Quel secteur pourrait se prévaloir d’une meilleure carte de visite que les Jeux olympiques de Paris, imaginés dans les têtes de Thierry Reboul, Thomas Jolly et Tony Estanguet et mis en musique par les prestataires de l’événementiel ? Mais si le volume du « bashing » a bien baissé, quelques grains de sable sont pointés.
Le premier à se prêter à l’exercice de l’interview, quelques heures après la cérémonie de clôture des Jeux olympiques, se nomme Nicolas Dudkowski. Petite voix, la tête encore dans l’événement, le cofondateur de Double 2, membre du consortium d’agences baptisé Paname 24 qui a assuré la production exécutive des cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques, est encore totalement habité. Il parle de son émotion à entendre les cris d’orfraie avant, de ses larmes le soir même, des embrassades du lendemain de la cérémonie d’ouverture, mais aussi des jours et des week-ends au préalable consacrés à cet événement – avec la moitié de ses équipes embarquées dans sa production.
Parmi les autres protagonistes de cette manifestation planétaire, Stéphane Abitbol est un homme heureux. « On a gagné nos lettres de noblesse, résume le patron de Lévénement, le syndicat professionnel des agences événementielles. Les Européens sont très bons dans l’exercice. La France compte parmi les pays qui le font le mieux. C’est une nation d’événementiel. On a su montrer notre French touch ! »
De cette cérémonie d’ouverture, des épreuves sportives, de l’ambiance, les images resteront gravées. « Fantastiques », « extraordinaires », les compliments pleuvent. Fondatrice de Magic Garden, Béatrix Mourer préfère l’adjectif « magique », elle qui a œuvré à la scénarisation du pont de l’Alma, à la création du ClubHouse 24 installé au Palais de Tokyo, à l’esprit guinguette avec les jardins flottants sur les barges végétalisées… « Comment diable les Jeux olympiques de Los Angeles de 2028 pourront-ils surpasser ce dont le monde vient d’être témoin au cours d’une explosion de deux semaines de jubilations pittoresques du Champ-de-Mars au château de Versailles ? » interroge le Los Angeles Times, dans son édition au lendemain de la cérémonie de clôture. « Tout ce que l’on a voulu faire a fonctionné », ponctue encore Stéphane Abitbol.
Sur le pont, les opérationnels, la logistique, la production et, peut-être plus surprenant, les ressources humaines, même si sur ce point de possibles manquements ou « arrangements » ont été signalés dans les médias. « Un gros travail a été nécessaire, explique Carla de Oliveira, directrice générale adjointe d’Hopscotch Event. Cet événement a été anticipé sur un temps long, il y a presque un an et demi. Un comité social et économique (CSE) exceptionnel a dû être organisé pour valider les congés avant ou après la période habituelle. Des primes ont été octroyées à qui réduisait ses congés de cinq jours. » Hopscotch Event a aussi mis en place des séances de coaching pour aider les collaborateurs à gérer la pression. La dernière séquence a eu lieu le 11 septembre.
Certains acteurs moins enthousiastes
Mais les JO sont-ils l’arbre qui cache la forêt d’un marché plus contrasté en 2024 ? Les petites agences, les régionales, sont-elles aussi à la fête ? Et les autres prestataires ? À la tête de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), Thierry Marx avait râlé sur l’antenne de RTL en juin dernier, disant qu’on courait à la catastrophe. Deux mois plus tard, le discours de David Zenouda, vice-président du syndicat professionnel pour Paris et l’Île-de-France, se fait plus modéré. « Difficile d’établir un bilan à mi-parcours. Mais il faut se rappeler le contexte : les huit mois de pluie en continu, l’incertitude politique des dernières semaines ont fait perdre 30 % de chiffre d’affaires. Le trop grand nombre d’établissements pose question. Ces dernières années, beaucoup ont ouvert. On a laissé grossir le secteur mais le gâteau ne pourra pas être partagé avec tout le monde. »
Olivier Blanchard-Dignac aurait dû compter parmi les plus heureux, les plus chanceux, même les mieux placés. Avec Adrien Bisiaux, il est à la tête de quatre établissements, dont deux péniches sur la Seine, amarrées l’une quai de l’Hôtel-de-Ville, l’autre quai d’Austerlitz. Leur nom : Les Maquereaux. Les Échos disaient d’eux en septembre 2023 : « Une formule gagnante, avec des projets XXL pour 2024. » Résultat, 10 % du chiffre d’affaires habituel durant la période olympique. Leurs péniches n’ont pas été choisies dans le catalogue des lieux d’accueil fléchés pour les JO. « Moins de flux grand public, des summer parties d’entreprise reportées, le pire mois de juillet depuis la création de l’entreprise il y a huit ans, souligne Olivier Blanchard-Dignac. On n’a pas pu commercialiser notre offre. Et le mode d’emploi de la période est parvenu tardivement, la clientèle a eu peur. » Mais pas facile de faire entendre aujourd’hui une (petite) voix dissonante devant le flux de superlatifs.
