En 2024, les agences ont la sensation de franchir un cap, même si le contexte économique ne les épargne pas. En quelques années, on est passé de l’acculturation à la professionnalisation de la démarche.
« On a arrêté la RSE à la papa. » Le ton est donné dès les trente premières secondes d’échange par Thomas Parouty, fondateur de l’agence Mieux, bien connu de ceux qui s’intéressent à la responsabilité sociétale et environnementale du secteur de la communication et de la publicité. 2024 marque un virage. Pour preuve, 102 agences-conseils en communication, dont 54 membres de l’AACC et 22 autres en relations publics, ont décroché le label RSE Agences actives, créé en 2018, soit une cuvée 2024 enrichie de 21 noms en un an. Cinq demandes d’information parviennent chaque semaine à l’AACC. « Souvent, les agences redoutent la complexité du dispositif, reconnaît Marie Gabrié, directrice déléguée de l’association, en charge notamment de la commission développement durable. Or, elles font sans le savoir plein de choses qui entrent en ligne de compte. »
Dans le même temps, 22 agences n’ont pas renouvelé leur label cette année. Le taux de renouvellement était de 78 % fin 2022. Des données qui viennent semer le doute sur la dynamique ? Le décompte des abonnés absents réalisé par l’Afnor, tiers de confiance de l’AACC sur ce dossier, pointe des entreprises qui ont pu – aussi – arrêter leur activité. C’est le cas de l’agence YZ, par exemple. Le contexte général est plus compliqué. Thomas Parouty évoque un trou d’air fin 2022-début 2023. Pour François Fossati, manager général d’Indexel, agence conseil et formation dans le marketing digital, le quatrième trimestre 2023 a été plus chahuté. « Il y a moins de projets, commente-t-il, mais dans tous, des problématiques RSE sont incluses. »
« Pas un client qui n’ait pas ça en tête, pour qui ce n’est pas dans la liste de courses, résume Géraldine Audibert, directrice conseil et référente RSE au sein de Publicis LMA, spécialisée dans le BtoB. Nos clients dans l’industrie répondent déjà à des normes. C’est beaucoup dans leur culture. Ce sujet se professionnalise. Des écueils ne sont plus visibles. Des idées non plus. Après une phase de tâtonnement, d’acculturation, l’heure est à l’accélération, à l’engagement convaincu. Aussi peut-on parler d’an II. »
Plutôt un « éveil » ?
En charge de la communication de B Lab, qui porte le principal label de la RSE – à dimension internationale – B Corp, Louise Seguin tempère un peu l’enthousiasme ambiant. Elle préfère les termes « d’éveil » ou de « secousse ». Sur les 8 000 entreprises certifiées dans le monde, seulement 400 sont françaises, dont 40 agences (tous spectres confondus, publicité, web, communication, marketing…) – bientôt 41 avec l’agence Marie-Antoinette –, une régie (Médiaperformances) et quatre médias (Brut, Loopsider, Maddyness et Welcome to the Jungle). Le Royaume-Uni en recense plus de 1 000 au total.
Labellisée B Corp, bien identifiée comme une pièce maîtresse sur le marché français, The Good Company se revendique (maintenant) davantage « agence mainstream, avec l’idée de sortir de la niche RSE. Et il va y avoir un appel d’air, explique Luc Wise, son fondateur, en raison de l’obligation faite aux petites et moyennes entreprises d’effectuer également du reporting avec la directive européenne Corporate sustainability reporting directive (CSRD). En temps de crise, les budgets de communication constituent la variable d’ajustement. Là, avec la version responsable sur l’égalité femmes/hommes par exemple, ils seront plus difficiles à couper. Le risque d’avoir un retour de bâton est grand. »
Entrée en vigueur le 1er janvier 2024, la directive sera appliquée progressivement sur les trois années à venir. « Avec un effort de pédagogie à déployer, continue le prolixe Luc Wise, pour rendre les enjeux de la RSE compréhensibles et sexy. » Pour rappel, selon l’étude Goodvest de juin 2023, plus de sept Français sur dix expriment leur méfiance envers les entreprises dites « engagées ».
La revanche du S
Aujourd’hui, les entreprises doivent changer de registre. « Jusque-là, les messages portaient sur les écogestes pour se décarboner, désormais on va de plus en plus sur des produits, détaille Thomas Parouty. L’environnemental était omniprésent, on va de plus en plus sur le sociétal, sur l’inclusion. L’inflation – qui a fragilisé la situation de nombreux Français – n’est pas étrangère à cette réorientation. »
Quelle est la responsabilité d’une agence, d’une entreprise par rapport à ses clients, ses collaborateurs, ses freelances ? Quelle grille de salaires proposer ? Quelle politique d’intéressement ? Ces sujets sont à l’origine même de la démarche RSE au sein de l’agence Marie-Antoinette. « Une démission tous les six mois, j’en avais marre, se remémore Céline Angelini, sa fondatrice. Aujourd’hui, ce déploiement ne s’inscrit pas tant dans une démarche business, en revanche, elle constitue un aimant pour les collaborateurs. »
Dedans, dehors, même leitmotiv. « On passe à côté du S [de RSE, social]. Or, c’est un levier facile à mettre dans les visuels de nos campagnes de communication, note Géraldine Audibert. Ce n’est pas plus coûteux de mettre une femme et non un homme. Souvent, on m’oppose que le client ne veut pas. Il faut lui proposer, même s’il n’est pas prêt. »
La RSE élastique
La définition de la responsabilité sociale et environnementale n’est pas gravée dans le marbre. Elle se nourrit aussi des avancées ou des tendances du moment. « Comment utilise-t-on ChatGPT ? interroge Patricia Chapelotte, directrice générale d’Hopscotch Décideurs. Je me suis engagée à être transparente dans l’utilisation de l’IA. Si on y a recours à plus de 30 % ou 40 %, on doit le signaler aux clients. Quand on calcule nos honoraires, est-ce du jus de crâne ou ce que pond la machine ? C’est fondamental si on ne veut pas se tirer nous-mêmes une balle dans le pied. Un jour, peut-être faudra-t-il l’introduire dans le contrat. »
« Jusqu’où va-t-on ? On s’est posé la question, note Céline Angelini. On ne va pas devenir des ayatollahs de la RSE, sinon on ne travaille avec personne. On change nos attitudes. La RSE, ce n’est pas un état, mais un chemin. » D’ailleurs, la grille de B Corp va évoluer. Des consultations publiques sont organisées actuellement pour définir les futures questions de la version 6 du label. Sortie prévue en 2025.