humour, l’un des possibles travers de nos métiers. Recycler, oui, réchauffer, pas question.
Les designers, illusionnistes nés ?
Certains duos ont choisi la carte de l’humour pour nous démontrer par l’absurde, combien il est vain de vouloir faire absolument du nouveau pour du nouveau.
Léa Brosseau et Théo Mahut (Pixelis) nous ont décrypté l’innovation en décrivant un « designer savant fou » ascendant « Madame Irma ». Fausses études scientifiques et frise passé/futur absconse chez Méline Carlotti et Pierre-Baptiste Harrivelle (17 Mars), acronymes et démonstrations phénoménologiques délirants chez Thibault Van der Shootent et Julien Boyon (Leroy Tremblot) et « Lexique des nouveaux mots du design » élaboré par Amélie Allégret et Lucas Toso (4uatre) digne de la novlangue orwelienne où le fouzzytout côtoie l’expectinction, la sacristesse et l’hallusion, ou encore « Guide de l’illusionnisme en 5 points » de Fabien Maschi et David Jannot (CBA). Pauline Meslier, Léna Szerada et Sarah Brossard (Carré Basset) accusaient la course insensée à faire du nouveau et que le simple fait d’être inédit ne confère pas à une idée sa légitimité.
Pour Charlotte Roux-Pineau et Cédric Martineau (Extrême), c’est une évidence « il faut refuser le nouveau pour le nouveau ».
Make it simple ! (and light)
Sus au toujours plus loin, toujours plus fun, toujours plus provoc. Il existe une solution contre cette course au nouveau qui se résume en cette injonction : « Make it simple ». Et d’abord, revenir à l’essentiel. « Dans le design, la nouveauté, c’est de revenir à l’essence même du produit. Le rôle de l’agence n’est pas de faire du nouveau pour du nouveau et de faire tout simplement du beau, du bien », rappellent ainsi Charlotte Roux-Pineau et Cédric Martineau (Extrême). Message adressé tout autant à nos professionnels qu’à leurs clients. « Savoir répondre à des enjeux concrets et faire preuve de créativité positive », avancent Pauline Meslier, Léna Szerada et Sarah Brossard (Carré Basset).
Il est question ici de « vulgariser vraiment, simplifier la complexité » pour Léa Brosseau et Théo Mahut (Pixelis). Autre piste empruntée par Eva Van Woerkom et Alexis Mangou (Sixième Son) : s’inspirer du quotidien ou « de la nature pour créer de la nouveauté, à l’image du design du bullet train inspiré du bec du martin pêcheur, de la termitière inspirant Gaudi pour la Sagrada Familia ou du clignotant Volvo calqué sur la forme d’une branche cassée ou pour créer des contradictions et des associations inattendues, comme le duo Aya Nakamura/Garde Républicaine des JO, notre tarte tatin à nous »
Une bonne idée doit être simple, mais pas seulement estime Kheiriddine Sidhoum (Dragon Rouge) pour qui il est urgent de « laisser tomber la gravité et de prendre les choses avec légèreté ».
Et les technologies dans tout cela ?
Inévitablement, il fut aussi question des nouvelles technologies qui impactent de plus en plus nos métiers et interpellent nos designers. Pour géniales qu’elles soient à priori, IA, Chat GPT et autres SIRI sont-elles au service de la créativité et en l’occurrence de la nouveauté ?
Avec « Bref, on a pris un brief », Sophie Gay et Raphaëlle Gasnier (Namibie et Seenk) pointent les dérives de Chat-GPT. Pauline Baron et Hugo Couvry (Futurebrand) s’amusant des quiproquos créés par Siri à qui l’on demandait « du neuf » et qui propose un œil neuf sur l’oeuf. Plus optimiste, Cédric Desmonts-Dumousseau (Team Créatif) voit dans l’intelligence artificielle une source de créativité, « au même titre que le furent le synthétiseur pour la musique ou la 3 D pour le graphisme ».
Éloge de l’audace
Tout aussi inévitablement, il fut question pendant cette soirée de cette liberté créative et de l’audace sans lesquelles il n’y a pas de nouveauté, et sans lesquelles notre métier de designer n’existerait pas. Faire bouger les lignes, dépasser le strict cadre du brief, bousculer les idées reçues, oser : nombreux furent les duos à prôner l’audace, comme Cédric Desmonts-Dumousseau (Team Créatif), Pauline Meslier, Léna Szerada et Sarah Brossard (Carré Basset).
Ainsi, Arthur Schwarz (Production Type) incite-t-il à « être visionnaire et faire de ce qu’on veut voir, sans se dire que l’on a déjà tout fait, ce qui est faux comme le montrent les infinies transformations de la police Garamond ».
Chez Dragon Rouge, Khireddine Sidhoum appelle lui aussi à « ne suivre aucune règle pour créer du nouveau, ou du moins, à toujours questionner les règles.
La fontaine de jouvence
Les écoles, qui ont conclu comme d’ordinaire cette soirée annuelle avec un duo issu des deux écoles de design partenaires de l’événement : Ludivine Fossey (INtuit-Lab) et Willy Albouy (E-startup). Avec brio et pas mal d’impertinence, ces jeunes ont interpelé l’impressionnant parterre de leurs aînés : « For you, old people, êtes-vous capables de faire du neuf ? »
(1) La 8e édition des rencontres annuelles de l’ADC « In Design We Trust » s’est tenue le 8 octobre dernier à Paris en présence de 350 professionnels du secteur.