En à peine vingt-quatre mois, l’intelligence artificielle a creusé son sillon. Elle s’impose comme un outil incontournable dans l’événementiel, de même que dans tous les pans de l’économie, bien que le dire puisse se révéler compliqué.

Comme beaucoup d’autres secteurs d’activité, l’intelligence artificielle bouleverse le monde de l’événementiel. « Vertige », « tourbillon », « lame de fond » : les termes ne manquent pas pour témoigner de l’ampleur du phénomène dans un milieu basé sur l’interaction humaine. « L’IA ? Un incontournable, résume Guillaume Mikowski, happy CEO de Brainsonic Event et administrateur de l’association Lévénement. Impossible de s’en passer. C’est structurel. C’est partout. » « L’impact va s’opérer sur l’organisation des organisateurs d’événements », renchérit Agathe Sammut, fondatrice de Comeeti, média dédié à l’événementiel. Avec l’IA, place à l’organisateur organisé. Mais est-ce du même acabit que l’arroseur arrosé ?

« On a plein d’ennemis partout, attaque d’emblée Guillaume Mikowski. Plein de concurrents. Les participants potentiels sont sursollicités. On parle d’infobésité. Aujourd’hui, on s’autorise à s’inscrire et à ne pas venir. Vous devez innover pour engager les participants. Aussi, l’IA aide à les ferrer en amont. » Avec l’IA, dix invitations peuvent être envoyées pour un même événement, dix invitations personnalisées, customisées sur le visuel et le texte. Cette nouvelle technologie permet de développer des plateformes d’inscription, via une application mobile. La reconnaissance des lieux ? Elle va aussi être facilitée. Et Thomas Faizant, cofondateur de l’agence parisienne Prochaine Escale, de citer la sélection possible de salles selon l’exposition au soleil ou les ouvertures sur l’extérieur. L’IA lit vite, trie, recoupe, fait la synthèse de données à foison (les avis laissés sur Tripadvisor ou Booking, par exemple)… Selon Thomas Mathieu, à la tête de Bisons, agence événementielle de Grenoble, 30 % de son temps quotidien est dédié à la veille. L’IA peut donc l’épauler. Les plannings stratégiques peuvent aussi être réalisés en un tour de main avec cet outil.

Mais comment utiliser l’IA ? À cette question, Thomas Mathieu répond : « De façon assez classique. » C’est dire si, en à peine vingt-quatre mois, la technologie a fait une entrée fracassante dans le monde de l’événementiel comme ailleurs. Elle fait désormais partie du décor. Les affaires courantes gérées avec l’IA sont la production de texte et d’images. En phase de conception, ou même pendant un événement, elle peut convertir les mots en images. C’est quasi instantané.

Tout le travail autour de la scénographie peut être également accéléré. « L’IA nous permet de prétester une vue de ce que l’on veut obtenir, sans passer par la 3D, avec des propositions quasi définitives, explique Beaudouin Demanche, directeur de la création chez Brainsonic Corp, agence B to B. Au-delà du prix, c’est l’utilisation du temps qui se révèle différente, plus orienté à affiner les idées. » La barrière de la langue disparaît aussi. Un avatar peut parler en 118 langues sans problème. Les participants sont tous embarqués, peu importe leur origine.

Réaliser un mini-workshop pendant l’événement ou le séminaire pour le projeter sitôt après devient également possible, voix off et musique comprises. « Aujourd’hui, 40 % de la production d’un événement s’aide de l’IA, souligne Vincent Thijssens, vice-président Gen AI & Content pour Yuri & Niel Group. On va arriver à 80 % d’ici à fin 2024. » Une bataille de statistiques.

Le vécu varie selon les agences, leur taille ou la nature des événements à mettre en place. « Je suis surpris de l’hétérogénéité des positions des professionnels, poursuit Vincent Thijssens. Les gens ont du mal à croquer le sujet. Reste encore à faire un gros travail d’évangélisation. » « Le résultat est fait à 90 % en dix fois moins de temps, estime Thomas Mathieu, chez Bisons. Toutefois, on ne cherche pas un résultat à 90 % pour nos clients, mais à 100 %. Le problème ? Aller chercher les derniers 10 %. »

Depuis la sortie du covid, les professionnels perçoivent un manque d’enthousiasme à se retrouver au sein des entreprises. Aussi comptent-ils sur l’intelligence artificielle pour donner plus de relief, plus de rythme aux retrouvailles.

Pas de grand remplacement

« Il y a un petit côté honteux », reconnaît Thomas Faizant. Dire qu’on utilise l’intelligence artificielle n’est pas chose aisée. Mais, de l’avis de tous, c’est une erreur. L’IA se repère quand les fruits du travail sont livrés bruts ; le résultat sonne alors faux. On n’ose pas non plus dire que l’on ne sait pas. « Dans l’événementiel, comme dans le marketing ou dans la publicité, on a beaucoup gagné grâce à l’IA, mais on a aussi beaucoup perdu, dixit Thomas Mathieu. La seule chose à faire : prendre la vague et surfer dessus pour ne pas être noyé. »

Si les optimistes sont nombreux, la méfiance est palpable. Et d’ailleurs, rares sont les dirigeants d’agence à envisager des recrutements en 2024, voire à horizon 2025. Le contexte économique et les bouleversements générés par l’IA poussent à la prudence. Thomas Mathieu interroge : « Le nombre d’étudiants formés pour ce secteur n’a cessé d’augmenter ces dernières années, comment allons-nous faire ? On aura du mal à recruter tous ces jeunes diplômés. On surestime l’impact à court terme, et on le sous-estime à long terme. Comme toujours. »

En revanche, « on a un vrai sujet de formation, d’acculturation », note Agathe Sammut. À travers la Comeeti Académie, le média a déjà accompagné 500 professionnels en une petite année pour apprivoiser cet outil. « Ce n’est qu’un outil, ce n’est pas un cerveau… Le grand remplacement dans l’événementiel n’est pas pour maintenant », assure la dirigeante.