Face à l’audience en France de Cnews, les politiques de gauche doivent composer entre aller sur les chaînes du milliardaire ou se couper d’une partie de l’audience.

Il avait fallu début juillet des « circonstances exceptionnelles », le risque que le Rassemblement national remporte les législatives, pour que Marine Tondelier aille sur CNews, preuve des hésitations de la gauche à se rendre sur les chaînes de Vincent Bolloré, surtout face à Cyril Hanouna. « Je ne suis jamais venue sur cette chaîne depuis que je suis secrétaire nationale » des Écologistes, avait-elle déclaré, en s’adressant à des spectateurs « qui pour beaucoup a priori » n’étaient « pas d’accord » avec elle.

Pendant la campagne des européennes, la candidate des Verts Marie Toussaint et son homologue Parti socialiste-Place publique Raphaël Glucksmann avaient refusé de participer à un débat sur CNews, accusée par la gauche de promouvoir des idées d’extrême droite.

Mais les représentants de la gauche radicale, l’Insoumise Manon Aubry et le communiste Léon Deffontaines étaient sur le plateau face à Laurence Ferrari. La présence des Insoumis sur la chaîne d’information du milliardaire conservateur Vincent Bolloré ne coule pas pour autant de source. « C’est un vrai débat qu’on a eu chez nous », commente le coordinateur du mouvement Manuel Bompard, « on peut le regretter mais il y a des gens qui regardent » CNews.

Le débat TPMP

En octobre, CNews est la première chaîne d’info avec 3,1 % de part d’audience, contre 2,9 % pour BFMTV, 1,6 % pour LCI et 0,9 % pour franceinfo, d’après les relevés de Médiamétrie. Les troupes de Jean-Luc Mélenchon ont donc opté pour un « compromis », selon Manuel Bompard : « On va sur la matinale et la grosse émission politique du dimanche, mais on ne va pas dans les émissions de la journée avec tous les chroniqueurs ».

Les Insoumis refusent également de se rendre dans une émission phare de l’empire Bolloré : « Touche pas à mon poste » (TPMP) sur C8 qui réunit 2,1 millions de téléspectateurs en moyenne et une part d’audience de 27,8 % chez les 15-24 ans. Et ce depuis que l’animateur controversé Cyril Hanouna a insulté le député LFI - et ancien chroniqueur de l’émission - Louis Boyard en plateau en novembre 2022. « Abruti », « tocard », « t’es une merde » lui avait-il notamment lancé. Pour ces propos, Cyril Hanouna sera jugé mardi pour « injures ».

Politique vs divertissement

« Au début, on trouvait qu’il y avait des choses intéressantes à TPMP », note Manuel Bompard, qui décrit ce plateau mêlant débats politiques et divertissement comme « un endroit où on pouvait toucher une population qui ne suit pas la politique ». En 2022, Jean-Luc Mélenchon s’y était rendu pour débattre avec Éric Zemmour.

« Ce n’est pas tant Hanouna le problème, c’est plutôt le cadre de l’émission. Il ne faut pas faire de confusion entre le moment politique et celui du divertissement », avance le député socialiste Emmanuel Grégoire. « Je ne vais pas sur CNews mais je me pose la question », nuance celui qui fréquentait les plateaux de Pascal Praud dans ses anciennes fonctions de premier adjoint à la mairie de Paris et dénonce dorénavant une « dérive » de la chaîne.

« Quand vous boycottez une chaîne qui représente autant de parts d’audience, je ne sais pas si vous rendez service à votre famille politique », ajoute-t-il. Rare responsable de gauche à accepter les invitations de Cyril Hanouna, sur Europe 1 ou C8, le communiste Léon Deffontaines s’est rendu pour la première fois sur TPMP en mai pendant les européennes.

Gagnant - gagnant

Et il a pu constater le bénéfice, en matière d’exposition, par rapport aux débats traditionnels, lorsqu’il a fait quelques semaines plus tard du porte-à-porte pendant la campagne des législatives, où il était également candidat. « Les personnes qui m’avaient vu à la télé, c’était chez Hanouna. Elles me disaient "je vous ai vu chez Baba !" », le surnom de l’animateur, se rappelle le porte-parole du PCF. « Cela nous conforte dans l’idée qu’il faut y aller. Il y aurait une forme de mépris à ne pas le faire », ajoute-t-il.

Et l’intérêt semble être réciproque. « Vous méritiez beaucoup plus » que 2,36 % aux européennes, avait lancé Cyril Hanouna à son invité communiste, volontiers critique de La France insoumise, le qualifiant même de « talentueux ». Une présence appréciable pour le groupe Bolloré alors que le régulateur de l’audiovisuel l’Arcom a adressé cet été une « mise en garde » à CNews, s’inquiétant du manque de pluralisme de son antenne.

Fin juillet, l’Arcom a également décidé de priver de TNT C8, chaîne la plus sanctionnée de la télévision française avec 7,6 millions d’euros d’amende en raison des dérapages de Cyril Hanouna. Elle doit cesser d’émettre sur la TNT après le 28 février prochain.

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