2025, année tout feu tout flammes ?
La dynamique du secteur n’est pas portée par les seuls Jeux olympiques. Il y a aussi les assemblées générales du CAC 40, les activations pour des annonceurs réguliers, les événements institutionnels comme les 80 ans du Débarquement… Cofondateur de Shortcut Events, Christophe Pinguet passe en revue les autres marchés : « On est obligé de servir nos clients habituels dans une bande passante plus réduite. On n’a jamais autant travaillé pour L’Oréal, par exemple, pas en raison des JO, mais quand vous voyez ce que fait Lancôme, comme un voyage de presse au Domaine de la Rose, où l'on retrouve les trois essences de rose qui entrent dans la composition de La vie est belle,c’est fort. Plus il y a d’événements, plus les entreprises veulent en faire. L’effet d’entraînement est palpable. » « J’ai pu m’inquiéter en février, analyse Julien Leleu, directeur général associé chez Human n’Partners. Tout peinait à s’activer. Finalement, on n’a jamais autant travaillé en juin, juillet, août. » Céline Jolly voit le chiffre d’affaires de son agence Atipic située à Orléans progresser de 30 % en 2024. Dan-Antoine Blanc-Shapira, à la tête de l’agence Sensation !, a clairement fait le choix de ne pas partir à la conquête de Paris 2024. Et l’année sera meilleure que les précédentes.
Dans ce contexte, les JO vont-ils rester comme une manifestation pour happy fews parisiens ? Une petite musique entendue en mai ou juin. Pour Cyril de Froissard, directeur général d’Auditoire, « ce n’est pas un sujet. Avec les appels d’offres, tout le monde pouvait participer, avec beaucoup d’opérations autour du relais de la flamme. » Idem pour les fan zones. Gilles Poussier, fondateur de Gens d’Événement, a assuré le déploiement de celle de Nantes : 900 personnes à gérer sur dix-sept jours, avec huit jours de montage, le tout sans se départir de ses objectifs en termes de RSE.
Gérer 2025, éviter l’effet soufflé : tel est désormais le challenge post-JOP. Il va falloir tourner la page. « Ces dernières années, reliés avec la puissance des réseaux sociaux, ces événements d’activation ont pris une partie du business de la publicité traditionnelle, rassure Michel Rivet, directeur général de Moma Event. Ils ont renforcé leur crédibilité. » « Un événement n’est pas si cher que ça comparé au coût de la démobilisation des collaborateurs, souligne Céline Jolly. Cela fédère. » Avec déjà deux pitchs tombés au cœur de l’été pour 2025, le message semble avoir été reçu. D’ailleurs, la période semble plutôt favorable aux agences en région.
Perte d’attractivité pour l’Île-de-France
À la tête de Kactus, plateforme dédiée à l’événementiel avec plus de 12 000 lieux et activités recensés, Arnaud Katz dispose d’une vue globale du marché. Et pour lui, l’Île-de-France perd du terrain, petit à petit (lire p. 14). Une tendance de fond. Si elle reste en tête pour l’organisation des séminaires résidentiels, elle perd trois points (de 40 % en 2022, elle passe à 37 %). « On assiste à un rééquilibrage progressif, explique-t-il, lié aux politiques de responsabilité sociétale et environnementale des entreprises, au télétravail aussi. Les entreprises veulent se mettre au vert. » Les Hauts-de-France et Rhône-Alpes bénéficient de ce jeu de vases communicants. « La région des Hauts-de-France bénéficie d’une excellente accessibilité par les réseaux de transport, ajoute-t-il. Chantilly est une destination attractive par sa localisation et son offre hôtelière. »
Grands ou petits, tous les acteurs de la filière ont un chiffre en tête : les 16 milliards de retombées post-JO de Londres. 16 milliards injectés dans l’économie. « L’effet rebond », pour reprendre les propos de Renaud Hamaide, PDG de Comexposium, vice-président de l’Union française des métiers de l’événement (Unimev), même si, pour lui, « pas de quoi raccrocher le peloton de tête en matière de création de salons. La France est en troisième position, loin derrière l’Italie et la Grande-Bretagne. Et comme il faut douze mois d’organisation, ce n’est pas 2025 qui est dans sa ligne de mire, mais 2026. »
En 2024, les acteurs de l’événementiel français ont fait la démonstration de leur force de frappe, de leur savoir-faire, qu’ils peuvent aussi exporter. Avec un vaisseau à la manière d’un Paname 24, et qui pourrait « renaître de temps en temps, quand le sujet l’exige, pour un grand programme au Moyen-Orient, en Asie », dixit Julien Carette, PDG d’Havas Paris. Ou encore à l’image de Magic Garden, qui a rejoint 27Names, réseau de 27 agences partout en Europe. Le secteur se structure pour aller « plus vite, plus haut, plus fort ».