En recrutant Caroline Fontaine, ex-directrice de la communication de la Mairie de Paris en tant que déléguée générale, Bertille Toledano et David Leclabart veulent donner un coup d'accélérateur aux chantiers de l'AACC et faire rayonner davantage l'association. Interview croisée.
L’actualité de l’AACC, c’est d’abord l’arrivée de Caroline Fontaine, le 4 septembre, comme déléguée générale. Quel profil avez-vous recherché ?
David Leclabart. Nous avons demandé aux membres de l’AACC de rechercher les candidats. C'était très important que les membres choisissent le profil dont ils avaient envie pour animer leur syndicat. Un comité de sélection s'est mis en place et a identifié des profils, a rencontré ces candidats et nous avons choisi à l'unanimité le profil de Caroline.
Bertille Toledano. Les adhérents de l’AACC ont besoin de quelqu'un de fort stratégiquement, qui fasse autorité, et qui est capable de les accompagner sur les grands enjeux du secteur (la valeur, l'écologie, la production…). Le deuxième point, c'est qu'il nous fallait quelqu'un qui aime la création et les agences. En ce qui concerne Caroline, je ne fais pas mystère du fait que je connais sa sensibilité à la création car nous avons dans le passé travaillé ensemble sur Air France.
Ensuite, il fallait quelqu'un qui connaisse aussi les annonceurs. Parce que tout ce qu'on a obtenu, que ce soit sur les compétitions ou sur la production etc., on l'a obtenu par la qualité du dialogue que nous avons avec l'Union des marques et avec les annonceurs au sens large.
Par ailleurs, sachant que nous sommes une émanation du Medef, que nous dépendons de deux ministères de tutelle (la Culture et l’Économie), nous recherchions quelqu'un qui connaisse les puissances institutionnelles et publiques et qui soit capable de revendiquer des choses ! C'est-à-dire demander à l'État de nous aider à nous accompagner sur la relocalisation de la production en France, par exemple.
D.L. Nous nous sommes interdit d'aller prendre des dirigeants d'agence, anciens ou actuels. Nous cherchions plutôt une posture de partenaire plutôt que de présidents à présidents. Après, nous avions quand même très envie de gens désireux de défendre la marque AACC et c'est aussi cela qui est intéressant dans le profil de Caroline : elle a construit des marques [Air France, Ville de Paris]. Enfin, il y a également une partie management qui est importante, pour diriger les équipes de l’AACC. Nous cherchions un peu un mouton à cinq pattes !
Caroline, vous avez quitté la communication de la Mairie de Paris. Pourquoi rejoindre une institution comme l’AACC ?
Caroline Fontaine. Dans mon parcours, en effet, j'ai beaucoup travaillé sur la création, notamment quand j'étais chez Air France. C'était assez différent à la Ville de Paris, qui est un annonceur un peu particulier, avec ce mélange assez complexe en termes de communication politique, d’administration, etc. J’y ai énormément appris sur les pouvoirs publics, la manière dont on les adresse. Cette opportunité me permet d’œuvrer pour des métiers qui, à mon avis, méritent davantage que ce qu’ils reçoivent. Pourquoi j'aime ces métiers ? Parce que ce sont des métiers d'intelligence. Ce sont aussi des métiers d'humilité, dans lesquels l’écoute et de facto la remise en question sont majeures. Ce qui m'intéresse aussi, c'est que les métiers d’agence sont des métiers d'intermédiaires entre des entreprises ou des institutions, des administrations et des publics.
Ces métiers ont une valeur sociétale. Je pense que leur rôle est absolument nécessaire dans le monde complexe dans lequel on évolue et où justement la notion d'écoute a tendance à être très chahutée, très abîmée. On oublie aussi dans ces métiers-là, l’aspect extrêmement populaire. Nous avons tous en mémoire des publicités qui nous ont touchés au cours de notre vie.
Aujourd’hui, on a le sentiment que les nouveaux dircoms sont confrontés en permanence à la critique. Est-ce qu’on peut parler de « dircoms de combat » ?
