Julien Vaulpré, directeur général de Taddéo, est l'auteur d'une note pour la Fondation Jean-Jaurès intitulée «L’Amérique kidnappée» qui analyse la perspective d'une nouvelle confrontation Biden-Trump. Il revient aussi de Davos et parle des évolutions de son métier.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé aux États-Unis ?
L’émergence de « l’identity politics », ou la guerre des récits autour de deux représentations de l’Amérique. D’un côté, le Parti républicain, celui de la valeur travail, pro-business, contre les impôts, idolâtre de la globalisation et de la figure de l’entrepreneur, est devenu une coalition d’exclus, des perdants de la mondialisation cimentés par l’America First de Trump et par un ressentiment identitaire, c’est-à-dire par la crainte de la disparition de la population blanche qui sera minoritaire en 2040. Côté démocrate, l’alliance entre ouvriers et minorités du Sud a éclaté pour donner lieu à des luttes identitaires concurrentes. Il y a donc l’Amérique blanche des pionniers, qui s’est donné le droit de conquérir le territoire, face à l’Amérique woke de minorités qui s’estiment bafouées et voient derrière la démocratie un génocide et de la violence.
La pré-campagne semble jouer en faveur d’une marche inexorable de Trump vers le pouvoir malgré ses déboires judiciaires. Comment l’expliquer ?
Trump continue de fixer l’agenda et les termes du débat. Mais ce qui est nouveau c’est que le volume d’invectives et d’attaques qu’il émet permet de couvrir les arguments des adversaires. Il n’y pas d’alternative possible car le bruit est tellement puissant qu’on n’entend pas les autres. De son côté, Biden est considéré comme l’un des plus grands présidents en termes de réalisations, mais personne ne le sait. La bonne santé économique compte peu face au poison de l’inflation. Le match reste ouvert, il a réussi à reconquérir une partie des électeurs du Midwest, mais l’énorme danger de l’actuel président, c’est son âge : 81 ans. Il tient 8 minutes en conférence de presse, fait des bourdes, confond les pays. Il n’est pas perçu comme vieux mais comme sénile. Quant à Kamala Harris, elle n’est pas éloquente, « she is not verbal » comme disent les observateurs.
La nouvelle bataille d’Emmanuel Macron autour du « réarmement », la conférence de presse élyséenne : « poudre de Perlimpinpin » ou com efficace ?
Macron a compris qu’il lui fallait se faire entendre à travers des formats nouveaux (Twitch, Brut…) pour émerger auprès de différents publics. La conférence de presse à 20h15 a été un succès, avec près de 9 millions de personnes, car le jeu des questions-réponses crée une tension : il est mis en difficulté et se révèle percutant. Je reviens de Davos où il est considéré par la communauté internationale comme le meilleur leader européen. Il a les idées claires sur l’attractivité de la France et là où doit aller l’Europe. On a tendance à l’oublier mais il a de l’énergie, de la précision, de l’enthousiasme. On est parfois très sévère pour de bonnes raisons en politique intérieure mais si l’on dézoome on voit que la force de Macron ne s’est pas émoussée. Lors de la conférence de presse, il donne le coup d’envoi de son deuxième mandat : on y retrouve l’élément réformateur des débuts et on est sorti de l’économisme pur pour des sujets plus régaliens comme l’éducation. Prendre la défense de profs est une bonne idée même si les débuts de la ministre de l’Éducation sont laborieux, c’est un euphémisme.
Qu’est-ce qui est ressorti du dernier sommet de Davos ?
Mon métier est de donner de la visibilité et de l’influence, c’est-à-dire la capacité à nouer des liens avec des leaders d’opinion. À Davos, on peut avoir accès à toute la presse anglo-saxonne ou organiser des rencontres. J’ai pu par exemple présenter à mes clients le président du groupe indien Tata, le gouverneur de la Banque de France… Après le covid, Davos a abandonné toute prévision économique car, de fait, il n’y a plus de cycles, plus d’horizons. Les entreprises sont désormais centrées sur elles-mêmes et le pilotage de leur business. Or ce qui domine, outre l’IA, c’est la politique. 60% du PIB mondial va connaître des élections dans l’année à venir et il n’y a pas un pays qui échappe à la tentation du populisme. Le risque géopolitique devient le premier risque économique. D’où l’importance de comprendre les rapports de force politique sur la souveraineté, sur le numérique, sur le climat… On est sorti de vingt ans d’économisme et de la mondialisation heureuse.
Vous venez d’obtenir divers contrats pour accompagner des dirigeants ou des entreprises. Qu’est-ce qui fait votre différence par rapport à d’autres ?
Nous avons eu récemment l’accompagnement digital de membres du comex d’Air Liquide ou de Suez. Nous sommes devenus le conseil d’Omnicom, de Lactalis, de BPCE, celui de licornes de la French Tech comme Sorare ou Pasqal, nous sommes restés celui de Sciences Po, et le dossier Atos nous mobilise. Notre cabinet, constitué de 40 personnes, s’est inspiré des cabinets américains créés par les anciens sherpas de la Maison-Blanche. Il s’agit d’aider les dircoms autant que les dirigeants avec des notes de briefings, des argumentaires, du narratif. Il y a chez nous une culture de l’écrit qui nous rend plus précis, plus percutants et plus intelligibles. J’ajoute que nous envoyons trois à quatre consultants par semestre à Columbia University. Nous connaissons l’écosystème médiatique, économique, politique, intellectuel et également très bien le monde anglo-saxon, ce qui est rare. Je me suis inspiré des banquiers d’affaire et des grands avocats pour nous positionner comme des trusted advisors, des conseillers de confiance qui vendent non seulement un savoir-faire mais un savoir-être. Nous tâchons de ne pas pitcher n’importe comment, de très bien traiter tous les clients, quelle que soit leur taille, et d’entretenir une très grande proximité avec eux. Et on déteste qu’on nous lâche…
Vous revendiquez une smart attitude pour Taddeo…
Tous nos collaborateurs ont une forte curiosité intellectuelle. Mais la communication est une science molle. Pour avoir de nouvelles idées, il faut aller les chercher ailleurs, convoquer d’autres champs. Quand on lit Milan Kundera, on a des idées en com, davantage qu’en lisant un sondeur qui aligne les banalités. Les dirigeants ne veulent pas seulement qu’on passe quatre heures sur le communiqué de presse. Il faut savoir leur dire tout ce qui ne va pas le premier quart d’heure et ensuite passer à autre chose. Avec les développements digitaux, en particulier sur LinkedIn, on sait autant parler aux algorithmes qu’aux dirigeants, comme dit chez nous Jérémy Collado. Nicolas Namias, le patron de BPCE, a fait un post pour soutenir ses agences dégradées lors d’un mouvement social. Il donne accès à sa personnalité par le digital.
La com de crise se fait-elle comme avant ?
Non, car c’est moins de rapport de force, plus de dialogue, moins de bras de fer et plus de conviction. Des acteurs historiques ont tendance à considérer qu’il ne faut pas parler aux journalistes mais au patron de la rédaction. Ça ne marche plus, et on est sûr que c’est pire. C’est un mensonge industriel, cela devient la guerre à tout prix et on bunkérise le client. Or ce qu’il faut, c’est une bataille d’arguments. Il faut parfois montrer de la puissance mais il faut aussi savoir dialoguer avec les journalistes pour organiser la désescalade. Être très informé reste décisif.