Avec David Droga, c'est l'autre Australien de la pub. Nick Law, global lead for design and creative tech et creative chairperson d'Accenture Song, a un CV en or massif : vice-chairman et global chief creative officer de R/GA, président de la création monde de Publicis Groupe et président de Publicis Communications, puis vice-président marketing et communication d'Apple... De passage à Paris, il a rencontré Stratégies pour un entretien exclusif.

Comment décririez-vous votre titre en tant que global lead for design and creative tech chez Accenture Song ?

J’ai été recruté en tant que head of design and creative technology. J’ai pour responsabilité de coordonner les actions créatives de tous les métiers d’Accenture Song. J’ai aussi le titre de «creative chairperson» (président créatif). C’est David Droga (chief executive officer) qui a créé ce titre au sein de son agence Droga5.

Comme vous êtes tous les deux Australiens, connaissiez-vous David Droga avant de travailler avec lui ?

Oui, pas seulement parce que je suis Australien, mais à travers l’industrie de la pub. C’est un très bon ami. Il sait très bien écouter, il est toujours disponible, est très intelligent et très ambitieux, a un super instinct, soit toutes les qualités qui l’ont conduit à un tel succès. Pour autant, connaître David ne me laissait en rien présager de quel chef il allait être, et par mon expérience, les fondateurs d’entreprises peuvent être très difficiles… mais David, pas du tout ! Nous travaillons ensemble tous les jours, je me rends aux bureaux d’Accenture, qui se trouvent à Hudson Yards à New York, je passe le voir, nous discutons...

Vous avez commencé à vous intéresser à la tech très tôt, dès votre arrivée chez R/GA dont vous étiez vice chairman et global chief creative officer…

Oui, je me suis toujours intéressé à la technologie en termes de créativité… C’est vrai que les technologies débutantes ne sont jamais considérées comme des outils créatifs, par conséquent, les premiers créatifs qui s’y intéressent sont ceux qui vont parvenir à s’amuser avec les nouvelles technologies… C’est une chose que j’ai toujours particulièrement aimé faire au long de ma carrière. Tout simplement parce qu’il est impossible d’être créatif sans la technologie.

La plupart des créatifs n’appréhendent pas les technologies anciennes, passées dans l’usage commun et qu’ils maîtrisent, comme des incroyables technologies : prenez la télévision, par exemple ! Quand Internet a démarré, les créatifs disaient : « Je n’aime pas ces technologies, je ne veux pas les utiliser, ça ne m’intéresse pas », alors qu’ils utilisaient déjà, sans s’en rendre compte, des foules de technologies. Ils avaient tout simplement oublié qu’il s’agissait de technologies.

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Vous sentiez-vous seul à l’époque dans cette approche ?

Oui, plutôt… Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais à l’époque des débuts d'Internet, il y a eu une sorte de «panique» dans les agences, puis la bulle internet a explosé… Tout le monde semblait se dire alors «La balle nous a frôlés mais elle nous a contournés…»

Comment décririez-vous votre expérience chez Apple ?

C’est extrêmement différent de travailler dans le marketing et le design pour Apple que de travailler dans une société de biens de grande consommation… Chez Apple, l’équipe interne avait une bien meilleure appréhension des produits car elle les découvrait en avant-première et elle avait la sensibilité culturelle nécessaire pour savoir comment faire dialoguer le produit avec la pop culture…

Parfois les agences internes peuvent faire des choses que les agences externes ne peuvent pas faire, juste parce qu’elles sont plus proches du produit. Mais des univers comme Silicon Valley fonctionnent également énormément en vase clos. C’est pourquoi il peut aussi être bénéfique de disposer d’agences dans «le vrai monde». C’est l’une de mes conclusions de mon expérience chez Apple : trouver un équilibre entre les deux.

Dans quelle mesure votre expérience chez Apple vous a-t-elle aidé à concevoir le concept de «deep simplicity»?

Je dirais que la genèse de l’idée est née chez R/GA. chez Accenture Song, ce qui est remarquable, c’est l’extension des compétences et l’immense rigueur autour de la technologie. La plupart des experts de la technologie sont doués dans ce qu’ils font parce qu’ils peuvent comprendre la complexité. Une fois qu’on a compris la complexité, il s’agit alors de tout simplifier, à destination du consommateur. C’est ce à quoi fait référence la deep simplicity : trouver les insights, les comprendre puis traduire tout cela en quelque chose de simple et d’humain.

Avez-vous un exemple en tête ?

À la fin des années 50 et au début des années 60, dans le monde des concepteurs-rédacteurs, Bill Bernbach a raisonné un peu de cette manière, et cela a changé la qualité des travaux quasi instantanément. Souvenez-vous, le «Think Small» de Volkswagen… Avant Bernbach, le concepteur-rédacteur arrivait avec l’idée. Ce n’était pas une conversation. C’était un transfert, une commande d’un professionnel à un autre. Ce que Bernbach a inventé, c’est qu’une équipe rédacteur/directeur transforme une conversation en pub. On ne peut arriver à ce genre de démarche qu’en structurant de manière particulière nos équipes. C’est toute la différence entre une commande et une conversation entre grands storytellers, grands designers… Nous avons recréé notre propre version de l’équipe de Bernbach.

Quand on est dans un groupe comme Accenture Song, tout l’enjeu est d’assembler les talents le mieux possible. La plus grande erreur que font toutes les grandes entreprises, c’est de se dire : «On fera des ateliers…» Tous les trimestres, on se retrouve avec un nouvel atelier, on colle des post-it sur un paper-board et on revient à son boulot quotidien le lendemain… Selon moi, en tant que créatif, la première action d’une entreprise créative est de se «designer» elle-même. Parce qu’on a beau avoir les meilleurs talents du monde, si l’organisation n’est pas bonne, le travail ne le sera pas non plus.