C.F. Actuellement, l’opinion publique est tellement chahutée en permanence, il y a une telle difficulté à avoir un discours sans être immédiatement confronté à une polémique, que, oui, selon moi, il y a une notion de combat. Un combat qui ne doit pas répondre sous une forme d'agressivité. Tout est quasiment soumis à la polémique, ce qui peut empêcher d'avoir un vrai discours de fond. Les métiers de la publicité sont aussi en permanence attaqués, il faut donc sentir ce qui va potentiellement surgir pour l’appréhender et avoir un récit autour de cela. Cela permet de tenir une position, sinon on ne fait plus rien ou on ne fait plus que des choses molles et qui ne parviennent pas à franchir le mur du son. Le métier de dircom aujourd’hui est quand même un sacerdoce, que vous soyez dans une entreprise ou dans une administration…
Quel est votre cap aujourd’hui à la tête de l’AACC ? Vous insistez beaucoup sur la création de valeur des agences…
B.T. Lorsque nous sommes arrivés au bout de deux ans de mandat, nous étions heureux de constater qu’il se passait quelque chose à l’AACC, avec de nouvelles forces et, je dirais, une récupération du syndicat par ses membres. C’est important parce qu’on a tous déjà beaucoup de travail, et ce syndicat, c'est du bénévolat qui nous prend beaucoup de temps : répartir les actions, d'un point de vue pragmatique, c'est l'assurance que chacun puisse s'engager réellement dans le syndicat.
Pour annoncer la deuxième période, il fallait un « breakthrough », une rupture. Pour faire bouger un peu la structure, nous avons fait un pas de plus qui consiste à aligner tout le syndicat sur une vision forte et essentielle : notre métier est un métier de création qui appartient aux industries créatives et culturelles.
D.L. L’inflexion proposée, c’est de nous présenter comme un acteur important dans les industries créatives en France. Quand nous recommandons un conseil à nos clients, nous l’exécutons aussi, ce qui est autrement plus engageant et qui fait que les agences ne sont pas des entreprises comme les autres.
Depuis un an, vous avez déployé le programme « Creativity is business ». Quel est son bilan ?
D.L. Le bilan est très positif de la part des partenaires avec lesquels nous avons travaillé. Après une année, c'est un premier tour de piste très encourageant. À Cannes durant le festival, nous avons eu un échange avec des directeurs de création, qui s’étonnaient que partout dans le monde, il est entendu que la créativité génère du business, mais qu’en France, il faille encore l’expliquer. Pour nous, l'étape suivante de ce programme, c'est d’expliquer que la créativité c'est du business et surtout, que cette création permet des changements dans une époque où l’on demande aux sociétés d'évoluer.
La suite logique c’est « Creativity is positive change » et plus uniquement « Creativity is business ». On reproche souvent à la publicité, sa notion de business. On peut entendre des propos tels que « C’est catastrophique la publicité, ça fait du business, or le business nous mène à notre perte aujourd’hui ». Il faudrait alors bannir la publicité parce qu'elle fait surconsommer et c'est vrai qu’elle est efficace en ce sens... Mais elle peut tout aussi être efficace dans les changements de comportements. Je pense souvent à l'exemple de la campagne : « Les antibiotiques, c'est pas automatique ». La France est largement mieux placée que ses voisins sur l’antibio-résistance parce qu’il y a eu ces campagnes des pouvoirs publics. Aller promouvoir des comportements plus vertueux en termes de consommation, c’est à nous de le faire !
B.T. Créer les nouveaux imaginaires, les nouveaux récits qui porteront les nouveaux comportements, rendre ces récits désirables, c'est notre job de communicant. Ce qu'on propose aujourd'hui ne peut pas juste être pénurique sinon ça ne va pas être très excitant. Il y a beaucoup plus de communication sur des véhicules électriques qu'il n'y a effectivement de véhicules électriques dans le monde. Pourquoi ? Parce qu'on essaie naturellement d'accélérer la transition écologique et donc le développement du véhicule électrique.
La création, c'est une force, d’autant que le « French creativity business » est ultraperformant. À Cannes, les entrées américaines représentent 27%. La France c'est 5,3% des entrées. In fine, l’Amérique du Nord, c'est 218 prix quand la France en comptabilise 57. Notre taux de conversion est plus fort que l’Amérique du Nord, de 3,9 % contre 2,9 %. L’un des enjeux des agences françaises, ce n'est pas uniquement la France. C'est le monde, c'est de rivaliser avec Droga5, Accenture ou encore BBH, avec toutes les plus grandes agences du monde à un niveau de création équivalent voire supérieur. Notre job, avec David et maintenant accompagnés par Caroline, ça va être de valoriser plus fortement encore la création française.
