TRIBUNE

[Tribune] La relation annonceur-consommateur n'est plus la même avec la transition technologique, ce qui oblige le planning stratégique à se réinventer, en devenant notamment plus éclectique.

Selon l'encyclopédie des Définitions Marketing, la définition du planning stratégique faisant référence à ce jour énonce que «le planning stratégique est une démarche (...) ayant pour vocation de donner des orientations ou des recommandations aux équipes créatives et aux clients d'une agence».

Le strategic planning fut inventé à Londres en 1965 par Stanley Pollitt (BMP), suivi, en 1968, par Steven King, qui créa chez JWT un département d’account planning. En France, le planning stratégique fut introduit à la mitan des années 70 à l'agence CLM/BBDO - fondée par Philippe Michel - par Fanny Vielajus, docteure en mathématiques appliquées et ancienne chercheuse au CNRS, reposant sur deux interrogations sur la marque : «quel en est son droit au profit ?» et «que veut-on que le consommateur s'en dise et s'en remémore ?».

On retrouve dans cette conception du planning stratégique l'influence du fondateur de l'art moderne, Marcel Duchamp, pour qui c'est le «regardeur» qui fait l'œuvre d'art et non pas l'artiste. Mais, une marque n'est-elle pas plus un actif incorporel stratégique qu'un simple «signe» ? 

La relation annonceur-consommateur bouleversée

La transition technologique a bouleversé la relation annonceur-consommateur et, de ce fait, oblige le planning stratégique à se réinventer. Mercedes Erra, fondatrice de BETC, rappelait dernièrement dans une interview à Challenges que «la publicité doit avoir du sens», en ce que les agences ne doivent plus seulement «vendre du rêve» mais répondre aux préoccupations de la société.

Un indice à bas bruit du rôle majeur du planning stratégique apparait dans l'étude de Shefferd sur les salaires moyens en agence, réalisée pour Stratégies : la direction du planning stratégique est la mieux payée (108 K€).

Or, il n'existe aucune réelle formation spécifique approfondie des planneurs stratégiques, dont l'origine en est la plus souvent littéraire, butant ainsi sur trois impératifs : savoir gérer l'économie d'une marque (sa valorisation financière, en faire un KPI de ROE, en optimiser le pricing et le ROI d'un «budget de marque», maitriser le droit de la propriété intellectuelle des marques et exploiter les systèmes informatiques d'analyse de la data et d'aide à la décision à base d'intelligence artificielle.

Vers un planning strategique faisant pivoter le métier des agences

Avec l'automatisation digitale du marketing et du média planning & buying, la création ne devient pour certains annonceurs qu'une dispendieuse «variable d'ajustement», et la stratégie, qu'une suite d'algorithmes, contribuant de ce fait à la banalisation des marques, arbitrées par la seule guerre des prix et des promotions. Or la créativité d'une agence conseil peut faire bien plus.

La matérialisation d'une «big brand business idea» - matérialisée par un compte d'exploitation prévisionnel - affronte ainsi la concurrence des grands cabinets de conseil en marketing stratégique dans l'extension, la diversification et l'innovation «brand centered» du business, à l'échelon des contenus, des expériences, des systèmes relationnels et des objets connectés, mais aussi en amont, à l'échelon de la définition de nouveaux marchés, audiences, produits, usages, services, canaux de distribution et de communication.

Si les consultants en management ont su s'emparer du CRM, ceux-ci connaissent des déconvenues (Accenture licencie près de 19 000 salariés). Pourquoi alors les agences ne feraient-elle pas l'inverse : concevoir stratégies marketing, repositionnements, diversifications et innovations dont elles sauront en assurer une mise en oeuvre plus créative mais aussi moins intrusive et plus responsable ?

La définition de la marque devra évoluer au delà de la notion de «signe permettant de distinguer précisément les produits ou prestations de services d'une entreprise de ceux de ses concurrents», symbolisé par le «(R)» protégeant une marque «figurative» ou «semi figurative» déposée à l'Inpi, mais ne répondant plus à une société devenue autant dubitative que revendicative. L'Inpi pourrait ainsi concevoir son propre label «(G)» d'une nouvelle catégorie de «marque» fondée sur le respect des normes consuméristes de traçabilité, qualité, SAV, sincérité et de RSE.

La clef de voûte de l'avenir des agences : la formation de jeunes diplômes pluridiscplinaires

Cette ambition constitue un challenge pour les filières existantes de formation à la communication : si les écoles privées et des IUT de communication se focalisant plutôt sur la mise à disposition de spécialistes directement opérationnels, il appartiendrait néanmoins à l'élite des grandes écoles et universités les plus sélectives de former ces managers hybrides à la «planification stratégique de la marque», mixant sciences humaines et sociales, études marketing, data analysis, finance, économie, statistiques & probabilités, droit de la propriété intellectuelle, programmation, stratégie d'entreprise, branding & design, naming, design thinking, et même histoire de l'art et des religions.

A ce jour, les filières bac+5 les plus compétitives restent les masters de communication de l'ESCP, Sciences Po Paris, Dauphine, du Celsa, de l'Université Paris-1 et d'Audencia Sciences Com. Parmi les écoles privées, relevons les bacs+5 en stratégie de communication des ESP, Efap, Iscom, ECS, et Sup de Com. Une source de formation complémentaire réside parmi les masters d'innovation de Dauphine, l'Essec, l'Edhec, EMLyon, Sciences Po Paris, Paris-1... Enfin, le recours aux «junior-entreprises» et aux programmes «Pépite» d'étudiants entrepreneurs labellisés SNES pourraient appliquer une bénéfique cure de jouvence intrapreneuriale aux agences.  

Un «nouveau» planning stratégique, plus éclectique, devra savoir exploiter les enseignements tirés aussi bien du «noeud borroméen» de Lacan, de la «théorie des médias» de McLuhan, de «l'Homme unidimensionnel» de Marcuse, des «mythes de la société de communication» de Baudrillard, des «signes en publicité» de Péninou, de la «pensée latérale» de Bono, du «design thinking» d'Osborn, des mythologies gréco-romaines et monothéistes, que de la «théorie des jeux» de Zermelo, du «ratio d'or» de Fibonacci, de «l'économie comportementaliste» du Prix Nobel Thaler, de la «matrice d'analyse stratégique concurrentielle» d'Henderson du BCG,  de «l'analyse SWOT» d'Humphrey du Stanford Research Institute, du «chaos management» de Peters, du neuromarketing de Smidts, et de l'intelligence artificielle explicative, prédictive ou générative de type ChatGPT d'OpenAI...

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