Il y a quelques années, vous déclariez à Contagious : si l’industrie ne change pas rapidement, on est foutus. De quelle manière pensez-vous que l’industrie doit se réinventer ?

À l’heure actuelle, l’industrie a la forme d’un sablier. La marque est tout en haut, c’est la partie mature de l’industrie qui raconte des histoires, qui connaît l’artisanat inhérent à certains types de narratifs – en somme, ce à quoi excellent les agences mondiales traditionnelles. Et tout en bas du sablier, on a la performance, qui est caractérisée par la capacité émergente des technologies à «tracker» les individus et à faire du marketing one-to-one [personnalisé].

Le problème, c’est qu’il existe entre les deux une division culturelle… Ceux qui sont en haut regardent ceux du bas et leur disent «Vous ne savez pas parler aux gens, vous êtes des geeks» et ceux du bas leur répondent «Vous ne savez même pas comment atteindre les consommateurs parce que vous n’avez aucune idée de la manière dont les médias fonctionnent…», et le pire, c’est que tout le monde a raison ! Actuellement, l’industrie se compose de deux tribus rivales. Pour résumer : ceux du haut créent de belles choses mais ne savent pas les faire parvenir à un public, tandis que ceux du bas produisent des choses moins jolies mais savent trouver le public…

En réalité, il s’agit de redessiner l’industrie comme un oignon, plus comme un sablier. Aujourd’hui, tout l’enjeu de notre industrie consiste à identifier les comportements des consommateurs. Les gens entrent dans le monde chaotique qu’est Internet et ils ont besoin de se rendre directement au milieu de notre «oignon» : que ce soit pour décider comment trouver un produit, comment l’utiliser, en bref, toutes les choses pour lesquelles le design et la publicité devraient être une aide… Mais les consommateurs ne tapent jamais dans leur barre de recherche «S’il vous plaît, faites-moi voir une grande campagne de marque». En bref, au milieu de notre oignon, nous devons réconcilier les deux tribus : ceux qui chassent l’efficacité et ceux qui chassent la poésie. Nous avons besoin des deux !

Vous avez également déclaré dans la presse que les agences appliquent une vieille grammaire aux nouvelles technologies…

Oui, l’une des raisons est que les créatifs ont gagné beaucoup d’argent et sont devenus célèbres en n’utilisant qu’un seul medium – en général la télévision. Ils passent donc le reste de leur carrière à justifier l’utilisation du medium qu’ils connaissent le mieux. Le gros changement qui laisse les créatifs traditionnels désarmés, c’est que tous les médias se situent désormais derrière une interface. Aujourd’hui, lorsqu’on sort une campagne, on a besoin de réfléchir à la manière dont les personnes vont réagir pour générer plus d’engagement. L’erreur que font les holding companies, c’est qu’elles nichent les nouvelles possibilités sous les vieilles possibilités.

Typiquement, si je suis un «experience designer» et que je rejoins une agence traditionnelle, je ne serai même pas briefé par le ECD [executive creative director] mais par un directeur artistique, et on me demandera juste d’adapter au web l’histoire pensée pour les médias traditionnels. In fine, j’aurai surtout envie de démissionner et d’aller dans une entreprise qui comprend ce que je fais.

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Alors, vous ne pensez pas que l’IA soit une menace pour la créativité ?

Non, c’est une menace pour les vieux savoir-faire. Pour les grandes idées, c’est un amplificateur.

Et quid du metaverse ?

Sans doute qu’il existera un Internet de ce type un jour, mais pour l’instant, je trouve qu’on est sur quelque chose d’un peu «niche». L’utilisation est un peu limitée… On ne va pas se promener dans la rue avec un casque de réalité virtuelle… Ce n’est pas comme le smartphone, dont le contexte d’utilisation est illimité. En revanche, la réalité augmentée va infuser partout, devenir une superposition du monde réel… Ses applications seront infinies, des entreprises aux consommateurs. Il existe déjà des outils de réalité augmentée, comme les Google Lens, qui constituent selon moi une incroyable technologie… C’est comme quand vous voulez garer votre voiture en marche arrière : vous regardez l’écran en face de vous et suivez les lignes de guidages, et ne vous retournez plus pour voir la route. Ce qui va finir par arriver, c’est qu’à un moment, les batteries et l’informatique deviendront assez légères pour pouvoir être implantées dans une simple paire de lunettes, et là, la réalité augmentée sera partout.

Et en termes de développement durable ?

Dans toute technologie, il y a toujours une contrepartie. Certains développements du web ont été créés dans une grande naïveté des conséquences. Une grande partie de la culture de la Silicon Valley, où j’ai vécu trois ans, est une culture utopique. S’ils sont si bons pour inventer le futur, c’est parce qu’ils ne se soucient pas du passé. Or lorsqu’on balaie le passé d’un revers de la main, on ne réfléchit plus aux conséquences indésirables. D’un autre côté, on ne va pas arrêter de construire des voitures parce qu’il existe des accidents… C’est toujours une histoire de dosage. Mais j’ai bon espoir que ces technologies seront plus conscientes de leurs possibles conséquences. Il s’agit d’atténuer les risques et de s’assurer que tout ce que l’on va inventer sera globalement porteur de changement positif.

Parcours

2001. Débuts de Nick Law chez R/GA, dont il deviendra vice-président et directeur de création monde.

2018-2019. Directeur de création monde de Publicis Groupe, président de Publicis Communications.

2019-2022. Vice-président en charge du marketing et de la communication d'Apple.

Février 2022. Global lead for design and creative tech, creative chairperson d'Accenture Song.

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