Où en sont vos chantiers sur « La belle compétition » sur les appels d’offres, auxquels Stratégies vient de consacrer sa couverture ?
D.L. Quand on voit que l’État est d’accord sur le fait que les agences doivent être dédommagées, avec trois modes de calcul différents etc., cela montre bien qu'ils ont une conscience de ce que c'est que notre travail. En tout cas au niveau des institutions. On voit bien chez les annonceurs assez structurés que les pratiques dans les appels d'offres sont quand même bien meilleures qu'il y a dix ans. À l’AACC, nous avons fait une étude l'année dernière qui montre, qu’en moyenne, il y a entre trois ou quatre agences par appel d'offres et non plus huit… Nous pouvons être optimistes car à présent, la qualité des briefs est plus claire, les budgets sont davantage communiqués, les participants davantage dédommagés... alors évidemment, il y a encore des marges de progression dont la rémunération des agences.
Aujourd’hui, de nombreuses agences refusent les appels d’offres. D’autant que, depuis une dizaine d’années, les gens à convaincre, ce sont plutôt les directions générales et les achats. D'où le travail de pédagogie nécessaire que nous faisons auprès des acheteurs pour expliquer nos business models. Souvent, ces populations ne connaissent pas bien notre mode de fonctionnement et ne peuvent donc pas bien négocier/acheter. Mais lorsqu’ils comprennent le fonctionnement, alors ils savent que ce n’est pas possible de nous faire travailler pour rien. Les appels d’offres représentent 10 % du budget d’une agence et coûtent en moyenne de 25 000 à 30 000 euros. Il est impératif de défendre l'importance de la communication. Car non, ce n’est pas juste une dépense, mais bien un investissement.
B.T. Il faut montrer aux annonceurs que, de la propriété intellectuelle, ça ne s'achète pas comme on achète des boulons. Nous ne sommes pas des fournisseurs comme tous les autres. Nous sommes des métiers à petites marges. Pourtant, quelques règles simples ont été édictées par la force publique : une règle de transparence (qui sont les agences sur l’appel d'offre, budget…), clarté sur le cahier des charges et les attendus. Un brief c'est un engagement. On n’en change pas en cours de route. Pour ce qui est des délais, au-delà du fait d'être acceptables, ils doivent être respectés. Sur les budgets, on entend parfois « faites-nous une proposition ». Mais ça n’existe pas ! Il faut parfois refaire des points avec les annonceurs pour rappeler quelques règles de clarté de transparence et de fiabilité. Ça sera d’ailleurs l’une des tâches prioritaires de Caroline, notamment d’alerter lorsque les règles ne seront pas respectées afin de mieux cadrer le travail et faire respecter le travail des agences.
Les appels d'offres digitaux et particulièrement ceux en social media passent manifestement un peu sous le radar. Là aussi, ce sera notre charge d'envoyer une lettre aux dircoms pour rappeler les règles de « La belle compétition » ou des lignes de conduites pour les appels d'offres publics. Malheureusement, dans l'industrie du digital, les choses sont faites un peu à la hussarde et il va falloir rappeler les règles.
Caroline, que comptez-vous mettre en œuvre à votre arrivée ?
C.F. Je pense qu’un axe prioritaire sera de renforcer la visibilité de cette association. Je compte travailler très vite sur une plateforme de marque. L’AACC n’en dispose pas vraiment et, pour ma part, je ne sais pas travailler sans plateforme de marque. Cela permet d'aligner tout le monde sur une vision et un plan clair. D’ailleurs, je vais rencontrer très rapidement les membres du syndicat, l’équipe et les écouter. À partir de là, je pourrai faire une proposition stratégique. Lorsqu’on prend un poste, il faut tout de suite aller très vite et être capable de rendre visible la transformation. C'est ce que j'ai fait quand je suis arrivée à la Ville de Paris, mais aussi chez Air France.
Dans cette dynamique de changement, réfléchissez-vous à un changement de nom ?
B.T. C’est une bonne question pour finir cet entretien. À un moment dans le « breakthrough » que l’on souhaite, la question de la visibilité de l'association va se poser, la question des médias sociaux va se poser, les questions de la plateforme digitale aussi, de la visibilité des services qu’on rend. Si l’on doit refaire tout ça, est-ce qu’on ne va pas jusqu'à une nouvelle identité et un changement de nom ? Ce sont des questions qu'on se pose et qu’il faudra partager avec tous les membres. Encore une fois, l’AACC, c’est un collectif.