Directeur de création de la filiale algérienne du groupe TBWA, Massinissa Tiblali est le premier créatif à avoir représenté le pays dans un jury des Cannes Lions. Stratégies l’a interrogé sur les particularités du marché publicitaire du pays.
Quelles sont les spécificités du marché publicitaire algérien ?
MASSINISSA TIBLALI. Les annonceurs ne raisonnent pas forcément en termes de création, mais plutôt en termes de distribution et de pricing en raison de la vaste superficie du pays. Communiquer sur l’ensemble du territoire est un vrai défi. Il n’y a que sur les marchés saturés qu’il y a un potentiel publicitaire, par exemple le FMCG [produits de grande consommation], la téléphonie, mais aussi l’hygiène bébé avec des acteurs internationaux (Ontex, Hayat) et locaux (Cepro, Faderco). Parmi nos clients, nous comptons les marques de couches Bbcool et Poupoune du groupe Cepro. Le marché algérien est relativement petit, ce qui nous a poussés à offrir un mix de services intégrés : conseil marketing, création publicitaire, digital, veille stratégique et relations publics. Les annonceurs préfèrent encore le « one-stop shop ». La télé reste le support de choix avec un mix entre les chaînes étatiques et privées, car ce média permet de couvrir tout le territoire. Le ramadan est un bon exemple en matière de publicité. Le coût du passage en télé est d’ailleurs plus élevé, mais reste accessible comparé aux autres marchés de la région.
Vous parlez de la période du ramadan, durant laquelle les communications sont principalement incarnées par des femmes. Les mentalités ont-elles évolué ?
Dans la consommation grand public, les agences sont en général appelées à communiquer de manière conventionnelle. Elles mettent souvent en scène des femmes dans des rôles traditionnels (préparation de repas, entretien ménager, etc.) La publicité en Algérie date du début des années 2000. Nous observons une démocratisation de la création, mais elle s’opère doucement. Le ramadan est le rendez-vous annuel incontournable pour les annonceurs, mais c’est la distribution et le pricing qui comptent avant tout. Par contre, dans les campagnes corporate et de mécénat, les créatifs peuvent oser plus de créativité. Cette année, durant le ramadan, nous avons conçu la campagne nationale Tasshil contre le gaspillage alimentaire pour le compte du ministère du Commerce algérien, en partenariat avec l’Union européenne. Dans le film, nous avons comparé un caddy de supermarché à une poubelle. La campagne a été primée deux fois aux African Cristal Awards.
Dans quelle langue se font principalement les communications ? Qu’est-ce que ça dit, selon vous, et pourquoi ?
La langue française, historiquement omniprésente dans les communications en Algérie en raison de l’héritage colonial, perd du terrain. Cela montre que le secteur publicitaire gagne en maturité et en pragmatisme. Le français est de plus en plus perçu comme une langue réservée à une élite urbaine. La majorité de la population s’exprime dans le dialecte arabe local (derja). Communiquer en dialecte local permet aux marques de toucher un public plus large et de s’ancrer dans le quotidien des Algériens. L’anglais commence à gagner du terrain, surtout dans les secteurs du digital et de l’e-commerce. Les jeunes générations sont souvent plus à l’aise avec l’anglais, notamment grâce aux réseaux sociaux, mais la mélangent avec l’arabe.
Chiffres clés
2003 Date de création de l’agence.
2006 Affiliation au groupe TBWA.
39 Nombre de salariés dont treize dans l’équipe de création.