Dossier ÉTUDES

Tandis que les sociétés d’études continuent d’explorer des pistes de diversification, leur activité s’envole au premier semestre, le second demeurant hautement incertain.

Divine surprise. Sur les cinq premiers mois de 2024, la croissance des instituts d’études a bondi de 8,8 % par rapport à la même période de 2023, alors que les prévisions tablaient pour l’ensemble de 2024 sur une progression de 4 %. Ces données sont fournies par Syntec Conseil, qui mesure au mois l’activité de ses adhérents, soit une quarantaine d’instituts pesant l’essentiel du marché français. Le secteur des études avait progressé de 2,5 % en 2023 et de 3 % en 2022. Dans la mesure où les instituts, confrontés à des augmentations de prix des matières premières et à des hausses de salaires, ont relevé leurs tarifs, la dynamique semblait peu favorable depuis deux ans, l’inflation expliquant cette progression en valeur. Mais en 2024, « c’est le retour de la croissance en volume d’affaires », se réjouit Stéphane Marcel. chief growth officer de The BVA Family, nommé le 20 juin à la présidence de la commission Études du Syntec Conseil, succédant à Luc Laurentin.

La bonne santé du secteur de la grande consommation, donneur d’ordres n° 1 en matière d’études, est une explication. « Les instituts se nourrissent de son besoin de compréhension des comportements des consommateurs », note Stéphane Marcel. Le secteur de la distribution, en quête de données sur les expériences de ses clients, est un autre moteur de croissance. Les études internes, sur la qualité de vie au travail ou l’engagement des salariés, ont le vent en poupe après le covid. Les sujets de transformation et de RSE apportent une dynamique complémentaire. Le marché des études pèse environ 2 milliards d’euros en France, une moitié pour les études ad hoc, l’autre pour les panels. Ipsos, Kantar et BVA sont les acteurs principaux de la première activité, Kantar, Nielsen et Circana (fusion l’an dernier d’IRI et NPD) de la seconde.

Effet JO

Cette croissance n’est pas uniforme. « Sur la partie research qui représente les deux tiers de nos revenus, la progression est de 2 % à 3 % par an. En revanche, nous avons des croissances à deux chiffres sur les activités de modélisation et de géolocalisation », relève Yves del Frate, CEO de CSA (Havas). « Avec la base de données sur les comportements économiques que nous enrichissons depuis vingt-cinq ans zone de chalandise par zone de chalandise sur la France entière, nous sommes de plus en plus sollicités pour faire du ciblage, dans un contexte où les activations digitales deviennent problématiques via les cookies », note le dirigeant. CSA emploie près de 200 collaborateurs mais ne communique pas de chiffre d’affaires. « Nous sommes sur une dynamique de croissance supérieure à celle du marché », assure Alexandre Guérin, directeur général d’Ipsos France. L’institut ne donne pas de chiffres pour l’Hexagone. Pour la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique, où la France pèse beaucoup, la croissance organique au premier semestre 2024 est de 7,6 % et la croissance totale de 10 %, à 523 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ipsos emploie 22 000 collaborateurs dans le monde, dont 800 en France sans compter 300 personnes dans ses centres d’appels. The BVA Family, qui emploie plus de 900 collaborateurs dans le monde, a enregistré un chiffre d’affaires de 153 millions d’euros l’an dernier contre 149 en 2022. Le chiffre d’affaires d’Ifop, 30 millions d’euros en 2017, atteint l’an dernier 62 millions d’euros, une progression majoritairement due à une politique de rachats, comme Occurrence ou Brain Value. « Nous envisageons de réaliser de nouvelles acquisitions », avance Christophe Jourdain, directeur général d'Ifop.

Que réserve le second semestre, au vu de la situation politique ? « Il pourrait y avoir des arrêts ou des temporisations de programmes dans le champ public », redoute Stéphane Marcel, qui s’interroge aussi sur l’effet JO. « On se demande si les Jeux n’ont pas entraîné une forme d’accélération des commandes avant l’été, mais ça, on ne le saura qu’après », dit-il. « On anticipe un léger tassement lié à trois facteurs : la fonction publique devenue plus frileuse dans le contexte de l’affaire McKinsey, la normalisation des investissements dans le secteur luxe-beauté et les incertitudes sur le nouveau gouvernement qui pèsent sur le climat des affaires », souligne Alexandre Guérin. « Il y a une forme d’attentisme, nous ferons de la croissance au second semestre, mais légère », prévient Assaël Adary, président d’Occurrence et associé d’Ifop.

Observatoire des pétitions

Les instituts poursuivent par ailleurs leur diversification dans plusieurs directions. Occurrence développe un observatoire des pétitions. « Chaque mois, il y en a plus de 2 000 en France, c’est un élément de la réputation des entreprises », estime Assaël Adary. L’idée est aussi, note Alexandre Guérin, de « remonter la chaîne de valeur vers le conseil ». « Nos propres équipes travaillent, sur la base d’études, à des recommandations plus actionnables pour le client », précise-t-il. Autres leviers de croissance : l’hybridation des données provenant d’études ou des réseaux sociaux, et la diversification des besoins d’études au sein des organisations. « Il y a encore cinq ans, les études étaient le plus souvent achetées par le département spécialisé sur ce sujet dans l’entreprise. Aujourd’hui, ça peut être aussi le service relation client qui veut des feed-back en temps réel ou la R&D qui a besoin de tester plus rapidement ses produits », note-t-il.

À l’Ifop, la diversification est géographique ou sectorielle, avec la création d’une « verticale » banque-finance-assurances, mais elle a une limite. « Nous restons dans la sphère élargie des études mais on ne veut pas se diversifier avec des sociétés purement technologiques », précise Christophe Jourdain, préférant nouer des partenariats avec elles, comme la start-up Fairgen pour l’intelligence artificielle. Parti pris différent pour Yougov, qui vient de faire l’acquisition en Nouvelle-Zélande de Yabble, une société spécialisée dans l’IA. Sa filiale française, en croissance de plus de 15 % sur le dernier exercice, mise sur un modèle mêlant études ad hoc et plateformes. Parmi elles, un outil de brand tracking qui suit en continu 1 500 marques en France. « Elles ne sont pas forcément clientes mais quand l’une nous contacte, nous avons déjà en général la réponse à sa question », note Alexandre Devineau, general manager pour la France.

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